Le peuple tunisien, qui assiste en spectateur à sa propre exécution, a perdu sa capacité à se mettre en colère contre ceux qui ont couvert le terrorisme d’affection. Oui, il y a des responsables du terrorisme, et ils sont devant nous...
Par Karim Ben Slimane
Entre deux soupirs de soulagement après le dénouement d’une situation inextricable, le visage de la Tunisie se couvre du sang de ses soldats martyrs. Le terrorisme a encore frappé. Il agit à des doses homéopathiques: quand on croit qu’il est hors d’état de nuire, il resurgit subrepticement. Il pique mais ne mord jamais à pleines dents. Toujours peu de victimes pour ne pas que l’incident ne nous empêche de vaquer à notre vie quotidienne. Dimanche, c’étaient les scènes du quotidien, bousculade dans les transports, un bouchon qui n’en finit pas et enfin des cafés et des bars bondés où l’on vient tromper le vide de son existence. Point de larmes, point de colère dans les cœurs juste l’envie de continuer à vivoter. Business as usual. La peur s’instille à petites doses dans les veines de la Tunisie pour qu’elle s’y habitue et qu’elle apprenne à vivre avec au point de l’oublier tel un cancéreux qui a apprivoisé l’anxiété de sa fin inéluctable. Ce matin à la radio point de deuil juste un «Be Happy» de Farell Williams. Circulez il n’y a rien à voir! Pour quelle cause et pour qui nos soldats sont-ils morts? J’ai bien peur que ça ne soit pour rien ni pour personne d’ailleurs. Car ce peuple qui assiste en spectateur à sa propre exécution a perdu sa capacité à se mettre en colère contre ceux qui ont couvert le terrorisme d’affection. Oui, il y a des responsables du terrorisme, ils sont devant nous mais nous avons perdu toute énergie pour les dénoncer. Car nous sommes déjà fatigués et désabusés. Alors que nos soldats jettent leurs armes qu’ils désertent leurs casernes, on ne mérite pas qu’ils meurent pour nous. «On ne meurt pas pour la patrie; on meurt pour les industriels», a dit Anatole France. On meurt aussi pour les vaniteux et les veules que nous sommes. Le prix du sang des soldats ne peut pas être notre bonheur coupable et oublieux, ça fera trop cher la sortie en boite ou l’épisode de ‘‘Harim Al Sultan’’. «Ô peuple, tu es une âme stupide qui craint la lumière, condamné à errer jusqu'à l'éternité comme on erre dans une nuit opaque.» Ainsi parlait Aboul Qacem Chebbi.
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