Jusqu’où donc iraient les Karoui et compagnie? Nessma a-t-elle vraiment les moyens de ses ambitions? Saura-t-elle relever plus d’un challenge à la fois? Ses choix socioculturels sont-ils vraiment partagés par tous les spectateurs maghrébins?
Forte d’un bilan somme toute satisfaisant sur les 14 premiers mois de son existence et affichant des ambitions grandissant chaque jour, Nessma TV rêve de lendemains qui chantent. C’est très légitime.
Rien que par sa grille des programmes sportifs, déjà diffusés ou annoncés, la chaîne pan-maghrébine basée à Tunis «est là pour durer», pour reproduire des propres récents de son patron Nabil Karoui. Et pour s’internationaliser aussi, si l’on ose ainsi dire.
Nessma Cup, le coup de fouet
Le parrainage officiel et exclusif des deux compétitions nord-africaines des clubs pour l’édition 2010 est couronné d’un succès sportif populaire et médiatique certain. Les matches disputés en Tunisie, en Libye, en Algérie et au Maroc ont enregistré une affluence moyenne de 20 à 25.000 spectateurs, dépassant même les 40.000 aux matches aller et retour entre le Club Africain et le Wydad de Casablanca.
Les retombées médiatiques, et financières, de la compétition sur la chaîne sont positives. D’où l’annonce du développement de la conception Unaf-Nessma Cup vers une compétition unique, plus lucrative pour les clubs participants et couronnée à partir de 2011 par la tenue d’une Super-coupe franco-maghrébine. La nouvelle formule se verra même attribuer la prestigieuse appellation Champions League de l’Unaf.
De nouveaux horizons s’ouvrent ainsi pour tout le monde. Et c’est tant mieux, et en premier lieu pour les clubs nord-africains.
Las des safaris pénibles à traves le continent, du calvaire des terrains impraticables, de l’arbitrage-maison, des conditions de transport et d’hébergement très peu clémentes, les équipes maghrébines émigreraient-ils un jour vers la Nessma Champions Ligue de l’Unaf. Aux dépens de la Ligue des Champions de la Caf? Tout est possible.
2011 est aussi l’année de la France
Nessma ne s’arrêtera pas là. Ses dirigeants viennent d’annoncer l’acquisition de l’exclusivité (mondiale) des compétitions africaines de handball. Et pour 10 ans.
Dans quelques jours, c’est-à-dire début 2011, Nessma TV sera diffusée sur le satellite Hotbird. Après Arabsat et Nilesat, le satellite qui couvre l’Europe de l’ouest permettra à Nessma d’atteindre une population émigrée maghrébine qui se compte en dizaines de millions. «Notre vision dépasse le national et le régional, estime Karoui. Nous voulons nous imposer à l’échelle mondiale». Beau programme pour ce développeur beau joueur et ambitieux.
Le patron de Nessma n’exclut rien. Il cite un exemple. À l’instar de ce qu’a vécu la Can de football, passée d’un événement quelconque jusqu’à la fin des années 1990 à une compétition d’une importance sportive, financière et populaire impressionnante, la Can de handball deviendra bientôt un événement mondial grandiose. «Je suis certain que la France, l’Allemagne, les pays scandinaves, l’Espagne, toutes des nations de handball par excellence, seront un jour intéressées à acheter auprès de Nessma les droits de cette compétition», se félicite d’avance M. Karoui.
Pour vraiment s’ancrer dans le paysage très concurrentiel de la France et du reste de l’Europe francophone, des émissions (y compris des plateaux en direct) sont programmées à partir de Paris. Une grille et des horaires adaptés à la communauté maghrébine en France sont aussi envisagés.
Une chaîne (trop) ambitieuse
Le chemin de Nessma vers de plus larges horizons est certes bâtis mais c’est sur un terrain miné qu’elle est en train de marcher.
Afin de se développer à l’international, Nessma n’est-elle pas appelée à s’ancrer davantage dans son environnement maghrébin? C’est qu’elle doit faire face d’abord à des politiques (et une législation) audio-visuelles encore rigides et protectionnistes. A titre d’exemple, la diffusion de la finale retour de Nessma Cup (disputée jeudi dernier au stade de 5-Juillet entre le Mouloudia d’Alger et le Club africain) a été assurée par des techniciens algériens. Législation algérienne oblige, Mehdi Kattou et Samir Sellimi en ont assuré les commentaires depuis… les locaux de Nessma à Radès.
Par ailleurs, les marchés libyen et mauritanien ne sont pas encore suffisamment couverts et paraissent réticents à adhérer à la tendance générale de Nessma pour des raisons notamment de dialecte. En effet, les téléspectateurs en Libye et en Mauritanie ont toujours trouvé des difficultés à assimiler le(s) idiome(s) franco-maghrébin(s) utilisé(s) par les animateurs et les invités des différentes émissions et par les commentateurs sportifs. Parfois sans réelle obligation.
Les postures libérales passent mal
Les bises en direct, les connotations sexuelles, l’homosexualité (apparente ou déclarée) de quelques animateurs et animatrices de la chaîne, une certaine nudité des animatrices et des invitées… sont autant de tabous à percer et d’idées reçues à confronter.
Des pratiques qui ne sont ni acceptées, ni facilement acceptables, pour plusieurs communautés conservatrices tunisiennes et maghrébines où il est fréquent d’entendre dire «on ne zappe jamais sur Nessma quand on est en famille». Sauf, peut être, pour regarder un match de foot !
Jusqu’où donc iraient les Karoui et compagnie? Nessma a-t-elle vraiment les moyens de ses ambitions? Saura-t-elle relever plus d’un challenge à la fois? L’aspect culturel de son épanouissement est-il vraiment acquis?
Seule «la réalité du terrain» saura nous répondre.
M. T.
Lire aussi: