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Bloc-notes : Syrie, le glas d’un ordre mondial obsolète

Le drame de la Syrie sonne le glas du désordre mondial actuel, un ordre obsolète issu de la Seconde Guerre mondiale, qui a épuisé toutes ses vertus, pour peu qu’il en eût.

Par Farhat Othman *

Dans les rapports internationaux, ce qui est sérieux ne s’offre jamais au regard en premier; il est affaire de coulisses où l’on a loisir de jouer à sa guise comme des garnements, surtout à ce jeu de potaches gangsters se servant de leurs victimes asservies à leurs intentions coupables. Cela est vérifiable particulièrement en temps de guerre que Valéry qualifiait de «massacre de gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent, mais ne se massacrent pas».

La Syrie en est la meilleure des illustrations avec ses non-dits, mensonges éhontés et faux-semblants. Au vrai, le drame de ce pays sonne le glas du désordre mondial actuel, un ordre obsolète issu de la Seconde Guerre mondiale, qui a épuisé toutes ses vertus, pour peu qu’il en eût. En effet, le monde d’aujourd’hui ne peut plus se satisfaire des mauvais équilibres imposés à la va-vite en ce temps-là, dictés par les réalités des siècles passés ni des solutions bancales ayant été utiles un temps et pour un monde évanoui, car ne convenant plus.

Au-delà des attitudes politiciennes et idéologiques de qui s’accroche à des concepts obsolètes ne faisant plus illusion, tel celui de souveraineté et d’indépendance en notre univers globalisé, et partant de ce qui se passe en Syrie et autour d’elle, que peut-on donc dire et rappeler comme vérités et sur ce qui pourrait se faire, qui serait à terme salutaire concrètement ? En voici une recette, même s’il ne s’agit pas nécessairement de solutions immédiatement utiles, sans être toutefois inutiles, car il est bien une utilité dans l’inutile s’il est approprié au sens de l’histoire, étant utile un jour, et relevant dans l’immédiat de l’anticipation minimisant les catastrophes.

Réalité du désordre mondial

Ce qui se passe en Syrie et autour de la Syrie est un dramatique condensé bien éloquent des réalités du désordre mondial actuel. L’ordre obsolète du monde, ce désordre avéré, ne traduisant que les appétits des puissances d’un temps fini, celui des siècles révolus d’un Nord repu. Ayant épuisé les richesses du Sud pour construire sa puissance et sa domination, il s’évertue à les préserver en un temps où les foules arrachent le pouvoir qu’on exerce en théorie et en son nom.

En ces temps irrémédiablement évanouis, se targuant d’une mission civilisatrice, les puissances du jour se permettaient de s’inviter chez des peuples asservis dévaster leur culture et détruire leur pays au profit de la construction et de la consolidation de ceux de leurs colonisateurs. Un tel impérialisme est loin d’être fini, étant toujours d’actualité, n’ayant fait que devenir, au pis, virtuel, se logeant dans les mentalités des peuples dominés, manipulant leurs élites à la faveur d’un néo-colonialisme mental qui est le vrai sous-développement.

Celui-ci n’est plus qu’économique; il est un autre sous-développement bien plus grave qui est culturel; il est dans les symboles humains et se décline en termes de valeurs et d’éthique. On le voit bien avec cet Occident qui prétend, en Syrie et ailleurs, comme en Palestine, servir les droits de l’Homme quand il ne fait que les instrumentaliser à mieux servir ses intérêts les plus égoïstes.

Or, cela ne saurait plus durer en un univers où les masses sont de plus en plus assoiffées de droits et de libertés, comme de circuler librement, tout comme le faisait et le fait encore ce Nord allant où il voulait et le veut, s’y installant à sa guise. Il ne sert donc plus, sauf à aggraver la situation, à vouloir pérenniser le désordre actuel par la multiplication des foyers de tension; la sortie du désordre actuel devant être actée, car étant fatale.

En Syrie, en Irak et en Palestine, puis demain en Algérie éventuellement, on divise pour mieux régner et imposer les solutions des vainqueurs; et malheur aux vaincus! Et tout cela ne se fait qu’avec la complicité active, consciemment ou inconsciemment, des élites des peuples asservis; elle est ainsi très utile au maintien de points d’ancrage, comme en Palestine pour le Proche-Orient, où ce serait la paix qui menacerait le monde taillé à la mesure de l’Occident nanti et non la situation actuelle. En effet, la paix dessert les privilégiés du Nord arrogant, vivant au rythme d’un passé révolu et s’y attachant, mais aussi ses clones au pouvoir dans le Sud; car sinon c’est la ruine des immunités et privilèges actuels des uns et des autres.

