Bourguiba, dont nous avions fêté, le 3 août 2021, sans grand tapage, l’anniversaire de la naissance, avait toujours prévenu du danger des Frères musulmans. Maintenant que ces derniers sont laminés – ou en cours de l’être, même en Tunisie où on les croyait définitivement incrustés dans le corps de la nation et de l’Etat, nous attendons celui, et ceux, qui pourront sauvegarder et remettre en exergue l’œuvre colossale du bâtisseur de la Tunisie moderne; ceux qui nous rendront notre prestige perdu et notre rang parmi les nations.
Par Fawzia Zouari *
Est-il meilleure opportunité de fêter l’anniversaire de naissance de Bourguiba le 3 août 1903 qu’en ces jours succédant au 25 juillet 2021 ? Est-il occasion plus propice de lui rendre hommage que celle qui marque le revers infligé à ses ennemis et fossoyeurs de toujours ?
Ceux qui ont cru détruire notre fierté de Tunisiens et failli nous mener vers l’abîme; ceux qui ont voulu nous faire oublier que nous sommes les descendants directs de l’artisan du Pacte national et de l’ascenseur social, le pédagogue qui a choyé l’éducation et l’ordre du mérite, le décideur de réformes jamais entreprises au sein du monde arabo-musulman; Bourguiba qui a assuré notre place parmi les nations, de part notre Histoire, notre ambition à rejoindre le convoi de la modernité, l’effort de nos bâtisseurs et entrepreneurs de la République, le sacrifice d’hommes et de femmes qui savaient ce qu’était le sens du mot Patrie. Il nous avait permis d’avoir une élite des plus éclairées, une vraie donne culturelle, le programme d’émancipation des femmes le plus révolutionnaire, les plus brillants étudiants et fonctionnaires internationaux.
L’âme de cette Tunisie que les islamistes ont failli détruire
C’est cette Tunisie que l’emprise des islamistes a tenté de détruire et faire reculer de plusieurs siècles. C’est cette Tunisie que les disciples de Qaradhaoui ont voulu vendre par petits lots et tenté de couvrir, au lieu du drapeau national, de la bannière noire du wahhabisme, brandie par les tenants d’un califat mythique et de djihadistes forcenés. Une Tunisie qui en est venue à s’appauvrir et s’endetter, à mendier vivres, vaccins et deniers, alors que Bourguiba avait fait d’elle une nation digne, qu’il représentait par sa belle personne, au milieu des plus grands de ce monde, reçu en vrai chef d’État et leader du Tiers-Monde. Le grand raïs que l’on consultait comme un sage, des tribunes de l’Onu aux sommets de la Francophonie; des pourparlers avec les Palestiniens – qu’il accueillit sur notre sol, aux conseils avisés à ses pairs Sénégalais ou aux Mauritaniens. Lui, dont les indignes successeurs d’après la révolution de 2011 font rire le monde entier par leur incompétence, leur amateurisme, leur incurie, leurs basses manœuvres électorales.
Nous devions à Si Lahbib une jeunesse avide de connaissances et de culture qui allait partout demander le savoir. Et nous en sommes venus à une jeunesse formée pour tuer, en Syrie, en Europe ou en Afrique et qui a fini par constituer le plus gros contingent de Daéchiens au monde. Hier, l’immigrée tunisien en Europe ne faisait jamais parler de lui. Il n’était affiliée ni aux officines de l’islam, ni aux bas-fonds de la politique ou de la pègre. Il ne souffrait pas du complexe de l’ex-colonisé, au contraire, il était souverain dans sa tête, comme Bourguiba lui-même, et son intégration faisait exemple. L’idéologie islamiste a fait de lui le prototype du terroriste. Ou le candidat à l’émigration clandestine, qui «brûle» au péril de sa vie et pour un meilleur destin ailleurs; le diplômé, ingénieur ou médecin, s’exilant non par appétit du gain ou par désamour de son pays, mais parce qu’il ne peut plus exercer dans un contexte toxique marqué par l’irrespect, la pénurie de matériel, l’obscurantisme, le népotisme, le peu de crédit accordé à ses compétences.
Un peuple de nouveau raccordé à l’espoir
Enfin, partout dans le monde, des Tunisiens accédaient à des postes internationaux, grâce au lobbying de leur État. Aujourd’hui, qui soutient n’importe quelle candidature d’un Tunisien à l’internationale? Qui se préoccupe de la place et du visage de la Tunisie dans le monde? Qui s’émeut de l’avenir de nos enfants, ici et ailleurs?
Avant les autres, Bourguiba avait prévenu du danger des Frères musulmans. Maintenant que ces derniers sont laminés – ou en cours de l’être, nous attendons celui, et ceux, qui pourront sauvegarder et remettre en exergue son œuvre colossale; ceux qui nous rendront notre prestige perdu et notre rang parmi les nations; qui ne décevront pas la joie d’un peuple de nouveau raccordé à l’espoir et capable de redonner de l’intelligence et de la beauté au monde.
* Ecrivaine et journaliste.
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