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Les membres de l'Assemblée nationale constituante (ANC) devraient bien réfléchir avant d'entériner le projet de loi sur le travail obligatoire des médecins spécialistes, totalement inopportun, et qui risque de signer l'arrêt de mort du système de santé en Tunisie.

Par Moez Ben Salem

Après avoir obtenu son indépendance en 1956, la Tunisie a connu 55 ans durant, deux régimes dictatoriaux: d'abord la dictature éclairée de Bourguiba, ensuite celle, moins soft, de Ben Ali.

Il faut toutefois reconnaitre que, durant toute cette période, les Tunisiens pouvaient s'enorgueillir de posséder un système éducatif respectable, un Code du statut personnel (CSP) qui assurait une égalité relative des sexes, un système de santé assez performant qui a même permis d'attirer des patients étrangers vers notre pays et une situation économique relativement satisfaisante, quoique grevée de grosses disparités régionales.

Une descente aux enfers

Après la fuite du dictateur déchu en janvier 2011, nos concitoyens pouvaient légitimement aspirer à vivre dans un pays démocratique et jouir d'une bonne dose de liberté d'expression et de justice sociale.

Malheureusement, les évènements n'allaient pas dérouler de la manière espérée.

En effet, après les élections du 23 octobre 2013 et la mise en place d'une Troika censée gérer la quotidien des Tunisiens durant une année, le temps que la rédaction d'une nouvelle constitution soit achevée, notre pays allait malheureusement connaitre une descente aux enfers, l'amenant vers des abîmes aux fonds insondables.

En effet, durant les deux dernières années, la situation économique de la Tunisie s'est gravement détériorée avec une chute ininterrompue de notre monnaie, le dinar, une aggravation du chômage, une inflation galopante et une aggravation de la précarité.

Sur un autre plan, le système éducatif national s'est dégradé dangereusement et de sérieuses menaces planent notre modèle sociétal que l'on cherche insidieusement à remplacer par un autre, de type moyenâgeux, importé d'ailleurs.

De son côté, le système de santé n'a pas échappé à l'hécatombe. Nous assistons en effet à une explosion inquiétante du nombre de cas de maladies parasitaires contagieuses, telles que la gale, la pédiculose, la teigne...

Décisions ubuesques et projets de loi burlesques

Plutôt que de prendre des mesures énergiques et urgentes pour faire face à ces fléaux, la «Troïka», gouvernement de coalition dominé par le parti islamiste Ennahdha, tombe dans le populisme et sort des décisions ubuesques telle la construction de 5 nouvelles facultés de médecine (en sachant que la première promotion de spécialistes ne sortirait qu'en l'an 2029) et des projets de loi burlesques, notamment celui qui sera soumis aux constituants et qui prévoit d'obliger les jeunes médecins spécialistes à aller travailler durant trois années dans des régions dites défavorisées avant de pouvoir s'installer dans un cabinet privé.

Certes, l'idée est bonne de permettre aux citoyens habitant ces régions d'accéder à des soins de qualité, mais pour qu'elle soit efficiente, il aurait fallu d'abord penser à préparer l'infrastructure nécessaire, à travers notamment la restauration des unités préexistantes (dispensaires et hôpitaux régionaux) dont la plupart se trouvent dans un état de délabrement affligeant, ainsi que la construction de nouvelles unités hospitalières, à vocation universitaire.

Il aurait fallu également s'assurer que ces unités, anciennes ou nouvellement créées, soient correctement équipées, en matériel adéquat.

Or, obliger de jeunes médecins, fraichement diplômés, à aller travailler durant trois années dans des lieux très mal équipés et sans pouvoir bénéficier de l'encadrement de médecins expérimentés, ne ferait que détruire leur carrière, sans amener un quelconque bénéfice aux citoyens de ces régions. Ils seraient de ce fait enclins à choisir entre l'émigration, ce qui ne ferait qu'aggraver la fuite des «cerveaux» vers des pays développés ou bien de se faire embaucher par des laboratoires pharmaceutiques. Dans les deux cas, le citoyen tunisien ne tirerait aucun profit!

Avant de débattre de la question à l'Assemblée nationale constituante (ANC), nos élus devraient se poser les questions suivantes:

- que peut faire un jeune spécialiste, quelle que soit sa spécialité, s'il n'a pas à sa disposition un laboratoire d'analyse médicale et un service de radiologie correctement équipés?

- que peut faire un cardiologue s'il ne dispose pas d'appareil d'électrocardiographie, ni d'appareil d'échographie?

- que peut faire un gastro-entérologue ou un pneumologue s'il ne dispose pas de matériel d'endoscopie?

- que peut faire un neurologue s'il ne dispose pas d'un appareil d'électro-encéphalographie ?

- que peut faire un dermatologue sans laboratoire de mycologie, ni d'anatomie pathologique à proximité?

- et bien d'autres questions du même genre...

Les constituants devraient bien réfléchir avant d'entériner une pareille décision, totalement inopportune, qui risquerait de signer l'arrêt de mort du système de santé en Tunisie !

 

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