Pour beaucoup de Tunisiens, les agents des finances grévistes sont de voraces prédateurs sans vergogne d'une Tunisie devenue butin de guerre dont tout un chacun cherche à profiter au maximum! Tant qu'il est encore temps et tant que dure cette si longue et pénible transition!
Par Mohamed Ridha Bouguerra*
Depuis un certain 14 janvier, il y a des jours où l'on se sent tellement étouffer de rage que l'on s'étonne que les autres ne crient pas également bien fort leur indignation et ne donnent pas droit à une juste et légitime colère! Et ce ne sont pas les occasions qui nous ont manqué ces dernières semaines ! En voici une et pas des moindres !
Il s'agit de cette étrange et inexplicable grève des employés du ministère des Finances qui a duré toute la semaine dernière.
Les métayers de la république
Le ministre de tutelle a beau répéter que son département, obéissant au principe de la continuité de l'État, est tenu d'appliquer les (calamiteux) accords précédemment conclus avec son prédécesseur et signés par lui-même le 7 février 2014, la grève n'a pas fini de finir...
L'UGTT a beau appeler les fonctionnaires à la reprise du travail et Hafedh Hafaïedh et Sami Tahri, secrétaires généraux-adjoints de la Centrale syndicale, ont beau dénoncer publiquement les pressions exercées sur les fonctionnaires des Finances par un nouveau syndicat d'obédience nahdhaouie, Organisation tunisienne du travail (OTT), aidé en la circonstance par les prétendues Ligues de protection de la Révolution, les intéressés persistent dans leur arrêt de travail afin d'obtenir une application immédiate et sans délai des accords précédemment conclus.
Situation ubuesque qui cause des préjudices incalculables, d'abord, à des citoyens injustement empêchés de s'acquitter de leurs dettes envers l'État, surtout en ce moment crucial de l'échéance du règlement de la vignette automobile. Ensuite, et principalement, préjudice est gravement porté par cette grève à l'image de l'État qui vient d'être acculé à repousser pour la deuxième fois, en quelques jours, l'échéance du paiement de la vignette ! État dont les caisses vides ne semblent pas émouvoir outre mesure ceux qui sont censés connaître beaucoup mieux que d'autres la situation financière précise et délicate que nous traversons.
Non seulement les employés grévistes se soucient comme d'une guigne de l'état de nos finances, mais cherchent scandaleusement à profiter de la faiblesse (passagère?) de l'État pour en devenir en quelque sorte les associés! Ou, pour traduire les choses à la tunisienne, les khammès! À l'image, si l'on veut, de ces métayers, dans nos campagnes, à qui l'on concède, par contrat, l'exploitation d'une parcelle agricole qui ne leur appartient pas et sur la production de laquelle ils prélèvent le cinquième.
Nos grévistes réclament à l'État, en effet, la généralisation, à tous les employés du ministère des Finances, d'une prime qui leur rapportera dorénavant, 20% des sommes réglées par les contrevenants au titre des amendes et autres pénalités de retard! 20% cette année et 22% l'année prochaine! On ne nous dit pas combien plus tard! Car, pourquoi s'arrêter en si bon chemin, en effet!
Sans compter qu'une incitation aussi juteuse pour faire entrer l'argent dû à l'Administration ne donnera que davantage de zèle à des fonctionnaires qui auront tout à gagner à redoubler d'effort... au risque de pressurer un peu plus le citoyen démuni ou peu au fait des textes en vigueur en la matière!
Un scandaleux abus du droit de grève
Selon certains calculs, cette prime, qui pourra atteindre les 300 dinars mensuels par agent, coûtera à l'État plus de 3 millions de dinars par an! Autant donc d'argent en moins pour les régions défavorisées ou pour la création de nouveaux emplois destinés à de jeunes chômeurs !
Il ne faudrait, certes pas, écarter la possibilité d'une instrumentalisation de cette grève par certaines parties politiques qui ne veulent pas, le moins que l'on puisse dire, du bien au gouvernement Mehdi Jomaâ dont on a juré l'échec.
On ne peut, néanmoins, et cela au risque d'encourir les foudres des intéressés, que crier à un scandaleux abus du droit de grève mis au service d'intérêts égoïstes. Abus inacceptable, également, de la faiblesse de l'État dans le but de tirer de honteux avantages des deniers publics aux dépens de l'intérêt général.
Pour beaucoup de citoyens ces grévistes voraces sont les prédateurs sans vergogne d'une Tunisie devenue butin de guerre dont tout un chacun cherche à profiter au maximum! Tant qu'il est encore temps et tant que dure cette si longue et pénible transition!
Esprit civique où es-tu? Intérêt supérieur du pays, connais plus!
L'État est-il à ce point à la dérive? Peut-on descendre encore plus bas?
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