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La fin de mandat pathétique du président Béji Caïd Essebsi

Le discours du président de la république Béji Caïd Essebsi, hier, mercredi 20 mars 2019, à l’occasion de la célébration de la fête de l’indépendance, restera dans les annales de la seconde république tunisienne comme le summum de la condescendance, du cynisme et de l’irresponsabilité politiques.

Par Ridha Kéfi 

En fait, ce discours de près d’une heure pourrait être résumé en une seule phrase: «J’ai, certes, occupé le poste de président de la république pendant quatre ans et trois mois, mais je n’ai pas gouverné et je ne suis pas responsable de la détérioration de la situation générale dans le pays», qu’il a d’ailleurs pris soin d’illustrer en égrenant, avec une cynique jubilation, les mauvais chiffres du chômage, de l’inflation, du déficit commercial et autres glissement du dinar.

Les Tunisiens, qui ont donné leur voix à M. Caïd Essebsi et l’ont porté en triomphe, en 2014, à la magistrature suprême et son parti, Nidaa Tounes, au gouvernement, ont de bonnes raisons de lui en vouloir aujourd’hui de les avoir trahis et de leur avoir fait de fausses promesses. Ils savent aussi que les échecs essuyés, il en est, lui et sa smala, les premiers responsables pour s’être employés, depuis janvier 2015, à détricoter tous les rêves et les ambitions qu’ils avaient incarnés, lui et son parti, aux yeux des Tunisiens.

L’homme qui a trahi

M. Caïd Essebsi a beau se défausser,  aujourd’hui, avec une mauvaise foi évidente, sur son compère et allié de toujours, Rached Ghannouchi, le chef du parti islamiste Ennahdha, et sur le chef du gouvernement Youssef Chahed, qu’il avait lui-même choisi, les Tunisiens qui ont voté pour lui et pour son parti n’oublient pas qu’il les a trahis, car ils l’ont porté à la magistrature suprême sur la promesse faite solennellement à plusieurs reprises qu’il ne s’alliera jamais avec les islamistes ou, mieux, qu’il leur fera barrage. Or, l’encre électorale n’a pas encore séché sur le bout de l’index des électeurs qu’il s’est jeté, lui et son parti, dans les bras des islamistes.

Ces islamistes, qu’il présente aujourd’hui comme des adversaires, M. Chahed ne les a pas fait entrer aux palais de Carthage ni à celui de la Kasbah, il les y a trouvés, lors de son investiture, en septembre 2016. Celui qui a fait entrer le loup dans la bergerie c’est bien M. Caïd Essebsi, qui prit aussi soin de pousser son parti à faire de même, au grand désespoir de ses électeurs, qui ne le lui pardonneront pas.

Ces électeurs n’oublieront pas de sitôt l’interminable ballet de Ghannouchi et ses rencontres quasi-hebdomadaires avec le président de la république avec lequel il a toujours formé un binôme, alliés obligés certes, mais liés par un cynisme partagé et manœuvrant ensemble rarement pour le meilleur mais souvent pour le pire.

Les misères faites à Habib Essid et Youssef Chahed

Les Tunisiens n’oublieront pas, non plus, les misères que M. Caïd Essebsi a faites aux deux chefs de gouvernement qu’il a lui-même choisis parmi son entourage, Habib Essid et Youssef Chahed, hommes de confiance, intègres et loyaux, qui ont subi ses caprices de chef, ainsi que ceux de son fils, Hafedh Caïd Essebsi, bombardé entre-temps chef de Nidaa Tounes.

En hommes loyaux, ces derniers se sont soumis à ses diktats, avec une docilité qui nous paraissait injustifiable, le pouvoir exécutif étant davantage incarné, selon la nouvelle constitution tunisienne, par le chef du gouvernement que par le président de la république.

