Pourquoi les procédures judiciaires nécessaires à la restitution des avoirs de l’ex-président et des membres de son clan bloqués en Suisse trainent-elles en longueur? Qui est responsable de cette lenteur: Berne ou Tunis?


Le Premier ministre Béji Caïd Essebsi a évoqué cette question avec Sami Remadi, président de l’Association tunisienne pour la transparence financière (Attf), qu’il a reçu mardi au palais du gouvernement de la Kasbah. L’association, qui a une antenne en Suisse, œuvre pour la restitution des avoirs de l’ex-président et de son clan gelés en Suisse. Elle sensibilise l’opinion publique et les organisations non-gouvernementales de ce pays pour qu’elles fassent pression sur le gouvernement helvétique afin qu’il réponde aux demandes de la Tunisie à ce sujet.
Mais où en est-on aujourd’hui de ce processus de restitution?
Après les révolutions en Tunisie, la Suisse a bloqué, dès le 18 janvier, les fonds liés à Ben Ali, ainsi qu’à son entourage, évalués par Berne à 60 millions de francs suisses (90 millions de dinars tunisiens). Le gouvernement provisoire a déposé, dès le 21 janvier, une demande officielle en Suisse pour démarrer le processus de recouvrement des fonds. Sa requête a cependant été rejetée par la Suisse au prétexte qu’elle comportait des lacunes.

Des experts suisses à Tunis
Pour montrer leur bonne volonté, les autorités suisses ont envoyé, par câble diplomatique, la liste des éléments dont elles ont besoin et qui prouveront que le dictateur a commis des actes criminels et que les fonds gelés sont bien d’origine criminelle. Elles ont ensuite dépêché des conseillers pour aider la justice  tunisienne à formuler correctement leurs requêtes. Ces derniers ont expliqué en particulier aux juges et aux fonctionnaires travaillant sur ces dossiers comment il faut faire, quels éléments permettent de faire avancer la procédure et les ont formés à ce travail spécifique.
Selon la Direction fédérale des affaires étrangères (Dfae), de telles délégations d’experts ont déjà été envoyées par le passé au Nigéria et en République démocratique du Congo. Cette assistance est efficace lorsqu’elle rencontre une véritable «volonté politique» de récupérer les fonds bloqués de la part des Etats concernés. «Lorsque cette volonté est absente, l’aide ne fonctionne pas», explique la Dfae, comme dans le cas des fonds de Mobutu Sese Seko: en 2009, la Suisse a dû reverser 6,7 millions de dollars aux héritiers du dictateur.  
Quid de la Tunisie? Concrètement, le gouvernement provisoire doit fournir des exemples d’abus de pouvoir, d’appropriation de fonds publics et de transfert sur des comptes bancaires suisses. Il doit aussi livrer les numéros de comptes et, éventuellement aussi, les détails des cartes de crédit utilisées.
Ce travail d’investigation semble dépasser les capacités de réaction et les compétences de la bureaucratie tunisienne. Si la situation semble bloquée, alors que l’opinion s’impatiente de voir aboutir ce dossier du rapatriement de la fortune de Ben Ali et des membres de son clan, c’est parce que les autorités judiciaires semblent buter sur l’ampleur de la tâche. Or, sans la remise de documents attestant de malversation de l’ex-président et de ses proches, la Suisse aurait du mal à démarrer le processus de recouvrement des fonds. Les requêtes de ce pays étant dictées par ses lois que les banques et autres établissements financiers dépositaires des fonds litigieux sont tenus de respecter.

Les démarches trainent en longueur
Ridha Ajmi, un avocat basé à Fribourg qui a lancé les procédures de blocage des avoirs de Ben Ali au nom de l’association Arabic Transparency Organisation, estime que «les requêtes suisses sont raisonnables et répondent aux exigences de la loi. Or la loi est, en soi, un terrain inconnu» pour un pays comme le nôtre. Pour Me Ajmi, «la Tunisie n’était pas un Etat de droit». Il s’agissait d’«un régime dictatorial». Le pays ne connait pas «l’esprit du respect des procédures». «Nous devons les aider [les Tunisiens, ndlr) à fonctionner de cette manière. Devoir remplir les critères demandés par la Suisse représente un bon exercice», explique Me Ajmi, cité par la ‘‘Swiss Info’’.
«Au Département fédéral suisse de justice et police (Dfjp), on explique que ces procédures ont pour but d’empêcher que les fonds ne tombent en des mains illégitimes», ajoute l’agence.
Interrogée, lors de sa visite à Tunis, le 2 mai, sur le sort des avoirs de Ben Ali et son clan gelés par Berne, la présidente de la Confédération Helvétique, Micheline Calmy-Rey, a déclaré: «Il faut que les Tunisiens nous apportent les preuves que cet argent est d’origine criminelle pour que les restitutions puissent être ordonnées». En d’autres termes, si lenteur il y a dans les procédures de restitution de ces avoirs à la Tunisie, cette lenteur n’est pas imputable à la Suisse… mais à la Tunisie.     
Pourquoi donc les démarches trainent-elles en longueur? La sophistication des procédures et le manque de compétence des autorités judiciaires tunisiennes suffisent-ils à expliquer cette lenteur? Me Ajmi, cité par l’agence helvétique, a son idée sur la question. «Les autorités tunisiennes prennent leur temps. Il y a un manque de volonté politique» de la part de ces autorités, qui ne sont même pas «enclines à se préoccuper de l’opinion publique», explique l’avocat suisse d’origine tunisienne. Seule donc la pression publique, qui est restée faible jusqu’ici, pourrait pousser celles-ci à accélérer le processus de recouvrement.

Imed Bahri

Lire aussi :
Calmy-Rey: «Les relations de Ben Ali avec la Suisse s’étaient dégradées depuis 2005»