Développement durable, politiques publiques et religion en TunisieAucune politique n’a été pensée par l’actuel gouvernement dans un souci de durabilité sociale, économique et écologique. La question religieuse est, malheureusement, sa principale préoccupation.

Par Abdelwaheb Kanzari*

Le programme de développement (emploi, réduction de la pauvreté, santé de la population, projets d’infrastructure) imaginé par le gouvernement provisoire n’a pas vraiment été, volontairement ou involontairement, mis en place. Tous les efforts de ce dernier sont orientés vers la mise en place d’un socle socialement religieux sur tout le territoire: des nominations de Nahdaouis à la tête des structures de l’Etat, des établissements et des entreprises publiques, reprise des locaux Rcd, parti au pouvoir dissous, généralement propriété de l’Etat, pour en faire des crèches, jardins et écoles coraniques, destinés à désorienter les enfants et les empêcher de vivre une enfance sans contrainte ni bourrage. C’est ce qu’on peut appeler le développement religieusement durable, mis en route par un gouvernement provisoire cherchant à marquer de son empreinte la future Tunisie.

Le transfert des acquis et potentiels d’une génération à l’autre

Notre pays ne manque pourtant pas de moyens pour assurer un développement socialement et économiquement durable, digne des revendications de la révolution du peuple.

Le développement est considéré comme durable lorsqu’il permet aux générations actuelles de satisfaire leurs besoins sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs. Il faut pour cela que les générations futures disposent au moins d’autant de ressources humaines, sociales économiques et de stocks de capitaux et d’emplois, que la génération actuelle. Lorsqu’on considère la dimension sociale du développement durable se pose la question du transfert d’une génération à l’autre des acquis et potentialités de l’éducation et de la formation. Ces potentialités prennent de multiples formes: capital humain (éducation, santé), capital social (liens sociaux soudés), capacités à utiliser les ressources naturelles disponibles, etc.

Plus généralement, la durabilité sociale et économique du développement demande d’abord les conditions d’une transmission équitable des capacités de  faire d’une génération à l’autre. On attend donc d’un développement socialement et économiquement durable qu’il protège les potentialités, renforce les capacités d’une génération donnée, et facilite leur transfert à la génération suivante. Cela implique d’examiner ce qui empêche la constitution de potentialités (trappes à pauvreté), l’amélioration des capacités (exclusion sociale et vulnérabilité) et la transmission intergénérationnelle (inégalités).

Dès lors, dans le cadre d’une éthique de la responsabilité, des principes de précaution sociale et économique adéquats pourraient guider l’élaboration de politiques publiques et d’actions gouvernementales.

Optimiser la croissance et éviter l’endettement excessif

Pour caractériser la durabilité du développement, il convient de prendre en compte les dimensions: sociale, culturelle, politique, éthique et économique, et ainsi dépasser la dimension de la durabilité environnementale, même si elle est non négligeable, et qui est, de fait, le plus souvent perçue comme écologique.

Cette orientation du développement durable n’a jamais été actionnée par le gouvernement actuel. Elle pourrait avoir le mérite d’intégrer, dans un cadre unique de politique publique et gouvernementale, l’ensemble des actions qui ne sont jamais arrivées et mises en place.

L’orientation du gouvernement actuel n’a jamais intégré, dans un cadre unique de politique publique, l’ensemble des actions qu’il faut mettre en œuvre: la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, la lutte contre le chômage volontaire ou involontaire, la défense des minorités, les finances solidaires, la résolution des conflits sociaux…

Dans les textes fondateurs du développement durable, (Agenda 21 de la conférence de Rio de Janeiro et différents rapports sur le développement humain durable), on trouve toujours les trois dimensions : économique, sociale et écologique.

La durabilité sociale n’a pas fait encor l’objet de plusieurs investigations. Son analyse implique un renouvellement radical de la théorie du développement. Tout d’abord, elle analyse la problématique d’un développement socialement durable qui ne limite pas la dimension sociale au seul aspect de pauvreté et d’exclusion mais considère l’ensemble des interactions entre les sphères économiques, sociales et écologiques et leurs effets sur les situations différenciées de pauvreté, de vulnérabilité et d’exclusion.

Dans la Tunisie actuelle, la persistance de la pauvreté et la montée de l’exclusion sociale dans cette période post révolution, l’accroissement des inégalités et de la vulnérabilité, l’augmentation des tensions sociales débouchant sur des conflits, montrent bien la nécessité de tenir compte de la dimension sociale du développement durable. La question religieuse, souvent imposée par Ennahdha, est totalement exclue de cette problématique, car hors sujet.

Cela suppose de rechercher les conditions qui font qu’un développement puisse être durable en termes sociaux ou, autrement dit, socialement durable. En aucune manière ces conditions et capacités ne seront à jamais religieuses.

La durabilité économique s’exprime en termes de croissance auto-entretenue. Elle s’appuie sur des principes macroéconomiques d’équilibre (équilibre budgétaire, équilibre de la balance des paiements, maîtrise de l’inflation et politique d’emploi favorable) et sur les règles d’investissement (allocations budgétaires et taux d’investissement sectoriels, coefficient de capital, niveau de productivité, ratio de consommation-épargne…) qui visent surtout à optimiser la croissance et à ne pas engendrer des charges d’endettement excessives qui seront répercutés sur les générations futures.

Le développement n’a rien à voir avec la question religieuse

La durabilité environnementale met l’accent sur la lutte contre la pollution, la préservation des ressources non-renouvelables, les économies d’énergie que la Tunisie possède en avantage comparatif, et la transmission du capital naturel aux générations futures.

S’appuyant sur ces définitions, un développement durable impliquerait que les politiques publiques soient économiques, sociales et écologiques et n’engendrent pas des dysfonctionnements sociaux (à travers l’extrême pauvreté, l’exclusion, les conflits, le chômage, l’inexistence de projets créateurs de dynamismes technologiques...) et les capacités d’amélioration du bien-être voulues par le citoyen lui-même et non son désir renouvelable de s’expatrier.

Le développement socialement et économiquement durable et soutenable s’appréhende d’abord au niveau des personnes pour remonter ensuite à celui des sociétés.

Ce n’est pas en réinitialisant les individus sur des bases nouvellement  religieuses que le développement est acquis et réalisé. La morale religieuse n’est en aucune manière révélatrice du sens du développement durable et aucune corrélation n’est démontrée dans les réalités ni dans les études empiriques et théoriques.

Le développement socialement durable se caractérise, au contraire et surtout, par un développement permettant une progression continue intergénérationnelle du niveau de vie, des conditions de vie, de la qualité de vie, en s’appuyant sur l’équité intra générationnelle. Le non-respect de cette équité accroit les risques de dysfonctionnement et de blocage sociaux (ce qui arriverait certainement aux générations futures si elles étaient marquées par les religieux).

Sur le plan purement économique aussi, les travaux à haute intensité de main d’ouvres, l’octroi de microcrédits et les aides religieusement conditionnées augmentent, dans le même temps, la vulnérabilité des autres groupes et, au  final, les inégalités sociales.

Autrement dit, pour élaborer une politique pertinente, il faut, non seulement examiner les effets des décisions économiques et écologiques sur la dimension sociale, mais aussi ceux des décisions prises au sein de la sphère sociale même. C’est pour cette raison que nous avons essayé de montrer les effets néfastes de tout ce qui se passe actuellement dans la situation post-révolution en Tunisie. Aucun esprit et aucune politique de changement structurel n’ont été pensés par l’actuel gouvernement dans une orientation de durabilité sociale, économique et écologique.

* - Cabinet Mcis, France.

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