Les islamistes dits modérés le savent bien, ils n’ont d’autres amis que les salafistes. Aussi les couvent-ils de leur affection, comprennent-ils leur violence et leur haine des autres, leur capacité à détruire et leur incapacité à produire.
Par Rabâa Ben Achour-Abdelkéfi*
Un très mauvais film, traçant un portrait diffamant du prophète Mohammed, se retrouve pour d’obscures raisons diffusé sur les réseaux sociaux et voilà que le monde musulman s’enflamme. Le coupable est vite désigné: ce sont les États-Unis. Égyptien copte, ou israélien, le réalisateur est de toute façon américain, son pays doit payer sa faute. Comme dit à l’agneau le loup de la fable de La Fontaine: «Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.»
Occident béni, occident haï
Mais à l’inverse du paisible agneau les tout puissants États-unis ne peuvent devenir des boucs émissaires, porteurs qu’ils sont de notre culpabilité séculaire et de notre incapacité de nous dégager de leur nocive tutelle. Notre rancune est lourde, elle est présente, inoubliable et donc redoutable. Cette rancune puise en continu sa source dans l’angoisse de la dépendance dans laquelle nous enferme d’un même geste de sa main l’ami ambivalent qui aide mais soumet et l’ennemi qui tue.
On pense à la Palestine, à l’Irak, à l’Afghanistan et l’on sort ses armes; on pense au Qatar, à l’Arabie saoudite, aux Émirats, et l’on se tait.
Les révolutions arabes ont ouvert aux islamistes dits modérés la voie du pouvoir et leur ont permis de donner libre cours à l’expression de leur colère. Harcelés, emprisonnés, torturés dans leur propre pays plusieurs décennies durant, au nom d’une religion qui s’y trouve pourtant fortement implantée et pratiquée, ceux-ci ont souvent été les hôtes des pays dont ils réprouvent les mœurs et le mode de pensée. Occident béni, occident haï, telle est la quadrature dont ils ne peuvent se dégager, encore aujourd’hui.
Amis du Qatar, des Émirats et de l’Arabie saoudite qui, non contents de les soutenir, financent leurs partis, les partis islamistes au pouvoir sont de facto, par un jeu d’alliances, les alliés de ces pays occidentaux dont ils rejettent la culture et repoussent le culte de la liberté. Que sont le Qatar, les pays du Golfe et l’Arabie saoudite sans les États-Unis?
En effet, si les Qataris, les Saoudiens, les Émiratis avaient à choisir entre les propagandistes du wahhabisme, tunisiens, algériens, égyptiens etc., et leurs gestionnaires américains, ils choisiraient sans nul doute les seconds.
Les islamistes dits modérés et leurs «enfants» salafistes
Les islamistes dits modérés le savent bien, souvent contestés dans leur propre pays, ils n’ont d’autres amis que les salafistes. Aussi les couvent-ils de leur affection, comprennent-ils leur violence et leur haine des autres, leur capacité à détruire et leur incapacité à produire. Que peuvent-ils faire sinon préserver cette jeunesse fragile, peu instruite et fanatisée qui a la naïveté de croire que Dieu, lui, la reconnaît. Ils ne peuvent que l’autoriser à se livrer dans l’impunité à la violence et à la délinquance. Les partis islamistes dits modérés ne peuvent abandonner leurs ouailles, leurs enfants, les porteurs de leurs projets, leurs bras vigoureux sans se sentir eux-mêmes abandonnés, dans un monde hostile.
Ni les rassemblements ni les marches ne semblent pouvoir assouvir le désir de vengeance des groupes de salafistes. Libres d’imploser, ils prennent prétexte d’un film aussi médiocre que provocateur pour incendier les ambassades et les saccager. Aucun pays musulman ne veut être en reste. En Libye, on tue l’ambassadeur; en Tunisie, on met le feu à une école, on la dépouille de son matériel pédagogique… Ce n’est pas un péché: elle est américaine!
Exhibant drapeaux noirs, slogans haineux et armes blanches, nos jeunes salafistes allument des feux dont la fumée ne noircit et n’intoxique avant tout que l’islam et les musulmans dont aucun film, aucun livre, aucun essai, aucun tableau, aucune caricature, aucune campagne de dénigrement ne pourront renvoyer une image plus sinistre. Menacer les citoyens, harceler les femmes, tuer, ne rend guère les musulmans sympathiques, leur religion attrayante et leurs pays hospitaliers.
À celui qui t’offense par un film, réponds en produisant un film, écris un livre, peints un tableau, rédige un article… Mais ne lui offre pas la possibilité de recouvrir le prophète que tu vénères avec l’ombre que tu renvoies.
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