Des Nahdhaouis veillent sur le déroulement d’un meeting avec des membres du gouvernement à Bizerte. M. Bhiri en profite pour donner un discours électoral. Le contribuable paye.

Par Thameur Mekki


La salle du Bizerta Resort Hotel est pleine à craquer. Environ 500 citoyens y étaient à l’accueil de la délégation gouvernementale en visite à Bizerte, lundi 4 juin (lire notre reportage). Ledit meeting populaire commence. Après une allocution de bienvenue prononcée par Nabil Nsiri, gouverneur de Bizerte, Noureddine Bhiri, ministre de la Justice, se lance dans un discours de 45 minutes. L’écran derrière l’estrade affiche: «République Tunisienne – ministère du Développement régional et de la Planification: stratégie du développement du gouvernorat de Bizerte». Mais le propos du ministre n’a aucun rapport avec le sujet. Jameleddine Gharbi, ministre responsable de la valise à l’ordre du jour, n’est pas présent. Par contre, Béchir Zaâfouri, ministre délégué chargé du Commerce et de l’Artisanat et Mohamed Salmane, ministre de l’Equipement accompagne M. Bhiri. C’est aussi le cas de deux conseillers du Premier ministre: Noureddine Kaâbi, chargé des Affaires économiques, et Nejmeddine Hamrouni, chargé de la Veille stratégique et de la Prospective. Certains membres de l’Assemblée nationale constituante (Anc) participent à cette rencontre y compris deux membres de l’opposition dont Mehdi Ben Gharbia, élu sur une liste du Parti démocrate progressiste (Pdp) et Mourad Amdouni du Mouvement du Peuple (MP).

Discours électoral signé Bhiri

Il est 11h10. M. Bhiri commence son speech. «Bizerte a toujours créé la différence», clame le ministre de la justice. Durant 45 minutes, il loue les qualités des Bizertins, insiste sur «la légitimité du gouvernement choisi par le peuple à travers les urnes» et parle de l’ouverture d’Ennahdha et sa volonté de rompre avec le passé. «Nous avons choisi la voie difficile au Mouvement Ennahdha. Nous n’avons pas voulu régner seuls. Nous avons choisi la voie de la coalition», a déclaré le ministre. Se voulant consensuel, il ajoute: «La preuve est que l’opposition s’exprime librement et nous insulte parfois. Mais nous préférons les insultes plutôt que se regarder dans un miroir noir». Merci qui?

Le Parti s'est arrangé pour remplir la salle

Le ministre invite le spectre de Ben Ali et l’affronte en comparant la politique du gouvernement actuel à celle du dictateur déchu. «Dans ces élections, il n’y avait pas de teinture. C’est parti avec la coiffeuse», lance-t-il. Un discours partisan, populiste et surtout religieux. Evoquant le problème des immigrés clandestins disparus sur un ton sensationnel, il appelle la salle à lire la Fatiha et à prier Dieu pour leur salut. Ensuite, il alterne en s’en prenant subtilement au culte de Bourguiba, réincarné récemment par Béji Caid Essebsi et les Destouriens. «Il n’y a pas de combattant suprême ni de leader. Le combattant est le peuple. Le leader est le peuple», clame M. Bhiri. Il poursuit: «Nous ne voulons pas blasphémer en refusant les dons d’Allah. Et nous ne voulons pas réprimer les gens. L’oppresseur finira en enfer». Exit la justice transitionnelle. Le ministre de la Justice opte, ainsi, pour la justice divine. Le discours électoraliste se manifeste encore plus clairement quand M. Bhiri lance: «Si vous n’êtes pas satisfaits de notre travail, choisissez d’autres dans les prochaines élections». Fin du discours à 11h55.

Des projets de Ben Ali réchauffés

Béchir Zaâfouri, ministre délégué chargé du Commerce et de l’Artisanat, prend, ensuite, la parole durant 20 minutes pour faire part de quelques donnés chiffrés sur le gouvernorat de Bizerte. Il annonce la construction de barrages d’eau, d’un port de plaisance ainsi que le renforcement de la flotte marine. Que des projets qui figuraient déjà dans le programme du dictateur déchu. Les autres membres de la délégation gouvernementale ne se sont exprimés que brièvement à la fin de ce meeting. En effet, M. Zaâfouri, M. Bhiri et leurs compagnons ont donné la parole aux citoyens, durant 4 heures, présents dans une salle presque acquise d’avance. Et pour cause…

Quelques récriminations tout de même

Après le Rcd… Ennahdha, nouveau parti-Etat

Rien n’a été publiquement annoncé au sujet de ce meeting. Du moins, rien à vue d’œil dans les rues de Bizerte. L’organisation se fait autrement. «Le gouvernorat n’a pas fait assez de communication. Il a fallu que nous nous occupions en envoyant des Sms à nos réseaux de contact et en faisant du bouche-à-oreille», nous confie Ali Neffati, secrétaire général du bureau local d’Ennahdha. «Nous l’avons fait avec l’aide des bureaux régionaux des autres partis de la ‘‘troïka’’ (la coalition tripartite au pouvoir, Ndlr)».

Finalement, presque un an et demi après la fuite du dictateur et la dissolution du Rcd, la tradition du parti-Etat est encore bien ancrée en Tunisie. Ennahdha pose en gardien du temple de ce mauvais folklore anti-démocratique.

Mieux (ou pis): la liste des dizaines de citoyens qui sont intervenus pour poser des questions, transmettre leurs revendications ou exprimer leurs remarques a été préparé par un partisan de la formation politique gouvernante. «Je suis un militant d’Ennahdha mais je fais de mon mieux pour être neutre», avoue l’homme en question, appelé Mouâadh par ceux qui le sollicitent pour inscrire leurs noms sur la liste des intervenants. On peut donc faire confiance…

Le contribuable paye

Quand Ennahdha parle, Ennahdha écoute

Comme indiqué ci-haut, ce meeting populaire s’est tenu au Bizerta Resort, un hôtel 4 étoiles. Le choix s’est porté sur cet établissement privé et non pas une Maison de Culture ou de Jeunesse ou un autre espace public : une salle de sport par exemple. Ce qui, soit dit en passant, aurait coûté moins cher au contribuable. Les 500 personnes présentes ont été conviées, à deux reprises, à du café, du jus et des petits gâteaux. Les cinq membres du gouvernement ont aussi eu des chambres d’hôtel pour se reposer et se rafraichir après le meeting, avant de déjeuner et continuer la visite à Borj Chellouf et à Sejnane. Qui a payé les frais? «C’est le gouvernorat qui s’en est chargé. Nous avons reçu un bon de commande», répond le directeur du Bizerta Resort Hotel.

Pour résumer, M. Bhiri part donner un discours électoral dans un supposé meeting avec des membres du gouvernement. La communication, la mobilisation ainsi que la coordination sont effectués par des Nahdhaouis. Et les frais sont pris en charge par le gouvernorat. Retour en force du parti-Etat. Exit le Rcd. Place à Ennahdha!

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