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Bloc-notes: Au nom de l’islam, célébrer la Journée mondiale contre l’homophobie

La coïncidence du ramadan et de la journée du 17 mai est de bonne guerre pour dénoncer l’injustice faite aux gays au nom de l’islam qui est justice et n’est point homophobe.

Par Farhat Othman *

Le 17 mai de chaque année est célébrée mondialement la Journée de lutte contre cette injustice notoire qu’est l’homophobie. Or, la Tunisie ne fait toujours pas partie du concert des nations civilisées. Certes, certaines associations tolérées célèbrent de manière discrète la Journée et se suffisent de le faire; ce qui arrange les homophobes. Jusqu’à quand un tel déni du droit des gays à la différence doit-il continuer ? Surtout, comment accepter que se perpétue une telle hypocrisie avec une complicité objective des militants anti-homophobie alors que l’islam n’a jamais cultivé l’homophobie contrairement à d’autres religions ?

Erreur théologique et historique

La raison de cette honte est que l’on assimile l’homosexualité à la dépravation, continuant à prétendre l’islam homophobe. C’est d’ailleurs au nom de la morale islamique qu’a été adopté l’article 230 du Code pénal qui, à ce jour, condamne des innocents à la prison. Or, cet article est colonial; il a été adopté durant la présence française en Tunisie à un moment où la loi française était aussi homophobe et le restera jusqu’aux années quatre vingt du siècle dernier.

Au vrai, c’est l’esprit de la loi française qui a été étendu à la Tunisie durant le protectorat, puisque la Bible contient bien l’anathème contre l’homosexualité qui est bel et bien absent dans le Coran et la Sunna authentique.

On le vérifie avec la persistance de l’homophobie dans les sociétés occidentales travaillées par un retour des démons religieux intégristes malgré les lois libérales. Or, a contrario et nonobstant les lois scélérates répressives, l’homosexualité est toujours présente dans nos sociétés musulmanes comme cela a toujours été le cas.

Si aujourd’hui encore, la Tunisie applique l’article 230 du Code pénal, c’est plutôt au nom de la Bible et non du Coran correctement lu qu’elle le fait, puisqu’il a été amplement démontré que l’islam n’a jamais stigmatisé les gays. D’ailleurs, du temps de la criminalisation de l’homosexualité en Occident, ses gays venaient bien au Maghreb assumer en paix leur nature sexuelle. Et c’est en terre d’islam que ce sexe parfaitement normal a été le plus honoré, y compris par les religieux. N’est-il pas éloquent que les gays soient même présents au paradis en la personne des adolescents et des éphèbes ? Alors, comment continuer à interdire ce que Dieu admet pour ses bienheureux ?

De fait, en ce temps de confusion des valeurs, où l’on a repris en islam l’anathème biblique qui était universellement imposé par l’impérialisme occidental, nos jurisconsultes ne font que maintenir ce que leurs prédécesseurs ont importé en islam. Cela s’es fait de deux manières toutes deux erronées. D’abord, en interprétant mal les versets coraniques qui ne relèvent que du récit («al-qaças») القصص, ne pouvant donc en aucune façon fonder des prescriptions juridiques, les catégories du licite et de l’illicite en notre religion juste étant strictes, nécessitant une interdiction expresse. Or, il n’en est rien en cette matière.

Ensuite, nos jurisconsultes, appliquant l’esprit de la Bible, ont créé sur la base du syllogisme («al-qiyas») القياس le crime d’homosexualité en l’assimilant à l’adultère. Et ils ont alors fauté gravement en termes logiques, car ils ont osé jugé le crime inventé de toutes pièces bien plus grave que le crime étalon, sa référence.

C’est cela qui a, par ailleurs, rendu coupables de confusion éthique, rhétorique et historique nos ancêtres qui ont alors fait des gens de Loth un peuple pédéraste. N’est-ce pas une absolue monstruosité puisque, par définition, il ne peut y avoir de peuple gay du fait de l’absence de procréation ?

À la vérité, le peuple de Loth était une communauté de bandits de grand chemin; c’est bien pour ce crime qu’elle a été punie, non pour l’homosexualité qui n’était présente que chez une minorité de ses membres, comme cela a été et est toujours le cas chez les humains. Il se trouve juste que le Coran, qui est le chef d’oeuvre par excellence dans l’expression arabe, a fait usage d’une figure de rhétorique de cette langue bien connue consistant à étendre une qualité minoritaire à l’ensemble d’un groupe soit pour le dénigrer, ce qui est le cas ici, soit pour en faire le panégyrique.

Dénoncer utilement l’injustice homophobe

Une telle triple erreur, théologique, historique et axiologique, n’est plus tolérable alors que la preuve scientifique été administrée que l’islam n’a jamais été homophobe. Par conséquent, en une Tunisie qui montre la voie de l’excellence dans la saine compréhension de l’islam par un enracinement qui est à la fois dynamique, il importe aujourd’hui de cesser d’être injuste à l’égard des homosexuels, et ce au nom même de l’islam qui se veut être une justice en plus d’être une morale. Or, l’homophobie est une injustice flagrante et une immoralité hideuse indigne des valeurs de l’islam.

