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Nidaa Tounes : Manigances au nom du père, du fils et des sans-esprit

Beji-et-Hafedh-Caid-Essebsi

Tapi dans l’antichambre du pouvoir, Ennahdha attend patiemment son heure pour prendre le pouvoir, en profitant de la déconfiture annoncée de Nidaa Tounes.

Par Tarak Arfaoui

La grande désillusion. C’est tout ce que l’on peut  dire actuellement en parlant de la crise qui secoue Nidaa Tounes. Son fondateur, le président de la république Béji Caid Essebsi, a été appelé à la rescousse pour jouer les pompiers, mais il semble que sa méthode Coué  n’a engendré que des couacs.

Les centaines de milliers de Tunisiens qui ont exprimé leurs suffrages pour que ce parti remporte haut la main les élections législatives sont incrédules et abasourdis devant la déliquescence qui s’est emparée de ses structures du fait des chamailleries et manigances sans fin de ses dirigeants et l’absence de solution viable qui se profile à l’horizon.

Un désastre politique

Ce scénario était peut être partiellement prévisible mais d’aucuns n’attendaient un tel désastre politique. En fait, Nidaa Tounes n’était pas un parti mais plutôt un rassemblement circonstanciel d’hommes et de femmes de différents horizons politiques parfois divergents que des circonstances ont réunis sous une même bannière.

Beaucoup étaient sincères mais une frange non négligeable était constituée inévitablement de politicards professionnels, d’opportunistes et de tirs au flanc cherchant à se positionner  dans un parti à fort potentiel pour s’octroyer quelques privilèges.

Ce qui est vraiment sidérant c’est que ces divergences sont fondamentalement des problèmes d’égos surdimensionnés et d’intérêts personnels. Les débats qui font rage  actuellement au  sein des instances du parti n’ont jamais été d’ordre politique ou idéologique. Je n’ai pas  entendu une seule fois les différents protagonistes intervenant dans tous les médias (plateaux TV, radio et journaux) débattre des problèmes  de politique générale, d’orientations stratégiques ou de crise sécuritaire ou économique. Partout on n’entend que des palabres et chamailleries transformées avec la durée de la crise en invectives de bas étage et en règlement de comptes. Ceci est vraiment indigne de la part d’adultes responsables, instruits et a fortiori hommes et femmes politiques dont les dérapages ont jeté un discrédit total sur le parti de la majorité.

Nidaa Tounes, à l’image  du pays qui est ingouvernable dans les circonstances actuelles du fait du système mis en place à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et du fameux «tawafek» (consensus), ne peut pas avoir de véritable gouvernance consensuelle.

Le père fondateur du parti, M. Caid Essebsi, clamant sur tous les toits que du fait de sa fonction présidentielle il s’en est complètement détaché, n’en tire pas moins en réalité toutes les ficelles. Avec cette crise nous avons découvert les vrai vertus d’«essebsisme»,  un savant mélange des défauts du bourguibisme sans malheureusement les qualités, et de roublardise politique avec un zeste  de populisme.

Non content d’avoir fourvoyé tous ses électeurs concernant son alliance avec les islamistes d’Ennahdha que personne n’attendait, ses prises de positions dans la crise  de Nidaa Tounes a de quoi inquiéter. Le désir de l’omnipotence, les décisions à sens unique (celui des intérêts de son fils Hafedh), l’attitude paranoïde teintée de paternalisme, l’entourage de mauvais conseillers non désintéressés, la présence d’une garde rapprochée familiale qui joue une partition clanique, sont autant d’ingrédients qui nous rappellent fortement les dérives de Bourguiba à la fin de son règne, et même, par certains aspects, celles de Ben Ali.

Une faune affamée de pouvoir

Pour régler la crise, M. Caïd Essebsi a tranché définitivement en faveur du clan de son fils Hafedh en lui déléguant les prérogatives du rapprochement avec les islamistes mais aussi avec les activistes de tous bords et la mise en échec des insoumis à sa ligne de conduite.

Avec tous mes respects pour le personnage, je me  demande quel mérite a Hafedh Caid Essebsi pour avoir autant de responsabilité dans le parti en dehors qu’il est le «fils de son père»? De quel passé de militantisme et de quelle expérience politique peut-il se prévaloir pour faire et défaire les carrières des uns et des autres dans le plus grand parti du pays? Ses rares apparitions médiatiques ont très vite révélé le vrai  calibre du personnage.

Avec toute sa bonne volonté, ce n’est pas en s’appuyant sur des opportunistes que Hafedh Caid Essebsi va réussir dans son entreprise de redressement du parti. En effet, ce n’est un secret pour personne que Nidaa Tounes est infesté par une véritable faune affamée de pouvoir. Il est facile de constater que les plus virulents dans cette crise sont les «militants» qui ont déjà fait du grabuge dans d’autres formations politiques dès qu’ils y ont mis les pieds en y semant la zizanie avant de les quitter. Les grands barons du monde des affaires s’y pavanent comme au bon vieux temps en s’appuyant sur des lobbies ex-RCD. Une racaille peu recommandable, engluée dans des affaires de trafic louche et même de terrorisme, essaye de s’y refaire une virginité. Des patrons de médias y sont entrés en  force en espérant quelques dividendes et quelques strapontins. Des  sous-marins islamistes y naviguent en mode stand-by. Les bonnes vieilles méthodes de l’ex-RCD ont rapidement ressurgi.

Dans les meetings, les dirigeants se comportent avec une mentalité de «viragistes» haranguant le Kop des irréductibles lors d’un derby de la capitale. La logistique d’un autre temps faite de rabatteurs, de bus de ramassage et de kermesse de «taballa et zakkara» sous bonne garde de barbouzes aguerris, a rapidement occupé la scène.

Ennahdha va rafler la mise

Ce folklore est malheureusement à l’image de nos hommes «politiques». La scène nationale est réduite à un cirque. Depuis la révolution, les soi-disant partis ne tiennent absolument pas la route et la majorité a disparu. Les CPR, Ettakattol et Joumhouri se  sont rapidement effrités et le plus grand parti du pays, Nidaa Tounes, est en train de l’être. Force est de constater que, malheureusement (?), le seul parti politique dans le pays digne de ce nom avec des structures solides, une hiérarchie respectée, des  militants engagés et disciplinés et un programme clair est le parti islamiste Ennahdha.

Tel un prédateur implacable, tapi dans l’antichambre du pouvoir, profitant de la faiblesse de ses adversaires, il attend très patiemment son heure qui, au train où vont les  choses, ne va pas tarder, pour prendre le pouvoir. On n’a que ce qu’on mérite.

* Médecin de libre exercice.

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