Fatalité de l’impérialisme mondialisé

L’impérialisme occidental actuel ainsi que celui des puissances moyennes qu’il tolère pour faire diversion ne sont pas nouveaux; il ne sert donc à rien à s’égosiller à les dénoncer; c’est une constante historique dans l’ordre des choses surtout en notre désordre mondialisé. Les puissances dominantes d’un moment historique précis ont toujours tendance à servir leurs intérêts, ne se souciant que peu sinon pas de ceux des autres. Sauf à en limiter la portée par leurs propres valeurs si elles trouvent chez elles des justes en mesure de les maintenir vivaces. On en a vu les deux aspects dans l’Empire musulman du temps de la splendeur de la civilisation islamique ayant dominé le monde asservi à ses vues et à ses intérêts selon son propre impérialisme, juste parfois limité, mais jamais toujours, par l’attachement de certains de ses maîtres à leurs valeurs spiritualistes.

Par conséquent, il est pour le moins naïf aujourd’hui de se limiter à dénoncer l’Occident et sa violation de ses principes fondateurs mêmes, du moment qu’il ne fait que développer, et avec maestria, la politique internationale d’une puissance au vu de ses raisons impérialistes que la raison éthique n’a pas. Pourquoi vouloir de lui le respect de valeurs que ses contempteurs ne respectent pas dans leurs rapports avec leurs peuples ? Au lieu de pleurnicher sur le sort des victimes de l’impérialisme, que ne se soucie-t-on des complicités dont disposent ces impérialistes chez les élites du Sud à leur service et qui sont censées solidaires des victimes. Qui finance et encourage donc l’agression en Syrie ou le maintien de l’impasse en Palestine ?

De plus, si la Syrie est dans l’œil du cyclone aujourd’hui, n’est-ce pas aussi du fait du régime dictatorial imposé au peuple ? Et si la révolution dite populaire y a échoué, n’est-ce pas parce qu’elle a charrié des forces encore plus obscurantistes que celles au pouvoir risquant non pas d’emporter la dictature du président Assad, mais juste de se débarrasser de lui tout en gardant son système pour s’en servir ? Car ce qu’on veut, au final, c’est maintenir le peuple asservi à demeure, doublant le totalitarisme auquel il est asservi par un autre, le faisant passer d’une soumission à une dictature supposée civile vers une dictature renforcée, civile et religieuse.

D’ailleurs, toutes proportions gardées, on le voit bien en Tunisie où l’on continue à ployer sous la législation scélérate du dictateur déchu et qui se double de celle de la théocratie qui est en passe de contrôler le pouvoir local.

C’est, de même, le cas en Palestine où l’incurie arabe empêche le peuple palestinien de vivre en paix avec ses frères et soeurs sémites dans le cadre du partage international, seule légalité qui compte, ou d’une nouvelle et plus valide solution d’État unique fédéral, plus propice à la démocratie. Aussi n’arrête-t-on de dénoncer les turpitudes d’Israël alors que c’est du pain bénit pour ce dernier ne faisant que profiter de celles des Arabes pour perpétuer un statu quo tout bénéfice pour lui.

Pourtant, s’il est une fatalité de l’impérialisme, il n’en est point à être à son service. Cela ne consiste pas seulement à le dénoncer vainement, mais aussi à le servir en cinquième colonne. Certes, on n’a pas nécessairement les moyens de sa politique quand on est petit, asservi; on n’a pas moins et toujours le moyen de faire la politique de ses moyens en s’abstenant soit de contrer inutilement soit de s’aplatir totalement devant les intérêts impérialistes. Ce qui suppose et impose d’avoir le courage de refuser le désordre actuel en retournant contre les impérialistes leurs propres armes. Comme d’exiger le total respect de la logique libérale, exigeant l’ouverture des frontières aux humains, pareillement aux services et aux marchandises, ou de cesser de méconnaître la réalité tangible de l’État d’Israël pour contester enfin de manière crédible sa politique coloniale.

