Les insultes succèdent aux cris d’indignation. La polémique enfle et prend la forme d’un lynchage médiatique. La «bêtise» de Mohsen Chérif, qui s’est permis de crier ‘‘Vive Netanyahou’’, justifie-elle le torrent de violence verbale qui s’est abattu sur le chanteur populaire à travers le web. Kapitalis jette son pavé dans la mare… Par Ridha Kéfi
En lançant à un parterre de juifs tunisiens «Yahya Bibi Netanyahou», à plusieurs reprises, avant d’entamer son tour de chant, le chanteur populaire tunisien Mohsen Chérif a-t-il pensé un instant que son geste n’allait pas traverser les murs de la salle où il se produisait pour arriver à la connaissance de ses compatriotes? N’a-t-il pas saisi, dans son étrange naïveté ou étourderie, la portée politique de son acte et l’offense qu’il représente non seulement pour les Tunisiens, mais aussi pour tous les Arabes et les Musulmans, et pour tous les hommes épris de paix à travers le monde, qui considèrent justement l’actuel Premier ministre israélien comme un seigneur de guerre aussi dangereux que tous ses prédécesseurs?
Un épais nuage de suspicion
La vidéo qui est diffusée sur le web n’est pas suffisamment explicite. Elle ne montre pas, en tout cas, les conditions réelles dans lesquelles ce ‘‘Vive Bibi Netanyahou’’ si bêtement sonore a été proféré. Où? Comment? Pourquoi? Et en réponse à quelles sollicitations ce cri de ralliement – car c’en est un – a-t-il été lancé? Seul Mohsen Chérif pourrait répondre toutes à ces questions pour dissiper l’épais nuage de suspicion qui a entouré son geste.
Seulement voilà: dans une réaction qui trahit un lourd sentiment de gêne ou peut-être de culpabilité – on ne va quand même pas désespérer de l’homme –, le chanteur a choisi de se réfugier dans le silence. A preuve: depuis hier, ses deux numéros de téléphone portables ne répondent plus. Ce qui est aussi, d’une certaine façon, une confirmation de l’authenticité de la vidéo circulant sur le web, que nous avions été pourtant nombreux à mettre en doute, tant l’acte nous paraissait incroyable, ahurissant d’ingénuité ou d’inconscience.
Cependant, et par-delà les réactions d’indignation qui ont atteint, dans les réseaux sociaux sur le web, des degrés inacceptables de violence verbale – l’insulte n’a jamais réglé un problème ni corrigé une déviance –, l’acte de Mohsen Cherif et le torrent de réactions indignées qu’il a provoqué doivent donner à réfléchir à tous les artistes, intellectuels, universitaires, responsables politiques et autres hommes d’affaires qui sont parfois amenés, de par même leurs fonctions, à croiser, à dialoguer ou même à commercer avec des citoyens de l’Etat d’Israël ou des personnes fortement impliquées dans la défense de cet Etat.
Limites du dialogue
Tous ces gens doivent savoir que le dialogue, même avec ses ennemis jurés, tout en étant nécessaire pour lever les malentendus, vaincre les ressentiments et construire une paix juste et durable, a toujours des limites. Il convient, en effet, avant de s’engager dans un dialogue ou même dans un simple contact, dans un cadre international quelconque, de mesurer l’opportunité d’un tel engagement, ce qu’il pourrait apporter – de positif ou de négatif – aux gens de son propre camp. Car, dès qu’il s’agit d’esquisser un rapprochement avec une personne ou un groupe appartenant à un camp adverse, aucun acte, aucun geste et aucun mot ne sont vraiment gratuits ou dérisoires. Les actes, les gestes et les mots prennent, dans ce cas, une importance et une gravité dont on risque de ne pas mesurer suffisamment la portée.
Qu’on nous comprenne bien: Mohsen Chérif n’a pas commis une erreur en interprétant des chants juifs tunisiens, car ces chants font partie du patrimoine musical national. C’est une richesse que nos artistes ont le devoir de préserver.
Il n’a pas non plus péché en chantant devant un parterre de juifs originaires de Tunisie, car ces gens sont tout aussi Tunisiens que vous et moi, même s’ils ont opté, pour la plupart, pour d’autres nationalités.
Et quand bien même il aurait interprété des chants liturgiques juifs, tout en étant lui-même musulman, cela pourrait, à la limite, se concevoir dans le cadre des brassages que nécessite la création musicale et artistique. On a vu des chanteurs juifs (le Tunisien Raoul Journo justement) chanter les louanges du prophète Mohamed, n’est-ce pas?
L’erreur, impardonnable, de Mohsen Chérif réside dans le fait qu’il a lancé un cri de ralliement politique au Premier ministre d’un pays belliqueux qui n’a pas fini de verser le sang des enfants, des femmes et des vieillards en Palestine et au Liban. Et là, le chanteur populaire doit à tous les Tunisiens, et surtout à ses fans – s’il en a encore – quelques explications. En fermant son téléphone portable et en refusant de parler aux journalistes, il ne règle pas le problème : il contribue à le pourrir davantage. Et à donner raison aux internautes qui ont créé une page sur Facebook appelant à ce que la nationalité tunisienne lui soit retirée. Tout de même...
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