Si l'on peut se féliciter que la récolte de céréales de cette soit bonne, on doit s'inquiéter du fait que les capacités de stockage de notre pays soit très en-deçà des besoins.
Par Abderrahman Jerraya*
L'information donnée, dans la soirée du mardi 22 septembre 2014, sur la chaîne publique Watania1, par le Pdg de l'Office des Céréales, selon laquelle la récolte céréalière, au titre de l'année agricole 2013-2014, a été très bonne, atteignant 23 millions de quintaux (qx), a de quoi réjouir et rassurer les Tunisiens, dont l'alimentation est principalement à base de blé. Mais, lorsqu'il ajoute que l'organisme qu'il dirige n'en a réceptionné qu'un peu moins de la moitié: soit 10 millions de qx environ, on est en droit de se demander où a pu être emmagasinée la partie restante qui est loin d'être négligeable (13 millions qx).
Un gap qui pose problème
En fait, si l'Office des Céréales est le principal collecteur de cette denrée avec une capacité de stockage de l'ordre de 66%, d'autres intervenants (Coopérative centrale des grandes cultures, Coopérative centrale du Blé, Coopérative des semences, voire du secteur privé), participent également à l'engrangement des céréales, mais avec une capacité beaucoup moindre (4 millions de qx environ).
Ainsi, la quantité ramassée s'élèverait à 14 millions de qx (10+4). C'est ce gap, ce hiatus, cette inadéquation entre quantités supposées produites et celles effectivement ramassées qui pose problème!
Cela est d'autant plus troublant que, dans le passé, les services concernés du ministère de l'Agriculture avaient pris l'habitude de multiplier par 2 les quantités de céréales collectées annuellement par l'Office des Céréales pour estimer l'importance de la récolte à l'échelle nationale, partant de l'hypothèse que la partie non collectée (40% environ) restait emmagasinée chez les producteurs et, à moindre degré, chez les commerçants qui alimentent les circuits parallèles.
Bien qu'il n'y ait pas de données chiffrées sur la capacité des uns et des autres à stocker cette denrée pas aussi résistante qu'on le croit, tout laisse supposer qu'elle ne devait pas être conséquente, de l'ordre de quelques milliers de qx. Et cela pour plusieurs raisons...
Partenariat public-privé
1- Le stockage des céréales n'est pas une chose facile. Sans certaines précautions particulières, elles seraient complètement détruites au terme d'une année, suite à une attaque de parasites et de champignons.
C'est pourquoi, depuis la nuit des temps, l'homme s'est ingénié à leur assurer une bonne conservation comme par exemple le creusement de «matmoura» (fosse circulaire assez profonde pouvant être fermée hermétiquement).
De nos jours, le stockage nécessite des ouvrages en béton sous forme de cellules horizontales en entonnoir ou de cylindres verticaux également en béton et plus récemment en métal. Comme il requiert aussi un suivi et des manipulations souvent accompagnées de traitements chimiques réalisés par des équipes spécialisées.
2- Les producteurs des céréales ont le privilège de livrer leurs récoltes, juste après la moisson, à des organismes agréés au prix préalablement fixé par l'Etat. Lequel est indexé plus ou moins sur celui du marché mondial. Ce partenariat public-privé semble convenir aux 2 parties, chacune trouvant son propre compte. En particulier, le producteur se sent sécurisé quant à l'écoulement de sa marchandise, à l'abri des spéculateurs avec en prime un prix aussi ferme que motivant et ce quelle que soit l'importance de sa production.
3- S'il est vrai que, quand bien même certains producteurs garderaient encore une partie de leur récolte, en vue de l'utiliser comme semence ou comme une monnaie d'échange en cas de besoin. Mais dans tous les cas, la fraction conservée est relativement faible, ne dépassant guère les 5% de la quantité produite. D'autant que des agriculteurs de plus en plus nombreux ont recours aux semences fournies par les organismes agréés, les considérant à juste titre comme ayant des qualités supérieures aux semences autoproduites.
4- Les habitudes alimentaires ont bien changé chez la plupart des familles tunisiennes. Rares sont celles qui utilisent encore les céréales sous forme de grains entiers ou transformés pour leur propre consommation d'autant qu'elles sont, à poids égal, plus chères que leurs dérivés (farine, semoule, couscous, pâtes alimentaires ...).
Il s'ensuit que leur commerce en tant que tel est tout à fait marginal et il est en général l'œuvre de petits agriculteurs ayant un besoin pressant de liquidités. C'est donc plutôt l'Etat qui, à travers les institutions et les sociétés agréées, outre la collecte, assure la conservation, la distribution et la transformation de cette denrée rentrant dans l'alimentation quotidienne de la famille tunisienne.
Le potentiel de production peut être doublé
D'un autre côté, et en dépit des améliorations substantielles enregistrées dans la culture des céréales, la production annuelle est en moyenne insuffisante à couvrir tous nos besoins en blé et en orge, lesquels s'élèvent à 20 millions de qx par an.
Tout dépend de la pluviométrie annuelle qui varie dans le temps et dans l'espace. Ainsi sur 6 années d'observation (1995-2001), 4 sont considérées comme favorables à la culture des céréales à Béja, 2 à Siliana et 1 à Kairouan, correspondant respectivement à 3 zones climatiques bien distinctes: le subhumide à vocation réellement céréalière, le semi aride où elle est aléatoire et l'aride où elle est pratiquée comme une spéculation de subsistance.
Tout cela pour dire que les bonnes années à céréales sont l'exception, en dehors de l'étage subhumide dont les surfaces emblavées couvrent à peine 400.000 ha. Il s'agit là d'une donnée structurelle qui doit nous inciter à assurer la bonne conservation du surplus, suite aux années d'abondance pour passer le cap des années de vaches maigres. Ce qui signifie qu'il importe d'accroître dans de fortes proportions la capacité actuelle du pays en matière de stockage de céréales. Car le potentiel de production peut être le double de l'actuelle récolte, comme aurait pu être le cas durant l'année agricole 1995-1996 avec une pluviométrie aussi généreuse que régulière dans tout le pays (du nord au sud), n'eût été le développement extraordinaire des maladies des céréales qui avaient entraîné une baisse moyenne de production presque de 50%.
Comme il est temps d'améliorer la fiabilité des techniques d'estimation pas seulement de la production céréalière mais aussi de toutes activités d'ordre économique. D'autant qu'on dispose à l'heure actuelle d'outils performants avec l'avènement de la révolution numérique et des satellites géostationnaires.
Voilà un domaine qualifié de post récolte, plus ou moins délaissé, plus ou moins frappé d'opacité et dont on parle peu. Il mérite cependant réflexion et attention de la part des principaux partis, candidats aux prochaines échéances électorales.
* Universitaires.
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