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Pour en finir réellement avec le djihadisme en Tunisie

Manifestation de salafistes sur une plage de Hammamet en 2012 (Ph. Brahim Chanchabi). 

Plus que du retour des terroristes, nous devons nous inquiéter des manœuvres dilatoires de leurs commanditaires et financiers islamistes, qui phagocytent nos institutions.

Par Hédi Chenchabi *

Après un silence officiel affligeant sur ce dossier du retour annoncé des djihadistes, qui a nourri la polémique pendant plusieurs semaines, et comme pour prévenir un vent de colère imminent, le gouvernement a enfin répondu, mais en partie, aux questions légitimement posées par une frange de la société civile et de la scène politique. Mais cette réponse, tardive et incomplète, traduit un malaise réel et l’opinion mérite d’être mieux informée sur les éléments du débat à propos de cette question et du mode de gouvernance actuel en Tunisie.

La constitution prévoit des garde-fous

Depuis les élections de 2014 et l’alliance stratégique nouée entre Nidaa Tounes, fondé par le président de la république Béji Caïd Essebsi, et le parti islamiste Ennahdha, à travers son puissant président Rached Ghannouchi, les Tunisiens se sont retrouvés face à une direction à deux têtes, avec une répartition des tâches entre l’un et l’autre personnages forts du pays.

En ce qui concerne la gestion du dossier des djihadistes tunisiens ayant loué leurs services à l’organisation terroriste de l’Etat islamique (Daech), le président Caïd Essebsi a cru pouvoir affirmer que ces derniers, en quittant les terrains de leurs horribles crimes, en Syrie, en Irak et en Libye, ont le droit de retourner en Tunisie. Ce droit, a-t-il souligné, est garanti par la constitution tunisienne, ainsi que par le droit international. Son complice et allié islamiste a abondé dans le même sens, en montrant de l’indulgence pour ces «enfants égarés», «nos enfants», symboles de l’«islam en colère», selon ses termes, éventuellement éligibles à une procédure de pardon («tawba»).

On doit, cependant, souligner que la constitution du 27 janvier 2014 ne garantit pas aux terroristes le droit au retour, comme le laissent croire les conseillers du président de la république. En effet, si son article 25 stipule qu’aucun citoyen ne peut être empêché de revenir dans son pays, ce droit peut être restreint par la loi, et ce, d’après les termes de l’article 49 de cette même constitution, que nous citons ci-après et qui se passe de tout commentaire ou interprétation : «Sans porter atteinte à leur substance, la loi fixe les restrictions relatives aux droits et libertés garantis par la constitution et à leur exercice. Ces restrictions ne peuvent être établies que pour répondre aux exigences d’un Etat civil et démocratique, et en vue de sauvegarder les droits d’autrui ou des impératifs de la sûreté publique, de la défense nationale, de la santé publique ou de moralité publique, tout en respectant la proportionnalité entre ces restrictions et leurs justifications. Les instances juridictionnelles assurent la protection des droits et libertés contre toute atteinte».

Le projet nahdhaoui d’islamisation de la société

Ennahdha et ses dirigeants estiment que la question du retour des terroristes doit être traitée dans le respect du droit, national et international, et si aucun d’entre eux n’a ouvertement parlé de la promulgation d’une loi de la «tawba» pour accorder le pardon aux éléments dont les mains ne sont pas tachées de sang et qui exprimeraient le remord d’avoir rejoint des groupes extrémistes, cette idée n’a pas moins été évoquée en coulisses.

D’ailleurs, des dizaines pour ne pas dire des centaines de terroristes sont déjà revenus en Tunisie après avoir été chassés des pays qu’ils ont mis en ruine, sans contrôle, ni enquête, ni jugement ni incarcération. Ils ont échappé à la vigilance de la police et sont passés à travers les filets, bénéficiant, sans doute, de complicités voire de la protection de quelques parties. Par qui sont-ils protégés? Par qui sont-ils soutenus? Mesure-t-on la menace qu’ils représentent pour la population civile et pour les Tunisien(ne)s qui rejettent leur vision du monde, leur barbarie et leurs crimes? Et que pensent les Nidaistes, alliés des islamistes, de cette situation dont ils assument aussi la responsabilité?

En attendant d’avoir des réponses à toutes ces questions, les médias peuvent s’alarmer, la caravane djihadiste passe, s’installe et menace à terme notre pays d’une «somalisation» rampante, comme nous en a avertis le syndicat des forces de sécurité intérieure, en mettant en garde contre un retour massif des terroristes tunisiens.

