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Bloc-notes : Quelle Tunisie après la fête de la femme?

Fête nationale de la femme, le 13 août 2017, Caïd Essebsi lance l’initiative de la création de la Colibe. 

Au lendemain de ce 13 août 2018, la Tunisie ne sera plus la même : soit elle renoue avec l’islam des Lumières et assure son salut, soit elle entre dans un avenir incertain, sombrant dans l’obscurantisme.

Par Farhat Othman *

La Tunisie est à la croisée des chemins; il n’est plus d’alternative. Le président de la République doit en être sûr et bien mesurer le poids de ses responsabilités en ce lundi 13 août 2018. Car la Tunisie ne sera plus la même après la fête de la femme de cette année. Il importe donc de faire le bon choix.

Déjà, après la ferme promesse de l’année dernière, l’égalité successorale doit être solennellement déclarée effective en Tunisie dès ce lundi, quitte à devoir attendre le délai légal d’un rapide alignement des textes juridiques. Ce qui suppose un projet de loi simple, facile à voter et à promulguer rapidement. Le président se serait-il mis d’accord avec le chef du parti islamiste sur un texte que n’empêcherait pas d’être voté son parti ainsi qu’il l’a fait avec la loi sur la fin de l’Instance Vérité et dignité (IVD)?

En tout cas, c’est ce que laisse indiquer la programmation de la manifestation des amis de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe), lundi en fin de journée, soit après que tout se soit déjà décidé le matin. Car ce genre de manifestation est supposé précéder la décision qu’il appelle de ses vœux. Les organisateurs auraient-ils obtenu des assurances les amenant à se réunir non pas pour réclamer, mais juste manifester leur joie?

Dans ce cas, que fêteraient-ils? Cela suppose-t-il que le président ait déjà décidé de soumettre le code de la Colibe au parlement, tout seul ou en plus du projet de loi précité? S’il ne doit s’agir que du seul code, serait-ce vraiment satisfaisant? Au vrai, cela ne saurait suffire, car un pareil code, eu égard à sa nature et à la lourdeur de la démarche parlementaire qu’il suppose, est propice à être enterré si l’on n’engage pas de suite des réalisations concrètes de nature à en annoncer et hâter le vote, soit une loi séparée soit, pour le moins, l’abrogation de textes administratifs en relation étroite avec les droits évoqués par ledit code.

Incarner la destinée de la Tunisie

La Tunisie étant faite femme, c’est du statut général des droits et des libertés individuelles dans le pays qu’il s’agit donc en ce 13 août pouvant être un moment historique de bascule d’un âge obscurantiste vers un autre lumineux, plein de promesses. Pour peu, bien sûr, que l’on fasse le choix qui s’impose! Ainsi, la mesure attendue doit déborder la stricte question de l’égalité successorale pour s’étendre à d’autres droits et libertés tels qu’en a parlé la Colibe. Béji Caïd Essebsi saura-t-il incarner le destin de la Tunisie d’être une exception? Est-il seulement en mesure de le faire ou se pourrait-il que ce soit l’inattendu Youssef Chahed, le président du Conseil? À moins que cela ne soit, mais alors dans le sens de la négation de cette destinée, Rached Ghannouchi. Ce qui signifie la dérive redoutée pour la Tunisie vers l’obscurantisme.

Si le président de la République ne le fait pas, le chef du gouvernement en aura-t-il l’audace ?

Le sûr, on l’a dit, si l’on veut prémunir le pays contre un tel péril, c’est que l’on ne pourra pas, en ce 13 août, ne pas prendre une sérieuse option sur la réalisation des principaux acquis humanistes en matière de démocratie citoyenne, comme l’abolition de l’homophobie et du test anal ou les restrictions quant aux libertés en matière d’alcool. Ce qui suppose, à tout le moins, la décision de rapporter toutes les circulaires illégales et les textes administratifs en la matière. M. Caïd Essebsi le fera-t-il?

Lors de la clôture de la conférence diplomatique, il a tenu un propos manifestement destiné à son chef de gouvernement, entonnant une sentence lourde de sens : «Un homme politique est préoccupé par les prochaines élections, tandis qu’un homme d’État se soucie des générations futures. Nous, nous sommes un État qui se soucie des générations futures, et nous tiendrons notre promesse».

En ce treizième jour de ce mois d’août, se soucier des générations futures, c’est bien évidemment engager résolument la Tunisie dans le sens de l’histoire. Ce qui impose que la tare de l’inégalité successorale soit immédiatement éliminée, se réalisant à marche législative forcée, sans nullement traîner. Ce qui implique un projet de loi bien ficelé à proposer au parlement pour un vote urgent. Nombre de projets existent, officiels comme officieux, le président n’ayant que l’embarras du choix.

Nos avons proposé, pour notre part, un projet de loi facile à voter, couplant à la réalisation de l’égalité successorale l’abolition de l’homophobie, question symbolique de l’acceptation du différent absolu. Il se présente sous la forme d’un texte consensuel, ne devant pas poser de problèmes majeurs quant au vote, car référant non seulement à la constitution, mais aussi à l’islam. Son intérêt est de débarrasser la Tunisie sans plus tarder outre de l’inégalité successorale de la honte homophobe, une tare du Moyen-Âge, reliquat du double ordre de la colonisation et de la dictature.

