«Rached Ghannnouchi est un homme sage et patriote. Je le respecte et je respecte son parcours», a indiqué le président de Qalb Tounes, Nabil Karoui, en affirmant que son parti n’a aucun problème avec le parti islamiste Ennahdha, ni avec son satellite, encore plus extrémiste, la coalition Al-Karama, présidée par le sulfureux avocat Seifeddine Makhlouf. Les aveux d’un homme aux abois…
Par Yüsra Nemlaghi
Dans une interview diffusée dans la soirée du dimanche 7 juin 2020 sur Hannibal TV, Nabil Karoui, qui commentait la situation politique et notamment l’appel d’Ennahdha à élargir la coalition gouvernementale, a assuré que Qalb Tounes n’a jamais eu de problème avec le parti présidé par Rached Ghannouchi.
On rappellera cependant, pour mémoire, qu’avant les élections législatives de 2019, les dirigeants de Qalb Tounes, et M. Karoui le premier, avaient juré ne jamais s’allier avec Ennahdha, qu’ils ont accusé d’être responsable de tous les maux de la Tunisie depuis 2011, avant de changer totalement de position, après les élections, et de voter pour Rached Ghannouchi, lui offrant la présidence de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).
Hypocrisie, schizophrénie et retournement de veste
«On nous accuse d’être à la solde d’Ennahdha alors que c’est ceux qui nous accusent qui le sont. Attayar, Al-Chaab et Tahya Tounes travaillent tous les jours avec Ennahdha, mais il semble qu’ils ne l’assument pas. il y a une sorte de schizophrénie», a-t-il dit, en estimant qu’il y a beaucoup d’hypocrisie sur la scène politique actuelle : «Mohamed Abbou n’avait pas cessé de dire que Chahed est corrompu et aujourd’hui Attayar et Tahya Tounes gouvernent ensemble, pareil pour Al Chaab qui a passé sa campagne électorale à critiquer Ennahdha. Ces gens ne sont pas sérieux», a dit M. Karoui, qui fait aujourd’hui des mains et des pieds et les fait les yeux doux à Ennahdha pour intégrer le gouvernement et y siéger aux côtés des mêmes partis : Attayar, Al Chaab et Tahya Tounes. Et cela, bien sûr, n’est pas de l’hypocrisie. Ce n’est pas de la schizophrénie non plus !
Nabil Karoui, une grande girouette devant l’Eternel, a ajouté que son parti n’a pas de problèmes avec les autres partis, à part Tahya Tounes : «C’est le gouvernement Chahed, dont Ennahdha faisait partie, qui m’a mis en prison et m’a collé l’étiquette de la corruption. D’ailleurs si je n’avais pas été écroué, Qalb Tounes aurait très probablement remporté les législatives et la présidentielle».
La journaliste a ensuite interrogé son invité sur les récentes déclarations du dirigeant Ennahdha, Abdellatif Mekki, ministre de la Santé, qui avait, sur le même plateau, appelé Qalb Tounes à régulariser sa situation, citant notamment les activités douteuses de l’association de M. Karoui (Khalil Tounes) et sa chaîne (Nessma), ainsi que les affaires de corruptions dont il est accusé, pour que son parti puisse intégrer la coalition gouvernementale.
Qalb Tounes et Ennahdha ont tout pour s’entendre
Les déclarations de Mekki ont mis mal à l’aise le président de Qalb Tounes, qui s’est rapidement retourné contre Ennahdha, en rappelant notamment l’enquête ouverte par la justice sur l’organisation secrète du parti islamiste…
«Que puis-je lui répondre à part qu’Ennahdha a plusieurs chaînes de télévision, des associations caritatives et aussi des problèmes avec la justice, notamment l’affaire de l’organisation secrète», a-t-il lancé, comme pour dire : nous sommes logés à la même enseigne, et rien de nous empêche de nous entendre ! Et M. Karoui d’ajouter sur un ton vengeur : «M. Mekki ferait mieux de s’occuper de son travail, le travail pour lequel nous le payons d’ailleurs. Dieu a préservé la Tunisie du coronavirus. Nous nous apprêtions à le combattre et il s’est combattu lui même, et on ignore comment et pourquoi. Le ministre se pavane de plateau en plateau, faisant presque croire que c’est lui qui a lutté contre la pandémie. Mais il ferait mieux de nous dire où sont les 400.000 tests de dépistage, les masques et les dons versés par le peuple».
Le patron de Nessma poursuit sur un ton nerveux : «Ce sont les soldats en blouse blanche qui ont combattu le virus, ce n’est pas lui et ils s’apprêtent d’ailleurs à observer une grève parce qu’ils sont mécontents de la situation du secteur. Puis, nous à Qalb Tounes, nous avons beaucoup travaillé et aidé lors de cette crise sanitaire».
Le chef de Qalb Tounes est aussi revenu sur les poursuites judiciaires dont il fait l’objet en affirmant, comme il l’a toujours fait, qu’il est victime d’un complot et que son arrestation était une pure décision politique décidée uniquement suite à une pression exercée par Youssef Chahed, lorsqu’il était chef du gouvernement.
«J’ai confiance en la justice et si j’avais commis des abus, on m’aurait de nouveau arrêté. Ceux qui m’accusent de corruption sont les premiers corrompus», a-t-il encore accusé, sans pouvoir expliquer pourquoi ses comptes bancaires sont toujours gelés et lui interdit de voyage.
Les louvoiements d’un homme aux abois
Sur un autre plan, la journaliste a demandé à Nabil Karoui son avis sur le chef d’Ennahdha, question à laquelle il répondra par cette courte phrase : «Rached Ghannouchi est un homme sage et c’est un patriote. Je le respecte et je respecte son parcours».
M. Karoui a également assuré que son parti ne cherche pas le pouvoir à tout prix mais il acceptera d’intégrer le gouvernement, à condition que son programme soit appliqué : «Si on nous propose de rejoindre le gouvernement, nous le ferons pour pouvoir changer les choses en appliquant notre programme. Nous ne pouvons pas nous y opposer parce que nous ne voulons pas trahir nos électeurs»…
Donc, si on a bien compris, M. Karoui, dont la plupart des composants du gouvernement ne veulent pas, se croit en mesure d’imposer ses conditions, comme si son entrée au gouvernement à laquelle il tient tant était déjà acquise. Car voulue par son allié et protecteur du moment : Rached Ghannouchi.
En fait, l’homme est aux abois et craint d’être rappelé bientôt par les juges, lui et son frère et associé Ghazi, pour répondre des éléments contenus dans leur lourd dossier judiciaire. C’est pourquoi il ne supporte d’être loin des coulisses du pouvoir. Sait-on jamais?
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