La gauche tunisienne a une histoire et une mémoire. Il lui manque une projection dans l’avenir, un projet sociétal alternatif, une expression politique, une identité culturelle, ainsi bien sûr qu’une structuration dans un large front républicain.
Par Mohsen Dridi*
Cette dynamique de gauche doit être un véritable forum d’idées, de réflexions, de propositions et d’initiatives, elle doit favoriser et créer les conditions et les espaces pour un véritable élargissement et un approfondissement de la démocratie et de la participation réelle des citoyen-nes. Elle doit être capable de rassembler aussi bien des militant-es, des citoyen(ne)s que des experts… pour aborder, ensemble, les questions politiques, économiques, sociales, culturelles, environnementales…
Vers la construction d’une alternative de gauche
En fait, elle doit – tout en s’appuyant sur les partis et mouvements déjà constitués et structurés qui ont une expérience organisationnelle – être à l’écoute et tout faire pour une réelle participation des gens afin que ceux-ci s’approprient ou se réapproprient la citoyenneté qui est en train de se construire. L’expérience des forums sociaux mondiaux – et le Fsm qui se tiendra en 2013 en Tunisie – peuvent être d’un apport important pour les Tunisien(ne)s et pour la construction d’une alternative de gauche progressiste, sociale et citoyenne.
Et cette dimension, cette démarche, est aussi importante que les débats sur les contenus économiques et sociaux du projet à mettre en place. Cette idée de participation citoyenne est d’ailleurs ce qui, à mon sens, distinguera une démarche progressiste de tous les autres regroupements où prédominent les pratiques et les comportements paternalistes que nous ont légués les décennies de la pratique et de la culture du parti unique et même les siècles de soumission et d’assujettissement de l’individu au groupe. Et malheureusement tous les partis y compris la gauche n’échappent pas à cette réalité pesante. Sans parler des égos et de la personnalisation à outrance qui ont fait tant de dégâts dans la vie politique et surtout dans l’opposition avant et après la révolution. La gauche doit simplement affirmer sa volonté et se donner les moyens de se défaire de cette culture.
D’autant qu’elle doit se préparer, dès à présent et surtout dans la durée, aux échéances qui s’annoncent, car, il ne faudrait pas l’oublier, dans une démocratie c’est le suffrage universel qui compte! Faire barrage à Ennahdha et à ses projets et ambitions est une chose, défendre et négocier pied-à-pied avec de futurs alliés électoraux sur les dossiers de la justice sociale et de la répartition des richesses… en est une autre.
Plus encore, il faudra immanquablement réfléchir sur la notion même de démocratie sociale et économique au même titre que de démocratie politique et de la participation citoyenne à tous les échelons. Il faudra re-questionner le modèle de développement économique et ses finalités en commençant par la critique de la mondialisation néo-libérale et financière… Cette gauche progressiste, sociale et citoyenne doit donc se construire, dès à présent, en innovant aussi bien dans la conception que dans la pratique.
En parallèle à cette dynamique la gauche progressiste doit prendre l’initiative et proposer une plate-forme électorale pour un front républicain et démocratique le plus large. Ce front se doit d’affirmer clairement les lignes rouges à ne pas franchir. Et la violence comme moyen de régler les différents politiques et d’imposer ses vues, constitue l’une de ces lignes rouges. La violence doit être bannie des mœurs politiques en Tunisie!
J’ajouterai, comme autre préalable, que tous ceux ou celles qui ont eu des responsabilités au sein de l’ex-Rcd et sous la dictature de Ben-Ali soient également exclus de ce front en attendant que la justice transitionnelle aie définitivement tranché sur leur cas.
Pour un large front républicain démocratique
Ce front républicain et démocratique, qui doit être le plus large possible, reprendrait dans sa plate-forme électorale les quatre axes ci-dessous qui me semblent indispensables.
1/ La défense de la souveraineté et de l’intégrité de la Tunisie en tant qu’entité qui a une histoire trois fois millénaires. La gauche ne doit pas être frileuse ou en retrait sur cette question. Elle doit cependant bien se démarquer de toute conception nationaliste qui, elle, est d’abord une idéologie et dont les fondements sont avant tout le rejet de tout ce qui est différent et étranger. La défense du rôle de l’Etat et de ses institutions républicaines et surtout la défense et la pérennisation d’un service public5 garant de la sécurité, de l’égalité et de la justice sociale6. Car se sont bien ces acquis qui sont visées par les projets rétrogrades. Et c’est justement contre ces projets qu’il faut faire face et prendre date.
2/ La défense des libertés; l’accélération dans la mise en place d’institutions républicaines démocratiques qui constituent les fondements de l’Etat de droit (en matière de justice, d’information, pour les élections …) en insistant sur l’indispensable caractère civil de l’Etat et en affirmant l’égalité homme/femme, du point de vue du droit, sans laquelle il ne peut y avoir de citoyenneté.
3/ L’accélération dans la mise en oeuvre de la justice transitionnelle et surtout la résolution des dossiers urgents des blessés et des familles des martyrs de la révolution.
4/ Un plan, et surtout un calendrier, mettant en lumière les grandes priorités et les urgences en matière économique et sociale en attendant, bien sûr, l’élaboration d’un grand programme de gouvernement à moyen et plus long terme.
Enfin, les Tunisien(ne)s à l’étranger quant à eux ne peuvent rester indifférents à cette construction comme à tout ce qui touche à la Tunisie. Et ce positionnement n’est pas que conjoncturel. Aussi loin que l’on remonte dans le temps cette immigration a toujours constitué un point d’appui essentiel dans l’histoire de la Tunisie et dans le combat pour les libertés. Et surtout dans les moments difficiles[1]. Et pour reprendre un concept militaire l’immigration serait une sorte de «profondeur stratégique» pour tous ceux qui fuient la répression.
Mais attention le rôle de cette immigration n’est qu’un point d’appui et ne saurait par conséquent – pour des raisons qu’il serait trop long à expliquer ici – se substituer aux gens et aux militant(e)s qui, eux et elles, agissent sur le terrain, au plus près des gens en Tunisie même. Nos propositions doivent donc garder toute la modestie et la distance nécessaires. Mais l’immigration tunisienne, les Tunisien(ne)s à l’étranger, du moins une partie d’entres eux qui croient en la justesse de ces combats, seront toujours présents pour les libertés, la justice et la démocratie en Tunisie.
Notes :
5- Voir un précédent texte sur le blog (ici).
6- Tout en sachant qu’il y aura besoin d’une profonde restructuration de ces institutions et de ce service public pour en faire un outil au service de la justice sociale, au service du pays et des citoyen-nes et que la gauche se doit d’apporter sa vision de la refonte dans ces chantiers. Il y a lieu notamment à faire de véritables audits des différents services publics en associant aussi bien des experts, des professionnels que des usagers afin de procéder à toutes les réformes nécessaires.
Lire aussi:
Pour une gauche tunisienne progressiste, sociale et citoyenne! (1-2)
Articles du même auteur dans Kapitalis :
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