Matérialisme, religiosité et spiritualité

Outre de servir l’impérialisme, ceux qui le dénoncent mensongèrement en profitent et le consolident, l’impérialisme ayant de tout temps plus d’un tour dans son sac. Sa dernière trouvaille a été l’alliance avec les intégristes pour servir ses ambitions et ses intérêts. On en souffre en Tunisie; et on le voit en Syrie et ailleurs.

C’est le capitalislamisme sauvage, réédition de l’alliance qui a vu naître et prospérer le capitalisme quand il s’est réclamé de l’esprit du protestantisme ainsi que brillamment démontré par Max Weber.

La civilisation d’aujourd’hui est matérialiste à l’extrême et elle profite du mondialisme qui est une interdépendance irrépressible pour encore plus de marchés et donc plus d’affaires et de gains. En cela, l’Occident a su se jouer de la corde sensible des intégristes musulmans qui l’aident à faire de leur pays de simples souks où tout se vend et s’achète à vil prix. Voyez donc les affaires brassées par nos islamistes depuis la révolution ou la transformation physique des ministres, au lendemain de leur nomination, prenant irrémédiablement du gras et du poids pondéral à la faveur des délices du pouvoir !

Pour détourner l’attention, on joue et on se joue de la religion, devenue religiosité, un opium populaire, car le meilleur antidote au matérialisme excessif du monde reste la religion, d’autant que notre époque postmoderne incline vers le retour aux valeurs d’antan. Or, valeur refuge, la religion est un excellent argument de vente marketing chez les capitalistes sauvages et leurs clones islamistes. Ainsi veille-t-on à en faire une religiosité, le plus parfait allié du libéralisme dévergondé n’ayant plus en Dieu que l’argent. C’est la religion civile des capitalistes et leurs alliés matérialistes islamistes. Et c’est ce qui explique l’alliance au pouvoir en Tunisie, celles de coquins copains.

Or, s’il existe bien un terreau favorable en Tunisie à la spiritualité, il n’est nullement soluble dans la religiosité; ce qui doit être compris par qui aime véritablement ce peuple pauvre, mais digne pour y travailler sans se laisser tromper par qui ment sur la nature paisible du peuple, son âme hédoniste, nullement conservatrice.

Réordonner le monde

Heureusement, et contrairement à la Libye et l’Irak, la Syrie a su s’aménager des alliés fiables et puissants qui la protègent, notamment la Russie. Mais ne l’oublions pas, cette dernière a aussi ses intérêts dans le pays; aussi c’est un impérialisme qui contre utilement un autre. Mais ce qui compte, c’est le résultat. Peu importe si les uns sont aveugles à leurs valeurs et les autres servent leurs intérêts; l’essentiel est de faire la politique de ses moyens en attendant qu’il y ait enfin des justes de part et d’autre, ces politiques ayant une vision de justesse des intérêts de l’humanité pour réordonner le monde. Ce sera alors le temps de la poléthique, celui de l’éthique en politique ! Il s’agit bien d’un idéal réalisable que d’une utopie farfelue. Faut-il avoir le courage d’oser aller au-delà de ce qui semble n’être qu’utopique !

Tout un chacun peut et doit s’y essayer, et cela peut commencer par de petites choses, en apparence anodines, n’initiant pas moins la révolution impérative dans les mentalités. On le sait bien, tout est dans le détail. Nos citerons deux initiatives pour notre pays ayant leur poids en termes de retombées symboliques et pratiques.

La Tunisie se doit d’agir, ne serait-ce que sur le plan des principes et l’affichage politique, à réinstaurer la solidarité au cœur des relations internationales, ce qui peut et doit commencer par la revendication de l’ouverture des frontières par le recours à l’outil du visa biométrique de circulation, respectueux des droits de l’Homme quant à sa liberté de mouvement et des réquisits sécuritaires incontournables désormais.

Elle doit aussi avoir l’ambition affichée de faire évoluer les esprits en vue de réaliser la paix des braves en Palestine dans le cadre d’un seul État fédéral qui soit réellement démocratique, sans référence à la religion exclue du domaine public et devant être cantonnée en son domaine propre, le domaine privé, ainsi que l’esprit du monothéisme le commande.

* Ancien diplomate et écrivain.

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