Mohamed Chawki Abid écrit – Les actions préalables à toute éventuelle demande de financement extérieur du Plan Jasmin.

Il y a des préalables à toute décision de «prise de nouvelle dette extérieure» :

• audit des comptes de l’État, et particulièrement des dettes extérieures ;

• remue-ménage des comptes de dépenses, et identification des gisements d’économie (cost killing), particulièrement au niveau du chapitre des importations et du budget de l’Etat ;

• diagnostic de l’endettement actuel (structure, coût, maturité, conditions d’affectation...) ;

• recherche d’opportunités de mobilisation de ressources internes stables pour couvrir le maximum des besoins quinquennaux annoncés (125 milliards US$) ;

• évaluation de chaque projet de production inscrit au ‘‘Plan Marshall Tunisie’’ (produits ciblés, physionomie du marché, positionnement idéal, ressources humaines requises, simulation de rentabilité local + international, structure du coût d’investissement, schéma de financement optimum, tests de sensibilité, capacité de remboursement CLT, bilan devises...) ;

• évaluation de chaque projet d’infrastructure retenu (service offert à la collectivité, structure du coût, impact sur la création d’emploi à la réalisation et à l’exploitation, impact sur l’incitation à l’investissement de production, impact sur les Ide off-shore, impact sur les indicateurs sociaux, impact sur la valeur ajoutée sectorielle et le Pib global, schéma de financement viable…) ;

• planification des projets sur les 5 prochaines années ;

• consolidation des valeurs ajoutées générées ;

• simulation du Pib généré (local + export) et des emplois crées (local+export) ;

• évolution prévisionnelle du Pib global, décliné en Pib hors-export et Pib export (y compris tourisme) ;

• analyse prospective des fondamentaux économiques & financiers (création annuelle d’emplois, indices de pauvreté, pouvoirs d’achat, taux d’endettement des ménages, taux d’épargne, taux d’investissement, balance commerciale, balance courante, stock prévisionnel des Ide, coût des Ide on-shore, encours prévisionnel de l’endettement extérieur, ratio d’endettement, service de la dette, ratio du SdD, ratio Dette extérieure/Pib export…) ;

• autres diligences (techniques, économiques, financières, fiscales).

Structuration et évaluation du plan

L’objet de nos propos n’est pas de refuser tout recours à l’endettement, mais de s’opposer à toute précipitation aveugle à l’endettement extérieur. En effet, l’endettement est certes nécessaire pour boucler le schéma de financement d’un programme d’investissement, pourvu qu’on puisse assurer son remboursement (en dinars ou en devises). Pour ce faire, je pense que des préalables sont à entreprendre avant de décider de l’opportunité d’un recours à des prises de dettes en local ou à l’étranger. Le mixe [fonds propres/endettement] dépendra donc de la capacité de remboursement des crédits par les revenus futurs générés par le cumul investissement à financer. Ceci suppose que l’investissement a bien passé les tests de viabilité économique et de rentabilité financière, et ce, dans le cadre d’une étude d’opportunité prévisionnelle.

En outre, si l’endettement est extérieur, son remboursement se fera nécessairement en devises, par le biais des revenus exports dudit investissement, déduction faite des dépenses d'importation (équipement, MP, know how…).

Par conséquent, et à mon avis, notre Plan Jasmin devrait être décomposé en 3 familles de projets (production pour marché local, production pour l’export, infrastructure) en vue de décliner analytiquement les mécanismes de financement appropriés, et de regrouper in fine les besoins de financement suivant 3 familles (ressources publiques, endettement intérieur, endettement extérieur).

Cependant, et par souci de maîtrise de nos besoins d’endettement, surtout extérieur, une revue des ressources publiques ne serait-elle pas vivement recommandée, pour identifier a priori des poches inexploitées (ou insuffisamment exploitées) de recettes fiscales et douanières ?

En outre, un audit préalable de notre endettement extérieur ne s’avèrerait-il pas nécessaire, par souci de sa réadaptation à nos fondamentaux économiques et d’accommodation de notre balance commerciale dans une logique de consolidation des grands équilibres ?

Enfin, et quant aux Ide, il n’est plus à démontrer que l’opportunité économique n’est justifiée que pour les projets exportateurs à haute & moyenne valeur ajoutée, avec toutefois une contribution fiscale au coût des infrastructures utilisées.

Mécanismes de financement alternatif  

Avant d’envisager le recours éventuel à l’endettement extérieur, il serait indiqué de prospecter des gisements de ressources peu ou pas exploités à ce jour, dont notamment :

- la réalisation d’économies de dépenses : taille dans les dépenses publiques, compression de certaines rubriques budgétaires, réduction des importations de biens & services superflus… Cette dernière mesure contribuerait à l’équilibre de la balance commerciale ;

- l’équité et la transparence fiscale permettraient à la fois de réduire la pression sur les salariés, d’élargir le périmètre des assujettis à la Tva aux activités encore exonérées, et d’améliorer les recettes sur les entreprises et gros revenus par un éventuel relèvement du taux I/R atténué par un abattement en cas de déclaration spontanée (50% à 35% ou 30%) ;

- l’amélioration des recettes douanières à la faveur de la négociation avec l’Union européenne (UE) et l’Organisation mondiale du commerce (Omc) ;

- l’instauration d’une phase de convalescence durant laquelle on rétablirait partiellement les barrières tarifaires sur les produits de luxe et/ou les produits de la Liste 4 (établie en 1995 : articles manufacturés ayant des similaires fabriqués localement, sans être compétitifs), et ce, le temps que la Tunisie sorte la tête de l’eau ;

- l’amorçage et le développement de l’épargne nationale, via l’émission d’un ou plusieurs emprunts obligataires, assortis d’avantages fiscaux ;

- la privatisation d’entreprises publiques à des consortiums d’hommes d’affaires homogènes, pour éviter de les brader à des multinationales et surtout d’être contraint de transférer leurs profits en devises ;

- la cession des biens mal acquis par la famille du président déchu, à des résidents ou non, sous réserve d’aucune incidence négative sur le bilan «devises» dans l’avenir ;

- la revue des contrats passés avec les Ide, notamment les compagnies pétrolières (taxation et répartition des profits) et les entreprises travaillant sur le marché local (plafonnement de profit à transférer).

