Sous Ben Ali, c’était l’interdit politique qui primait. Aujourd’hui, l’interdit politique est toujours là, mais enveloppé dans des notions de morale et de défense du sacré. Les artistes sonnent l’alarme: la liberté d’expression est en danger.
Par Zohra Abid
Des artistes plasticiens ont annoncé, lors d’un point de presse, vendredi au cinéma Mondial, leur décision de poursuivre en justice trois ministres dans le cadre de l’affaire de l’exposition Printemps des Arts, au Palais El-Abdellia, à la Marsa.
Les ministres concernés par la plainte sont ceux des Affaires religieuses Noureddine El Khadmi, l’Intérieur Ali Laârayedh et de la Culture Mehdi Mabrouk, qui ont contribué, par leurs propos, à alimenter la colère des salafistes contre les artistes.
C’est ce qu’a annoncé Amor Ghedamsi, secrétaire général du Syndicat des artistes-peintres. C’était en présence d’un parterre de romanciers, poètes, cinéastes, comédiens et artistes de toutes disciplines, ainsi que des représentants de l’Assemblée nationale constituante (Anc) et de la société civile.
Les artistes pris pour bouc-émissaires
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Ceux qui ont brillé par leur absence lors de cette conférence, ce sont les artistes ayant exposé leurs œuvres au Printemps des Arts (El-Abdellia du 1er au 10 juin). Et pour cause. Menacés de mort par les salafistes extrémistes, ils sont terrés chez eux, sous haute surveillance, nous dit l’un de leurs collègues.
Ceux qui n’étaient pas aussi de la partie, les représentants de l’Union générale des plasticiens tunisiens (Ugpt), qui ont préféré rester à l’écart. Pas tout à fait, puisqu’ils étaient les premiers à sauter sur l’occasion, le lendemain de l’attaque contre le palais El-Abdellia, pour répéter sur les plateaux de la télévision les mêmes propos du ministre de la Culture à propos du «grand art», qui respecte les valeurs sacrées des peuples.
«Nous avons rencontré, il y a 2 jours, le ministre de la Culture et nous lui avons soumis une liste des agressions sur les artistes, ainsi que notre lecture des évènements depuis le 14 janvier 2011… Ce que nous refusons, c’est que l’on prenne les artistes pour des bouc-émissaires dans une quelconque stratégie politique. L’exposition d’El-Abdellia a levé le voile sur notamment la position de quelques journaux, de quelques ministres. Nous n’acceptons aucune agression ni physique ni morale et nous considérons ceci comme un crime contre l’art et la créativité», a lancé la comédienne Jalila Baccar avant de céder le micro à Amor Ghedamsi.
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Pas de pénalisation à l’art et aux artistes
Ce dernier a passé en revue les attaques menées par un huissier de justice qui a appelé, à partir d’une mosquée à la Marsa, à un rassemblement devant à El-Abdellia pour défendre le sacré. «Mais auparavant, il y a eu des tracts distribués par des religieux contre les artistes, qualifiés par eux, de pédés, féminisés, mécréants, et qui seraient tous à liquider», a expliqué M. Ghedamsi, qui a commenté des propos tenus publiquement par des ministres, comme celui des Affaires religieuses, Noureddine El Khadmi, de l’Intérieur Ali Laârayedh et de la Culture Mehdi Mabrouk, qui n’ont pas pris soin de vérifier la présence ou non dans l’exposition des soi-disant tableaux incriminés. Ce dernier, selon M. Ghedamsi, qui a décidé de fermer le palais El-Abdellia et dénigré des artistes («ce sont des autodidactes», "il n’y a vraiment pas d’art dans le Printemps des Arts"), a-t-il dit notamment, a osé déclarer qu’il n’est pas pour la censure, tout en préparant le terrain à la mise en place d’obstacles pour la création artistique et la liberté d’expression en général.
Les artistes se mobilisent pour défendre leur liberté d'expression en danger.
«Je suis contre la pénalisation des artistes pour leurs œuvres, qu’ils nous fassent des lois comme les médias afin qu’on sache où nous devrions nous arrêter. Je demande aux artistes de toutes les sensibilités de se rassembler autour d’une même cause, de se défendre, de défendre leur art, et de défendre leur Tunisie qui n’est rien sans art, sans la beauté et sans la liberté», a ajouté sur un ton sévère la comédienne Jalila Baccar. Et de rappeler que pendant l’ère de Ben Ali, c’était l’interdit politique qui primait mais aujourd’hui, c’est encore pire, car il s’agit toujours de la politique mais enveloppée dans des notions de morale.
Affaire à suivre.
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