La proposition, faite par les députés du parti islamiste Ennahdha, d’inscrire la «complémentarité» entre la femme et l’homme dans la nouvelle constitution tunisienne, traduit une vision patriarcale fondée sur la haine de la femme.
Par Abdelwaheb Kanzari*
La notion de «complémentarité» de la femme tunisienne à l’homme tunisien participe d’une approche religieuse. A la religion correspond une organisation sociale bien déterminée, appelée patriarcat et caractérisée par la domination exercée par les hommes sur les femmes. Dans la religion, cette domination s’assortit d’une haine particulièrement aiguë, comme si pour le religieux, la victimisation des femmes était le miroir réfléchissant l’avilissement de son renoncement à son humanité.
La femme réduite au statut de corps désiré
Cette haine répond à un double calcul cynique: en interdisant à la femme d’être, pour elle-même, elle devient un sujet de plaisir. La religion assigne ainsi les femmes à la seule fonction de reproduction sexuée (l’islam l’a sauvée de la mort mais il l’a mortifiée autrement et pour toujours), en faisant peser sur elles le poids de la culpabilité originelle, celle de la déchéance divine des hommes. La religion assigne aux femmes la fonction de reproduction, par le biais de l’éducation en particulier de l’aliénation qu’elle porte en elle.
L'aliénation est une notion philosophique et sociologique mais elle a un sens médical et psychologique; elle est un trouble mental, un égarement d’esprit se caractérisant par le sentiment d’être étranger à soi même et son environnement.
Toutes les religions, du moins celle du type monothéistes, ont en commun la condamnation de la sexualité que, au passage, elles se contentent de nommer... le sexe.
Sans avoir la prétention – faute de compétences nécessaires – de procéder à une analyse exhaustive de cette problématique des origines de cet interdit religieux et de ses conséquences (qui est intimement lié aux statuts de la femme dans ces religions), je livre ci-après les réflexions que je me suis faite à ce sujet suite à la honteuse proposition d’insérer la notion de «complémentarité» des sexes dans la future constitution tunisienne à la place de la notion universellement admise d’«égalité».
La sexualité (notion liée essentiellement à la femme) est difficile à humaniser. Pour que celle-ci soit intégralement humaine, les moralistes croient qu’elle ne doit pas être un lieu de fermeture sur soi et d’exploitation de l’autre, au contraire, elle doit favoriser l’ouverture et la communion et non la différence.
L’amour présuppose l’égalité et le partage
Dans l’héritage de l’humanité, l’amour signifie accueillir l’autre comme liberté, projet, citoyen et égalité, en recherchant la promotion de l’un et de l’autre.
Dans le sens religieux, la rencontre sexuelle, pour être pleinement humaine, doit s’inscrire dans un projet d’amour, c’est-à-dire, pour le religieux, dans un projet d’exclusivité, de fidélité, de fécondité et de complémentarité.
En d’autres termes, j’invite la position traditionnelle des religieux (attachés à la fécondité, la fertilité et à la complémentarité) à être davantage en phase avec la réalité humaine sans imposer des lois qui sont largement étrangères à la femme en général et à la femme tunisienne en particulier.
Les rapports entre la religion et la sexualité touchent les femmes de très près. La femme tunisienne se préoccupe actuellement de l’attitude répressive des religieux dans leur ensemble à son endroit, notamment autour des questions impliquant son corps. Plus particulièrement, la femme tunisienne s’est appliquée à dénoncer l’attitude sexiste des religieux à son égard et à se réapproprier son corps. Ce combat de la femme tunisienne s’est notamment illustré dès les premiers jours de la révolution du 14 janvier 2011.
La femme tunisienne reconnaît que c’est autour de son corps que réside le fond du problème de la relation avec ces religieux. La réappropriation de ce corps est pour elle une démarche essentielle et fondamentale pour sa libération, comme la production d’une théologie de la femme, en tant qu’être égal et non complémentaire.
La femme et tout homme libre doivent donc s’occuper d’identifier les oppressions qu’elle subit des religieux, dont l’oppression sexuelle. Ils doivent ensemble dénoncer le rôle sexuel passif largement imposé à la femme et qui se révèle dans le fait que le corps de celle-ci soit considéré comme un objet de procréation et non de jouissance, dans le pouvoir de l’homme sur ce corps, dans l’hyper valorisation de la virginité pré-maritale ainsi que dans le caractère abstrait de la conception de la vie telle qu’on la retrouve dans le discours des religieux.
Le combat de la femme tunisienne pour la réappropriation de son corps concerne également de près la question de ses droits. L’une des revendications prioritaires de la femme après la révolution c’est de reprendre le contrôle de son corps. L’autonomie revendiquée est multiple et touche, à la fois, à sa santé, à sa sexualité, à sa fécondité, à ses droits civiques et égalitaires et démocratiques à l’instar de l’homme.
En outre, elle envoie un message clair aux religieux à l’effet qu’elle entend poursuivre la reconquête et la conquête de ses droits malgré le peu d’ouverture que ces religieux manifestent à son égard.
Inutiles de dire que ces quelques évocations sur la femme de la Tunisie nouvelle ne sauraient, d’aucune manière, prétendre épuiser les pistes de prospectives possibles en ce qui concerne le vécu de la femme dans les rapports entre femme, religion et sexualité. Nous pouvons à tout le moins espérer qu’elles donnent déjà à penser et puissent aussi en faire surgir de nouvelles.
* Docteur en mutations internationales et adaptations régionales.
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