La Libye a décidé, avant-hier, de lever les obstacles financiers à l’entrée des Tunisiens en quête d’un emploi en Libye. On s’en félicite, certes, mais on regrette aussi que la libre circulation des hommes et des marchandises au Maghreb soit encore tributaire de décisions politiques conjoncturelles. Ridha Kéfi
«Le frère, le chef de la révolution (le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi), a donné ordre mardi au Comité général du peuple (le gouvernement) de prendre des mesures immédiates d’abolition des taxes et des obstacles administratifs et financiers à l’entrée» des Tunisiens en Libye, a rapporté, avant-hier, l’agence de presse officielle Jana.
«La décision concerne l’entrée des Tunisiens pour des raisons de tourisme, de travail ou n’importe quelle autre raison tant qu’ils sont traités de la même façon que les Libyens», ajoute l’agence.
Les événements de Ben Guerdane
Si elle est bonne à prendre, en ce qu’elle ouvre – du moins pour le moment – des perspectives pour un certain nombre de nos chômeurs, cette décision aurait sans doute eu beaucoup plus de poids et de sens si elle était intervenue avant les troubles sociaux vécus par notre pays.
L’on se souvient, en effet, des événements survenus, en août dernier, dans la ville de Ben Guerdane, à l’extrême sud-est de la Tunisie, en protestation contre les mesures arrêtées par la douane libyenne pour réduire le commerce informel transfrontalier, notamment l’imposition d’une taxe d’entrée assez prohibitive.
Souk Libya à Ben Guerdane
Le poste frontalier de Ras Jedir, qui connaît une fréquence quotidienne de passage entre 10.000 et 15.000 voyageurs dans les deux sens, avait alors accusé une forte baisse de son flux en raison de ces dispositions ciblant les «commerçants de la valise», c’est à dire ces Tunisiens et Tunisiennes sans ressources qui achètent des marchandises importées par les grossistes libyens de la Chine, des pays du Sud-est asiatique et de la Turquie, pour les revendre en Tunisie moyennant une petite plus-value. De quoi mettre un peu de beurre dans les épinards et améliorer le quotidien.
Ces dispositions ont touché, on l’imagine, une large frange des habitants de la zone frontalière des deux côtés, ce qui a poussé certains habitants de Ben Guerdane à protester en bloquant l’unique route reliant les deux pays et en jetant des pierres contre les voitures empruntant cet axe.
Mesures (et contre-mesures) libyennes
Face à l’ampleur de la contestation, les autorités libyennes avaient alors réagi en demandant à leurs agents des douanes de mettre moins de zèle et de fermeté dans l’exécution des nouvelles dispositions. Les flux n’ont pas tardé à reprendre leur cours normal, sachant que près de 3 millions de personnes traversent chaque année la frontière dans les deux sens pour diverses raisons allant du tourisme au commerce et aux soins de santé.
L’on se souvient aussi que, fin octobre dernier, l’entretien du Président Zine El Abidine Ben Ali avec M. Al-Baghdadi Ali Al-Mahmoudi, secrétaire du Comité populaire général de la Jamahiriya arabe libyenne (Premier ministre), en présence du Premier ministre, M. Mohamed Ghannouchi, a débouché sur un certain nombre de décisions visant à améliorer les flux des échanges humains, commerciaux et d’investissement entre les deux pays.
La Tunisie et la Libye s’étaient alors engagées à assurer la libre circulation des citoyens entre leurs frontières. Il a été décidé aussi de mettre en place une zone économique franche entre Ben Guerdane, au sud de la Tunisie, et Zouara, au nord de la Libye, pour libérer les échanges commerciaux dans les deux sens.
Si elles avaient été mises à exécution avec la diligence requise par nos frères libyens, ces deux importantes décisions auraient sans doute aidé à renforcer la mobilité des hommes: les Tunisiens cherchant des emplois et des sources de revenu en Libye, et les Libyens en quête de meilleurs soins de santé et autres services en Tunisie.
Elles auraient aussi aidé à lever les obstacles de toutes sortes qui entravent les échanges commerciaux et d’investissements entre les deux pays et privent leurs opérateurs économiques de la visibilité et de la prévisibilité nécessaires au lancement et au développement des projets.
Décisions et effets d’annonce
La libre circulation des hommes et des marchandises, qui est inscrite dans les textes fondateurs de l’Union du Maghreb arabe (Uma), doit cesser d’être un vœu pieux ou une simple déclaration de principe pour se traduire dans des décisions. Celles-ci, une fois annoncées, doivent aussi dépasser le simple effet d’annonce, dont on attend quelque dividende politique, pour devenir une réalité pour les peuples de la région qui les appellent de tous leurs vœux et en attendent une amélioration de leurs conditions de vie.
En d’autres termes, nous espérons que la «levée des obstacles financiers à l’entrée des Tunisiens en quête d’un emploi en Libye» soit vraiment la dernière, c’est-à-dire définitive et non sujette à des remises en question.
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