On se souvient de ces rencontres hebdomadaires au palais de Carthage pendant lesquelles M. Essid, puis M. Chahed, écoutaient religieusement le chef de l’Etat et recevaient ses instructions. C’était presque comique et rappelaient aux Tunisiens les fameuses rencontres hebdomadaires de l’ancien dictateur Ben Ali avec «ses» Premiers ministres.

Les deux hommes, à qui M. Caïd Essebsi et son fils firent avaler des tonnes de couleuvres et de boas, ont fini par comprendre que la pente est douce et qu’elle pourrait leur valoir des déboires politiques voire des problèmes avec la justice.

Souvenons-nous: le jour où M. Essid a résisté au désir de Caïd Essebsi père de remplacer l’ancien directeur général de la sûreté Abderrahmen Belhaj Ali, qui donnait pourtant satisfaction, le président de la république a inventé une instance inconstitutionnelle, appelée pompeusement «Dialogue de Carthage», un machin qui lui servit à contourner l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et à pousser le chef du gouvernement vers la porte de sortie. Et comme on s’y attendait, l’élite politique du pays, dont l’incompétence n’a d’égal que la stupidité, a mordu à l’hameçon à pleines dents. La suite on la connaît. Exit Habib Essid, bonjour Youssef Chahed. Mais comme on devait s’y attendre, ce dernier n’a pas tardé à subir le bizutage des Caïd Essebsi. Il a marché tant qu’il a pu, se soumettant, souvent à contre-cœur, aux desiderata du clan présidentiel, en essayant de sauver les apparences, mais il n’a pas tardé, lui aussi, à sentir le danger. Et c’est en déclenchant la guerre contre la corruption, en mai 2017, qu’il a signé son «arrêt de mort», au regard des Caïd Essebsi et de la smala des personnalités louches qui les entourent (les Chafik Jarraya, Nabil Karoui, Raouf Khamassi, Sofiene Toubel, etc.).

Le président qui utilise le syndicat contre le gouvernement

Contre toute attente, cette fois-ci, le «machin» du «Dialogue de Carthage», entourloupette politique servant au locataire du Palais de Carthage à se débarrasser des chefs de gouvernement récalcitrants, n’a pas fonctionné. Et pour cause: Ennahdha a refusé de marcher une nouvelle fois dans une combine qui risquait de déstabiliser le pays, au moment où il traversait une grave crise socio-économique. Car, entre-temps, M. Caïd Essebsi, utilisant tous les leviers pouvant l’aider à éjecter le chef du gouvernement, s’est acoquiné avec Noureddine Taboubi, le chef de la puissante centrale syndicale, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), qu’il réussit à remonter, comme on remonte une montre, contre Youssef Chahed et son gouvernement. Résultat: la Tunisie n’a jamais connu dans son histoire une si longue série de grèves dans le secteur public: éducation, santé, transport, fonction publique…

A-t-on jamais vu, dans l’histoire de l’humanité, un président de la république recevoir, presque chaque semaine, le leader du principal syndicat, pour l’utiliser contre… le gouvernement ? Cela, M. Caïd Essebsi l’a fait, sans état d’âme, avec tout le cynisme narquois et goguenard qu’on lui connaît. Avec les résultats catastrophiques pour le pays dont on supporte tous aujourd’hui les conséquences.

M. Caïd Essebsi a beau, aujourd’hui, alors que son mandat touche à sa fin, rejeter toute responsabilité personnelle dans les difficultés actuelles de la Tunisie et se défausser sur le chef du gouvernement, pour lui faire porter le chapeau du bilan calamiteux de ce quinquennat, les Tunisiens savent qu’il est le principal responsable des maux actuels du pays pour avoir cherché, pendant tout son mandat, à outrepasser ses prérogatives limitées, pour marcher sur les plate-bandes de l’Assemblée, de la présidence du gouvernement et même des institutions constitutionnelles. Ce faisant, il a, par ses interminables manœuvres et magouilles, empêché le pays de fonctionner normalement et le gouvernement de s’occuper de l’essentiel: la gestion des problèmes économiques et sociaux.

 

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