Comment protéger la Tunisie ?

La posture de certains, qui consiste à toujours relativiser les menaces et à s’aplatir béatement devant les deux complices et maîtres actuels du pays, est irresponsable et choquante.

La société civile et les patriotes se doivent de réagir et d’inverser les termes du débat, d’autant que la constitution leur donne raison. Les calculs politiciens ne devant pas banaliser les menaces sur nos vies et nous imposer une islamisation rampante, nous devons nous interroger sur les mesures à prendre pour empêcher le retour des terroristes avec la garantie de l’impunité, notamment ceux qui ont commis des crimes avérés. Et qui, en rejoignant Daech, ont renié leur appartenance à notre pays.

La prise en charge de ces bombes humaines ne doit pas être du seul ressort de la Tunisie, car ces terroristes aguerris et qui ne changeront pas constituent une menace pour la paix en Afrique du Nord, en Méditerranée et, par conséquent, en Europe et dans le monde. L’Union européenne (UE) et les Etats-Unis sont concernés par leur sort, parce qu’ils les ont longtemps soutenus contre le régime de Bachar El-Assad en Syrie, ainsi que les pays du Golfe, qui les ont financés et continuent de le faire pour, espèrent-ils, faire capoter le processus des «printemps arabes».

Le débat autour de cette affaire concerne, également, l’ensemble de la société tunisienne, qu’il renvoie à des questions essentielles. Peut-on accepter le repentir de terroristes qui ont tué, violé et détruit des pays entiers, des civilisations et des minorités ? Quel avenir pour un pays qui traverse une grave crise économique, sociale, culturelle et politique et qui accepterait, comme il l’a fait jusque-là pour les corrompus, d’accorder l’impunité à des criminels et à ceux qui les ont mobilisés et commandité leurs crimes? Peut-on accepter plus longtemps que les rouages de l’Etat et de l’administration soient phagocytés par les islamistes, qui n’ont jamais abandonné leur projet obscurantiste initial, au prétexte que les partenaires et les bailleurs de fonds internationaux cherchent à garantir une place à l’islam politique dans les pays du printemps arabe? Comment les forces majoritaires au parlement peuvent-elles prétendre veiller à la préservation de nos institutions et de notre modèle de société, sans agir sur cette situation pour empêcher l’obscurantisme de s’installer dans nos vies et nos institutions?

Sur le fond, ces forces politiques interchangeables à souhait sont, peut-être à leur insu, au service de la confrérie des Frères musulmans qui estime que l’heure de l’islamisation de la Tunisie et du dé-tricotage du legs moderniste de Bourguiba est venue. Le débat sur le retour des djihadistes va-t-il enfin faire tomber leurs masques ou nous faire vivre, encore une fois, la mascarade du consensus Nidaa – Ennahdha au détriment de l’intérêt national?

Identifier les causes de la montée du djihadisme

Face à l’amnésie volontaire, aux «trous de mémoire» et aux mensonges avérés de certains de nos dirigeants politiques, ce débat doit apporter des réponses aux questions suivantes : Qui a encouragé l’islam politique, le salafisme et le djihadisme, et mené des campagnes haineuses et violentes contre les femmes, les intellectuels, les artistes et tous les citoyens hostiles à l’obscurantisme? Qui a cherché à justifier voire à légitimer les assassinats politiques et les atteintes à nos libertés? Qui a encouragé en sous-main les attaques contre les fondements de la république, contre tout ce qui fait notre modèle de société ouverte et tolérante, contre notre «tunisianité»? Qui a encouragé ces futurs Daechiens à s’entraîner dans nos montagnes, à s’armer et à tuer nos enfants et nos soldats?

Ces promoteurs du terrorisme islamiste ne sont-ils pas ceux-là même qui, aujourd’hui, cherchent à faire voter une loi de la «tawba», comme des criminels qui cherchent à effacer toute trace de leur implication dans le crime.

S’il y a une loi s’impose, aujourd’hui, c’est celle qui permet aux langues de se délier, de désigner les commanditaires des crimes terroristes, de dénouer les inextricables réseaux criminels islamistes (ceux qui embrigadent, financent, entraînent, arment, désignent les cibles, etc.) et démasquer les «véritables tueurs», ces agents des pays du Golfe, qui, eux, vivent parmi nous, squattent nos institutions et nous préparent un avenir de feu et de sang.

* Militant associatif et politique.

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