La Tunisie n'accordant pas de visas aux Israéliens, que feraient les autorités si des musulmans israéliens veulent visiter Kairouan ou la mosquée Zitouna de Tunis?
Par Tarak Arfaoui
Des députés hors-la-loi qui font la loi. Voilà où nous en sommes en Tunisie en 2014.
Depuis octobre 2012, date théorique de la fin du mandat de l'Assemblée nationale constituante (ANC), cette institution continue malgré tout à légiférer comme bon lui semble dans un simulacre de légitimité en plein marasme politique et économique.
En fin de compte, trois ans après la révolution, personne ne se doutait que l'Assemblée nationale constituante réclamée au début par les révolutionnaires de tous bords avec à leur tête les partis de la gauche radicale, qui se rassembleront par la suite au sein du Front populaire, allait se révéler au fil du temps une assemblée d'apprentis politiciens aigris et revanchards dont le seul but est de faire étaler, à chaque instant, le dépit qu'ils éprouvent pour les Tunisiens qui les ont malheureusement élus et leur dépit envers tous les symboles qui ont fait la spécificité de la Tunisie.
Ces «dépités» qui coûtent au contribuable, depuis 3 ans, environ 120.000 dinars par constituant, qui n'en finissent pas d'étirer leur législature prévue au départ pour une année, qui trouvent le temps de se réunir à une heure du matin pour discuter leurs émoluments, qui réclament à tour de bras des primes de toutes sortes, qui n'hésitent, pas comme des mercenaires, à changer de camp pour quelques sonnantes et trébuchantes, qui de commissions en comités de délégations en subterfuges, nous font sortir d'incroyables décisions sous couvert de misérables calculs politiciens.
Le vénérable palais du Bardo, haut lieu de la souveraineté nationale, s'est transformé de nos jours en une arène où beaucoup de députés, dépités, rivalisent en chamailleries, en invectives, en coups bas et règlements de compte, sur fond de débats qui planent au ras des paquerettes.
Les Tunisiens n'oublieront pas de sitôt les envolées populistes du député Brahim Kassas, ni les graves dérives réactionnaires des députés Abderraouf Ayadi et Samir Ben Amor, ni les diatribes obscurantistes des députés Sadok Chourou et Habib Ellouze, ni les discours hypocrites des député Azed Badi et Samia Abbou, ni les dérapages incontrôlés du député Néjib Mrad et j'en passe. Et des pires...
Ces députés, dépités par la fin de leur mandat arrivé à échéance depuis belle lurette, n'en finissent pas avec leurs errements. Le dernier projet de motion de censure visant la ministre du Tourisme Amel Karboul est un exemple caricatural du degré d'opportunisme politique et de déliquescence morale dans lesquels s'est embourbée l'ANC. Les pèlerins israéliens à la Ghriba, depuis l'ère de Bourguiba, en passant par celle de Ben Ali et les gouvernements Caïd Essebsi, Jebali et Larayedh étaient bel et bien tolérés à Djerba sans que cela ne soulève aucune objection ni polémique. Mais voilà que certains partis à l'ANC, surtout dans le camp dit démocrate, et ils se reconnaitront, dans un merveilleux élan patriotique, se sont soudainement rappelés qu'ils doivent en être scandalisés.
La Ghriba, haut lieu du judaïsme en Tunisie depuis des siècles, symbole du multi-confessionnalisme de notre pays, de tolérance et de coexistence pacifique entre les peuples du bassin méditerranéen, visitée depuis la nuit des temps par des pèlerins juifs de toutes nationalités, s'est trouvée piégée dans un misérable jeu politique par la grâce de quelques députés dont la fibre nationaliste pan arabe s'est subitement réveillée ces derniers jours.
Dans la logique des choses, et sachant que la Tunisie n'accorde pas de visas aux Israéliens, que feraient les autorités si des musulmans israéliens, des centaines de milliers, veulent visiter Kairouan ou la mosquée Zitouna de Tunis, par exemple? A-t-on le droit de les refouler? Dans la logique des choses, on pourrait se demander si l'Arabie Saoudite refuserait le pèlerinage de la Mecque aux Arabes musulmans de nationalité israélienne ou si l'Italie refuserait l'accès au Vatican à certaines nationalités chrétiennes sous des prétextes politiques.
Au lieu de réclamer des motions de censure contre certains ministres, n'aurait il pas été plus judicieux de faire une motion pour alléger ou changer la loi qui interdit à des pèlerins – ayant, ne l'oublions pas, des racines tunisiennes dans leur grande majorité – de se recueillir sur la terre de leurs ancêtres?
Les lieux de culte, quelle que soit leur situation, ne doivent obéir, du fait de leur sacralité, à aucun enjeu politique ni à aucune querelle partisane.
Les lieux de culte comme les religions doivent être universels, sans aucune restriction d'accès. Nous n'avons nullement besoin de «fatwas» émises par quelques hypocrites pour faire de la religion un enjeu politique.
Nous n'avons pas besoin d'un nationalisme à deux vitesses permettant à quelques dépités – que beaucoup de Tunisiens ont regretté d'avoir élus – de prendre le train en marche sous couvert de militantisme.
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