Quant au recours éventuel à l’endettement extérieur, il sera examiné comme dernière solution, pour boucler le schéma de financement du Plan Jasmin, avec toutefois une affectation optimale aux projets exportateurs.

Instructions accompagnatrices des financements Fmi & Co

«Un prêt extérieur est favorable si et seulement si son impact sur la balance commerciale garantit son remboursement, sans l’ombre de conditions contraignantes».

Les machines d’asservissement type Fmi ou autres assortissent leurs «aides» de conditions abusives, ayant trait principalement aux points suivants :

• une tarification excessive selon le rating pays récemment rétrogradé (speculative investment) ;

• des conditions préalables avant déblocage : prise en charge de délégations d’auditeurs, affectation d’experts du G8 pour l’élaboration d’études ;

• des conditions en matière d’affectation des fonds : know how G8, normalisation G8, biens d’équipements d’origine UE en général ;

• des conditions en matière de priorisation des projets d’infrastructure et de production ;

• exigence en matière de gestion des affaires étrangères : rester gentil avec Israël, ne pas soutenir les révolutionnaires palestiniens…

En intégrant ces conditions, le coût du financement groupe Fmi devient excessif.

Opportunité économique et intérêt national

«Ide économiquement bénéfique si et seulement si ils concernent une activité exportatrice s’acquittant de sa contribution citoyenne».

L’Ide sera très intéressant pour le pays s’il est affecté à un projet totalement exportateur, et on parle d’Ide off-shore, le règlement de dividendes n’a pas d’impact sur la balance de paiement (d’ailleurs insignifiant par le jeu de tarification input/output).

En revanche, quand il s’agit d’Ide on-shore (Tunisiana, Orange Tunisie, Tunisie Telecom, les 4 cimenteries privatisées, Délice-Danone, Unilever, Henkel, Astral...), les dividendes tirés sur des bénéfices de ventes locales (en dinars), sont convertis en devises pour être transférés à l'étranger.

Les analyses comparatives révèlent que les Ide coûtent 2,5 plus cher que l’endettement extérieur, soit environ 12% du capital ou 5% du Pib, contre respectivement 4,5% de l’encours et 2% du Pib. Si notre endettement extérieur représente environ 37% du Pib, les Ide pèsent 40% du Pib. Si le loyer de notre endettement extérieur a progressé parallèlement au Pib durant la dernière décennie (1 milliard $ en moyenne, soit 2% Pib), les dividendes des Ide ont progressé 2 fois plus vite que le Pib, décalage à combler en contractant un crédit extérieur, d’où un service de dette additionnel à régler ultérieurement. Le montant des dividendes en devises transférés (2,6 MdD en 2007) devrait dépasser les 3 MdD avec le développement des activités des Ide on-shore, télécom particulièrement (ayant une croissance double de celle du Pib).

Si on continue à céder les fleurons de notre économie (on-shore) aux Ide, les dividendes transférés accroitront rapidement pour dépasser le service de la dette extérieure (principal + intérêt).

En définitive, au delà des 2,8Md$ de services de la dette extérieure, nous devons payer des dividendes en devises pour des Ide on-shore pour environ 2,5Md$ (soit 6% du Pib, soit un coût du capital > 12%). Avec la montée en croissance des 3 compagnies de téléphonie et des 4 cimenteries, les dividendes Ide on-shore dépasseront le service de la dette à partir de 2012.

En fait, l’endettement extérieur et les Ide devraient être adossés à la composante export des projets à financer, pour s’assurer de la neutralisation prévisionnelle du bilan devises.

Menaces à la souveraineté nationale  

Les menaces de l’application du Plan Jasmin tel que conditionnée par le groupe Fmi/G7, sont nombreuses ; on peut noter les 10 principales classées par ordre chronologique :

1) prise d’une overdose de crédits, entrainant le pays dans la spirale du surendettement ;

2) maintien du sur-libéralisme économique (Comex, Ide, Transferts…) ;

3) privatisation au profit des multinationales des vaches à lait restantes (Tuntel : 67%, OT5 : 1%, Tunisiana : 25%, Ciok, Scb, CC...), pour pouvoir satisfaire les bailleurs de fonds ;

4) remboursement des échéances exigibles 2012/2013 par le produit desdites privatisations ;

5) bradage des activités exportatrices & tourisme pour générer des recettes devises et garantir le règlement de service de la dette... ;

6) vente des terres & infrastructures (ports, aéroport, autoroutes) ;

7) bradage des ressources solaires ;

8) détérioration des services publics et de la couverture sociale ;

9) fuite des cerveaux ;

10) surendettement des ménages et esclavagisme de la population (dépendance et misère).

D’où une nouvelle forme de colonialisme «démocratique» et respectant la charte des droits de l’Homme. «Qui fait l’âne ne doit pas s’étonner si les autres lui montent dessus» [Proverbe chinois].

Lire aussi:
Les dessous du Plan Jasmin (1-2)