Anouar-Attia-Banniere-

Le dernier ouvrage d'Anouar Attia, ''Séances tunisiennes'', est un hymne à l'humour, à la femme et à l'inventivité, qui fait naître les sourires et les rires.

Par Jamila Ben Mustapha*

Après celles d'Al-Hamadhani au 10e siècle, puis d'Al-Hariri au 12e, voici des «Maqamet tunisiennes» du 21e siècle, dernier ouvrage de l'écrivain Anouar Attia – s'étendant sur 341 pages, publié sous le titre ''Séances tunisiennes'' aux éditions Sahar –, auteur ayant déjà à son actif 4 romans et plusieurs travaux de traduction en français et en anglais.

Il s'agit, comme le veut le genre, de textes plus ou moins longs, le plus souvent en prose – récits, dialogues, monologues –, quelquefois de poèmes aux vers libres, le tout sur les sujets les plus divers et avec, comme ton dominant, l'humour qui n'exclut pas les sujets sérieux et la manifestation fréquente, de la part de l'auteur, d'une grande sensibilité.

Le déploiement de la verve

Ce qui est frappant dans le livre, c'est le déploiement de la verve, qui s'exprime par la présence de passages en d'autres langues que le français – anglais, arabe littéraire, dialectal et même latin –, par une écriture qui mêle de multiples registres de langage, l'argot y compris, et par d'innombrables jeux de mots.

D'ailleurs, plusieurs niveaux de compréhension de l'ouvrage sont possibles, tellement il est riche. Le lecteur idéal est le Tunisien qui, à l'image de l'auteur, est non seulement trilingue – la part royale étant accordée au français – mais connaît surtout les littératures, et aussi les films et les chansons, auxquels ces langues renvoient, car l'intertextualité est la règle.

Bien entendu, il ne s'agit pas d'un rappel fidèle de citations connues, tirées d'autres textes: l'auteur les convoque pour leur tordre le cou, les changer sur le mode burlesque et elles sont une occasion donnée à l'exercice de son inventivité. Un exemple parmi mille: la phrase de Simone de Beauvoir: «On ne naît pas femme, on le devient», dans ''La Complainte du raté'', se transforme en «On ne naît pas raté, on le devient».

Ce qui domine aussi, c'est une sentimentalité érotique que l'on pourrait interpréter comme un chant consacré à la vie, et à la beauté de la femme. L'attirance physique vis-à-vis des jeunes filles donne lieu à des descriptions à la fois sensuelles et poétiques rendant compte de l'attrait puissant qu'elles exercent. ''Françoise de Paris'' comme ''La collègue philosophe'', comme ''Leïla et le baiser'' sont, à ce propos, de vrais chefs-d'œuvre.

Anouar-Attia-

Un signe qui ne trompe pas chez un auteur arrivé à sa vitesse de croisière, ce sont les scènes apparemment insignifiantes et brèves de la vie quotidienne, et qui deviennent des morceaux de bravoure et de petites fêtes, sur le plan littéraire: nous citerons à titre d'exemple, ''Une plaisanterie à cinq sous et Héritage paternel'', l'une comique et l'autre, extrêmement triste.

La polysémie des termes est convoquée à tout bout de champ: à Paris, le narrateur étudiant, ayant entraîné la chute de la jeune Françoise, de sa bicyclette, en traversant, dans ''Françoise de Paris'', affirme honnêtement qu'il ne peut pas prétendre l'avoir tombée, «l'ayant seulement fait tomber de son vélo».

La dérision est la règle

L'imagination de l'auteur étant prolifique, voici un exemple de scénette cocasse: une discussion entre des houris du paradis présentant leur requête au Bon Dieu, révoltées de ne pas avoir leur mot à dire dans le choix des partenaires; les actes terroristes où on se fait exploser amènent, en effet, d'ici-bas vers le ciel et donc, vers elles, toutes sortes de refoulés qualifiés de «dégoûtants». Une de leurs revendications est d'avoir comme partenaire «un blond»! Encore un peu, elles feraient un sit-in! Y a-t-il façon plus plaisante de remettre en question la motivation on ne peut moins empreinte de spiritualité de ces actes kamikazes qui pensent avoir pour récompense immédiate, les houris du paradis?

Si la dérision est la règle, elle ne manque pas d'inclure l'autodérision; voici l'évocation d'une autre scénette de la vie quotidienne: le narrateur entre dans une pâtisserie et repère une nouvelle vendeuse jeune et avenante dont il tombe amoureux à la seconde qui suit.

L'autodérision, ici, vient du fait que la femme et l'homme ne sont pas situés sur le même registre, et que le romantique n'est pas celui qu'on croit. La chute du texte titré ''Visage d'ange'', est aussi une chute brutale dans le réel: alors que le narrateur, amoureux transi, plane dans son univers sentimental, voici que la vendeuse qui boucle ses fins de mois à sa façon, lui propose un éventail de ses tarifs!

Qui a dit que notre avancée en âge n'engendrerait que tristesse? Remercions l'auteur pour cet hymne à l'humour, à la femme, à l'inventivité, et pour tous les sourires et les rires que font naître les textes de qualité, empreints souvent de beaucoup de force, qui constituent cet ouvrage.

* Universitaire.

 

Articles de la même auteure dans Kapitalis:

Tribune-Société: Nudité intégrale contre niqab

Tribune-Tunisie : Moncef Marzouki et la solitude du pouvoir

Les Tunisiens face à l'inceste : un silence assourdissant