C’est en célébrant la Journée mondiale contre l’homophobie et en en parlant — ce qui est un devoir déontologique de la part des médias se voulant indépendants — qu’on aidera à sortir au plus vite de cette terrible confusion des valeurs qui n’a que trop duré, entretenant un crime qui dénature et la lettre et l’esprit de l’islam correctement interprété. Et c’est d’autant mieux indiqué qu’on est, cette année, au début de ramadan, le mois par excellence de la foi et de la piété, et qui commande donc d’être véridique et juste.

Il est bien temps d’oser parler autrement de l’islam que comme on le fait, notamment de la part des vrais croyants. Cela s’applique de même aux militants anti-homophobie, du moins ceux qui ne font pas que du business avec leur cause, mais qui se limitent à reproduire un discours et une stratégie copiés sur l’Occident laïciste n’ayant aucun écho en terre d’islam et en Tunisie.

Comment veut-on abolir l’homophobie quand on persiste à ignorer la religion à laquelle réfère la Constitution ? Comment vouloir abolir l’article 230 sans avoir dit et rappelé qu’il ne viole pas l’islam qui n’a jamais été homophobe ? Est-ce trop difficile à soutenir quand que c’est la stricte réalité historique ? N’est-ce pas aller dans le sens du faux discours des homophobes et le cautionner par défaut ?

En se limitant à dénoncer le crime homophobe eu égard seulement à sa violation de certaines dispositions civiles de la Constitution, sans prendre la peine de dire qu’il viole aussi ses autres dispositions relatives au respect des valeurs de l’islam, on condamne la militance anti-homophobie à l’échec. Bien pis, on se révèle les complices objectifs de ces homophobes dont le but est le maintien de la loi de la honte et de l’injustice et qui, rappelons-le, sont loin de n’être que des musulmans intégristes !

Dénoncer utilement l’injustice, aujourd’hui en Tunisie, revient à appeler au respect de toutes les dispositions de la constitution, y compris celles imposant la référence des valeurs islamiques, et ce en osant réclamer l’abolition de l’article 230 du Code pénal au nom de l’islam et comme un parachèvement de l’indépendance de la Tunisie en la débarrassant enfin de cette hideuse survivance de la colonisation.

Célébrer la Journée Ihsane Jarfi

Il est une bien belle façon pour les militants anti-homophobie de célébrer cette année dignement la Journée mondiale de lutte contre l’homophobie, sans imiter l’Occident souvent islamophobe et en se dédouanant du reproche de ne faire que du quant-à-soi stérile, allant dans le sens des homophobes. Elle consiste à appeler à célébrer en Tunisie et dans tout le Maghreb la Journée Ihsane Jarfi, du nom de ce jeune Maroco-Belge qui a été victime d’un crime à la fois homophobe et islamophobe en 2012.

C’est une journée de quête de justice pour l’islam et pour les gays qui s’est imposée en Belgique, à Liège, ville du martyr, grâce à l’activisme de la fondation portant le nom du jeune homme et de celui de son papa, un pieux musulman soufi, Hassan Jarfi. Il lui a, d’ailleurs, consacré un livre émouvant, ce qu’on appelle tombeau, qui est un véritable hymne pour l’abolition de l’homophobie en islam.

Appeler à célébrer la Journée Ihsane Jarfi en Tunisie et au Maroc pour commencer, ce serait célébrer, dans le même temps, la lutte contre l’homophobie et aussi contre l’islamophobie qui gagne de plus en plus du terrain en Europe, y compris les têtes supposées bien faites.

Le 17 mai 2018 pourrait donc être, à bon droit, célébré en terre d’islam, y compris par les religieux, en rendant hommage à ce jeune musulman pieux tombé victime de la haine des musulmans doublée de la haine des homosexuels. Aussi serait-elle ainsi, bien évidemment, la version musulmane de la Journée mondiale de lutte contre l’homophobie qu’on s’évertue à ignorer. Il est vrai qu’en Occident même, elle s’est un peu radicalisée, se retrouvant marquée par une sorte d’esprit excessivement laïciste qui ne serait pas gênant s’il ne sous-entendait une islamophobie occulte. Car l’islam est bien laïque à sa façon, réservant la foi à la sphère privée où le rapport avec Dieu est direct et exclusif, la sortant du coup de la sphère publique où elle n’a point droit de cité.

Célébrer la Journée Ihsane Jarfi, c’est donc célébrer tout autant le droit des gays que des musulmans à vivre librement leur sexe en étant attachés à leur foi et à leur culture. Or, en matière de sexe gay, surtout qu’il est de règle, en terre arabe, bisexuel, on ne peut maintenir l’anathème actuel que jette le mouvement LGBT sur l’islam qui, outre de n’être point homophobe, n’est pas qu’une religion.

* Ancien diplomate, écrivain.

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