En une Tunisie plus que jamais femme, la fête de ce 13 août, pour être complète, doit être l’occasion d’en finir avec les monstruosités législatives, ces lois scélérates que l’on applique toujours et ces circulaires illégales qui ne peuvent plus continuer d’être en vigueur. Comme il l’a fait l’année dernière pour la circulaire en matière de mariage de la musulmane avec le non-musulman, le président de la République ne doit donc pas hésiter à donner des instructions pour que le gouvernement rapporte tous les textes administratifs devenus nuls et non avenus depuis l’entrée en vigueur de la constitution, comme ceux précédemment évoqués.

S’il ne le fait pas, il est permis d’espérer que le chef du Conseil ait le courage d’en prendre l’initiative! Son actuel rapport conflictuel avec le président de la République devrait l’y pousser. Ce serait bien une excellente occasion à saisir afin de consolider ses ambitions pour les futures échéances électorales. Certes, il pourrait hésiter du fait du soutien islamiste qui pourrait alors venir à lui manquer; mais rien n’est moins sûr eu égard au jeu d’équilibriste auquel s’adonne et continuera de s’adonner le gourou d’Ennahdha. Bien évidemment, il est tenté d’aller dans le sens obscurantiste de ses troupes les plus exaltées; mais il ne doit pas ignorer qu’il ruine ainsi ce qu’il a patiemment voulu construire en termes de démocratie islamique en Tunisie. Pour sûr, cela le fera réfléchir deux fois avant de s’engager contre le cours fatal de la destinée tunisienne qui est d’en finir avec l’obscurantisme, renouant avec l’islam des Lumières.

De l’obscurantisme à l’islam des Lumières

C’est un tel courage de nos politiques qui augurera, en Tunisie, une nouvelle lecture de la religion qui soit plus conforme à son esprit et à ses visées humanistes et universalistes. Car il est bien temps d’en finir avec la lecture qui prévaut actuellement qui, si elle doit perdurer, fera sombrer le pays dans l’obscurantisme le plus total.

N’oublions pas que Daech est non seulement près de nous, à nos frontières avec la Libye, mais qu’il est aussi parmi nous, se nichant dans les têtes de nos religieux intégristes et dans les cerveaux malades de certains de nos compatriotes, dont des responsables bien irresponsables. Il est temps qu’une telle faune se croyant musulmane sache que l’islam est tout autre, qu’il est une foi des droits et des libertés, l’islam des Lumières. Et c’est en cette fête de la femme que la preuve doit être courageusement administrée au nom même de la religion et de sa sauvegarde des faussaires qui en dénaturent le génie.

On l’a vu et on le voit à la veille de ce 13 août, la mauvaise foi est généralisée chez les ennemis d’une Tunisie véritablement démocratique où le vivre-ensemble doit enfin redevenir paisible. Les supposés musulmans manifestant contre les libertés individuelles et les droits citoyens ne sont que des ennemis de la foi d’islam. S’ils osent présenter le code proposé par la Colibe comme étant un danger pour la famille et une violation de la foi, c’est qu’ils ne font que défigurer l’islam qui, correctement interprété, va bien plus loin qu’un tel code parfaitement respectueux du Coran.

Ce samedi, lors de la manifestation des ennemis de ce code, on n’a vu que des excités, haineux et ennemis de leur foi, n’ayant pour horizon, à partir d’une lecture littérale devenue criminelle de l’islam, que l’instauration en Tunisie d’une théocratie. Qu’on y prenne donc garde, car de tels faussaires de l’islam réussissent à tromper les larges masses grâce à la complicité objective de leurs adversaires qui omettent de répondre à leurs critiques, préférant ne parler que de laïcité et n’user que d’arguments autres que religieux. Ce qui les fait passer pour des islamophobes, suppôts de l’étranger.

Il est bien un sens de l’histoire qui commande ce qui se passe en Tunisie et le rend fatal : une bascule inévitable vers les Lumières et la sortie assurée de l’obscurantisme actuel, qu’il soit politique, économique et idéologique, mais aussi et surtout religieux. C’est que l’islam tunisien a toujours été novateur, rarement dogmatique, et il doit renouer avec sa fibre humaniste, redevenir la foi des Lumières qui a présidé à la civilisation islamique.

Toutefois, une question ne se pose pas moins et qui est de savoir quand cette fatale bascule aura lieu et comment : rapidement, sans heurts majeurs ou au forceps et pas avant longtemps? Si la question est légitime, nous persistons à penser la délivrance rapide du fait de cette Tunisie plus que jamais féminine.

Faite femme, la Tunisie l’est non seulement parce que Bourguiba la voulue ainsi, mais parce que la femme est également l’avenir de l’humanité. Or, la Tunisie est un pays monde, condensant une vision de l’humanité qui sera solidaire ou ne sera plus. Avenir de l’homme, la femme l’est donc de même de la Tunisie.

Libre citoyenne grâce à Bourguiba, assurant à la Tunisie son aura actuelle dans le monde arabe et musulman, c’est cette femme libérée qui engagera la Tunisie, au travers de sa fête de cette année, sur la voie de l’humanisme intégral, ou continuera d’y lutter, empêchant la dérive vers l’obscurantisme s’annonçant alors encore plus grave, dévastateur.

La Tunisie véritable, celle de la majorité de son peuple, a la conscience vive, ouverte sur l’univers, et saura faire bloc contre un tel obscurantisme à l’image de sa vaillante femme, devenue Amazone d’un islam à faire revenir tôt ou tard à la foi des Lumières qu’il a déjà été et qui est sa destinée en cette terre tunisienne synonyme d’ouverture à l’altérité.

* Ancien diplomate, écrivain.

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