devant constituante banniere 12 29

Deux ans d'interminables palabres et des dizaines de millions de dinars plus tard, la nouvelle constitution tunisienne, nous dit-on, est presque prête. La belle affaire! Et si c'était, en réalité, une très mauvaise nouvelle?

Par Seif Ben Kheder*

Une constitution de toutes les antinomies, enveloppée par les ambiguïtés héritées de ses précédentes et garnie par les intérêts partisans, vient d'être finalisée et sera bientôt soumise au vote de ceux même qui l'ont façonnée à leur pointure. Une constitution, pour laquelle, semble-t-il, le peuple s'est révolté afin de remettre de l'ordre dans sa vie, espérant un avenir meilleur pour ses descendants.

La loi fondamentale la plus chère au monde

Une constitution qui a coûté la vie de plusieurs militants civils, de cadres politiques, de soldats, de policiers, de gardes, d'activistes, ou encore de contestataires inconnus.

Une constitution qui nous a valu tous les tristes records de tous les temps, dans l'histoire de ce pays, en déficit budgétaire, en inflation, en taux de pauvreté, en taux de chômage, en endettement, en déficit commercial, en perte de points de croissance, en dépendance financière, en dépendance énergétique, en taux de criminalité, en hausse des accidents, en tensions sociales, en violence politique, en attentats terroristes, en radicalisation religieuse, et j'en passe.

Les ambivalences qui mènent au vide

Une constitution où l'on ne verra nulle part inscrite la phrase : «Nous, peuple de Tunisie», où la souveraineté ne revient au peuple dans aucun chapitre, où son identité baigne dans l'ambivalence des confusions préméditées.

Une constitution où la nation est réduite à un Etat, où l'Etat est ramené au gouvernement, où les pouvoirs sont compactés, où le régime n'est ni parlementaire ni présidentiel, ni semi parlementaire ni semi présidentiel, ni républicain ni monarchique, à la merci de la trouvaille de Ben Achour, premier responsable de cette débâcle et son origine même depuis sa nomination à la tête de la Haute instance de réalisation des objectifs de la révolution (Hiror), qui qualifiait ce nouveau régime par «rationalisé».

Une constitution où l'islam d'Etat continuera à régner en maître sur toutes nos législations et ouvrira la porte aux interprétations de ceux qui sont au pouvoir, à travers une cour constitutionnelle forcément partisane de par sa composition et les modalités du choix de ses membres.

Une constitution où la notion d'état civil est à l'encontre de celle d'un Etat doté d'une religion et qui, surtout, n'est pas séculier. Où l'Etat est gardien de la religion, en article défini qui ne renvoie guère aux autres cultes et encore moins à la liberté de ne pas croire.

Une constitution où rien, ou presque rien, ne garantie la non-discrimination des résidents étrangers sur notre sol, ni celle des citoyens tunisiens, qui serait établie sur la base d'une croyance, d'une opinion, d'une couleur ou d'une race. Le meilleur exemple, on le trouve dans le chapitre se référant aux conditions requises pour la candidature à la présidentielle.

Une constitution où l'esclavage n'est pas interdit et l'exploitation n'est pas mentionnée. Où les termes «sacré» et «pudeur» n'ont de définition que dans la rançon exigée par l'agent en service.

Une constitution où les droits de l'enfant, comme ceux du bébé, comme ceux de l'adolescent ne sont indiqués en aucun endroit. Où il n'y aura de toutes les manières aucune émancipation de leur mère en tant qu'égale de l'homme dans ses droits et ses devoirs.

Une constitution où les générations futures seraient des autofécondées, héritant d'un paysage dantesque sans savoir par où commencer, ni comment faire, ni par quels moyens le faire. Où les terres ne seront pas les leurs, où l'eau se fera très rare, où le soleil sera payant et où l'air sera asphyxiant.

Une constitution où les mots «stratégie», «souveraineté nationale», «contrôle démocratique», «Etat décentralisé», «démocratie locale», «bonne gouvernance», «administration dématérialisée», «progrès», «modernité», «prospérité», ou encore «bonheur», ne connaissent pas de place dans un texte truffé de mines anti-temporelles.

Pour ne pas conclure

Il n'est guère flatteur de dire qu'on avait raison d'alerter l'opinion publique, durant ces deux années de galère, sur cette éventuelle fin tragi-comique, débouchant sur une impasse qui ne mènera qu'à des tensions supplémentaires et qui seraient de plus en plus dangereuses au fil du temps.

Mais il était peut être nécessaire d'en arriver là, pour pouvoir prendre conscience de la supercherie de cette classe politique faisant partie d'un mercenariat international, associée à une élite intellectuelle des plus vendues dans le marché des consciences.

Un tel texte mènera inévitablement à l'explosion sociale et aux affrontements des classes, sur fond de conflits confessionnels et ethniques, dont le chef de bande se félicitait, dans sa conférence de presse, samedi, de la splendeur de l'œuvre.

* Coach en techniques de communication verbale et gestuelle.

 

Articles du même auteur dans Kapitalis:

Tunisie : Le peuple tunisien doit récupérer sa souveraineté pacifiquement

Affrontements au Jebel Châmbi : Est-ce la fin de l'Etat tunisien ?

Tunisie : Face à la minorité «illégitime», une société civile atone