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La Tunisie saura-t-elle honorer dignement la mémoire de Béchir Ben Yahmed ?


Rencontre à l’Hôtel Plaza New York, 22 Novembre 1956. À droite Allala Laouiti, Baccar Ayachi, Habib Bourguiba, Simone Ayachi, Habib Bourguiba Jr. À gauche Mustapha Abdessalem, Azzouz Mathari, Béchir Ben Yahmed (Ph. Fondation Habib Bourguiba).

Romancière, essayiste et chroniqueuse à ‘‘Jeune Afrique’’ depuis le milieu des années 1990, Fawzia Zouari a réagi à chaud hier, lundi 3 mai 2021, à l’annonce du décès du fondateur du magazine parisien, par un post Facebook que nous reproduisons ci-dessous et qui témoigne d’une grande amitié pour celui que ses collaborateurs appellent affectueusement BBY, une amitié faite d’un mélange de gratitude, de respect et d’affection.

Par Fawzia Zouari

Il y a des personnes qu’on croit éternelles. Et elles s’en vont. Béchir Ben Yahmed en fait partie. Jamais je n’aurais cru qu’il mourrait un jour. Notre dernière réunion de la rédaction remonte à quelques semaines. Il était là, vif et alerte, de corps et d’esprit. Il tenait la barre de la même main de maître, décidant de tout avec le même mordant et la même exigence.

Plus qu’un patron, c’était un ami, un père, un mentor pour moi. C’est dire si je ne me sens pas professionnellement orpheline. Je me sens orpheline tout court.

Je l’ai côtoyé pendant près d’un quart de siècle. Brillant, sévère, direct, une discipline sans faille. Tout le monde le craignait, mais il nous fascinait tous. On finissait par aimer ses ordres, ses colères, ses provocations.

Je me souviens du jour où je suis entrée pour la première fois dans son bureau. Il m’avait posé un ultimatum. C’était l’IMA ou ‘‘Jeune Afrique’’. Je brûlais les vaisseaux et il m’engageait.

Des années dans la «piscine» à apprendre le métier de journaliste dont je n’avais aucune idée. Et je me noyais souvent. Et je pleurais aussi, lorsqu’il jetait mes papiers dans la poubelle ou me disait que je n’étais pas faite pour ce métier. Certaines fois, quand j’en avais assez, j’allais le voir et demandais un répit. Je quittais le journal pendant des mois puis je revenais. Sa porte était toujours ouverte. Je recommençais. Il ne me complimentait pas pour autant. Il ne faisait pas de compliments. Le jour où il vous dit «Votre papier est publiable» vous pouvez être sûr que vous venez d’écrire le meilleur texte de votre carrière. Le jour où il vous appelle par votre prénom, vous pouvez considérer que c’est un bon jour.

Me concernant, quelque chose me faisait penser que, au fond, il m’aimait bien. Qu’il avait compris que j’étais du genre à ne pas mettre sous cloche. Que je pouvais partir et revenir dans la cage à ma guise. Que j’étais «incontrôlable» selon ses termes, mais loyale et honnête.

En réalité, derrière la façade de tyran, il y avait l’homme. Son cœur gros comme ça. Sa tendresse enfouie. Lorsque vous tombez, BBY vous relève. Il l’a fait avec des journalistes éprouvés par les aléas de la vie, le chômage ou la maladie. Il l’a fait lorsque Malek Chebel est venu le voir quelques mois avant de décéder d’une grave maladie. «J’ai encore des choses à dire, lui avait confié l’islamologue, et je n’ai pas la force de le faire». BBY avait tout mis en branle pour que Malek puisse réaliser son vœu d’écrire ses dernières pensées. Il m’avait alors chargée de faire ce travail qu’il avait publié à ses frais.

L’écrivaine et la journaliste que je suis lui doivent beaucoup. La Tunisienne aussi. Notre pays doit être fier d’avoir engendré un tel homme. Car il ne naît pas tous les jours un Ben Yahmed dans le monde. Nous attendons de voir, justement, comment la Tunisie, fût-elle aux prises avec des difficultés en tous genres, saura honorer dignement sa mémoire.

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