Le camp démocratique et progressiste ne doit pas baisser sa garde : le vrai faux départ des islamistes du gouvernement pourrait se transformer en un processus de reconquête – entière, décisive et définitive – du pouvoir.
Par Faïk Henablia*
La nouvelle donne politique au sein de notre pays, marquée par le départ de nos islamistes, dits modérés, du pouvoir exécutif direct, semble avoir plongé certains d'entre nous dans une douce torpeur pouvant se révéler extrêmement dangereuse lors des prochaines élections, et dont la conséquence peut être, ni plus ni moins, que le retour de ce parti au pouvoir.
Afin d'éviter des réveils douloureux, il convient de prendre garde à trois éléments, au moins, aux effets soporifiques potentiellement funestes dont nous n'aurions pas fini de nous repentir, du moins pour ceux d'entre nous attachés à une certaine Tunisie.
Ne pas avoir la mémoire courte
- Le premier est que ce parti cherche à se rendre sympathique en accréditant l'idée qu'il aurait volontairement renoncé au pouvoir, mû par le seul intérêt général. Ce serait donc bien un véritable parti de gouvernement, pouvant le cas échéant diriger le pays. Or rien n'est moins vrai, car non seulement son passage au pouvoir a abouti à l'une des périodes d'appauvrissement et d'insécurité les plus marquées de notre histoire, mais aussi et surtout, son départ a été contraint et forcé, provoqué par le ras-le-bol général d'une société excédée et qui n'en pouvait plus.
Comme beaucoup d'entre nous ont la mémoire courte, gageons que plus les élections tarderont et plus certains se demanderont pourquoi ne pas voter Ennahdha après tout. Il va sans dire que le spectacle actuel de division et d'invective au sein du camp opposé n'est pas fait pour arranger les choses.
L'extrémisme rampant
- Le second est que nous avons enfin une constitution et que nous serions désormais immunisés contre le risque de l'extrémisme. N'oublions pas, cependant, que cette constitution est en grande partie l'œuvre de la société civile qui s'est grandement et fermement mobilisée afin d'arracher des dispositions inconcevables pour Ennahdha.
Souvenons-nous que sans cette implication citoyenne, les femmes seraient, aujourd'hui, peut-être complémentaires des hommes et que nous aurions certainement un Haut Conseil Islamique, premier pas vers la théocratie, idées défendues en leur temps par ce parti.
Mais souvenons-nous aussi et surtout, que certaines parties de la constitution (préambule, article 39), sont suffisamment vagues pour permettre de multiples contorsions. Plusieurs dispositions doivent par ailleurs être clarifiées par la loi et nul doute qu'en cas de retour au pouvoir, les islamistes chercheraient à reprendre par le biais législatif, ce qu'ils auraient concédé sur le plan constitutionnel.
L'abstention a toujours favorisé les extrémistes.
Gare à l'abstentionnisme !
- Le troisième, et peut-être le plus dangereux, est que les sondages d'opinion, semblent inexorablement indiquer une défaite d'Ennahdha face au camp républicain.
Que ce soit aux présidentielles ou aux législatives, ce parti ne semble pas, en effet, pouvoir réaliser un score suffisant pour gouverner. D'où la tentation pour certains de considérer que les jeux sont faits et de ne pas se déranger le jour du vote.
Malheureusement, le véritable chiffre à retenir de ces sondages est celui des indécis, dépassant largement tous les autres et pouvant plus que combler l'écart théorique entre les deux formations potentiellement dominantes.
Or, c'est bien connu, l'abstention a toujours favorisé les extrémistes. En France, par exemple, l'extrême droite réalise toujours ses meilleurs scores lorsque le taux d'abstention est élevé.
Lors des élections d'octobre 2011, la participation avait été si basse en Tunisie, que les «Frères», avec seulement 20% des suffrages effectifs, (40% de 50% des votants), avaient été capable d'obtenir une majorité relative à l'Assemblée nationale constituante (ANC).
En parti discipliné, il y a fort à parier qu'ils sauront de nouveau mobiliser leur électorat et que celui-ci se déplacera en masse.
Ces 20 à 30% prédits par les sondages pourraient alors aisément monter à 40/60%, en cas de taux d'abstention similaire et nous nous retrouverions alors, de nouveau, avec une assemblée au sein de laquelle ce parti aurait beaucoup plus de sièges que son simple poids réel ne l'aurait indiqué.
A tous ceux qui seraient tentés de s'abstenir souvenons-nous que deux ou trois heures de queue le jour du vote constituent certes un dérangement, mais ô combien négligeable comparé aux jours de manifestations et de sit-in que nécessiterait la défense de nos droits en cas de remise en cause.
Le camp républicain ne doit pas baisser sa garde
Dans ce contexte, les Tunisiennes, dont il faut, au passage saluer la contribution remarquable en matière de vigilance et de résistance, doivent rester particulièrement mobilisées, elles qui auraient tant à perdre en cas de reprise en main.
Le camp républicain ne doit par conséquent pas baisser sa garde. Il doit garder présentes à l'esprit les quelques vérités suivantes, à savoir, qu'Ennahdha est un parti foncièrement fondamentaliste, convaincu que notre identité «arabo-musulmane» nous rend indignes de bénéficier de certains droits élémentaires dans toute démocratie, que notre constitution lui a été littéralement imposée par la société civile, qu'il n'a, pour autant, pas dit son dernier mot et attend son heure pour, le cas échéant, réagir par la voie législative.
Et le meilleur moyen de l'en empêcher est d'aller voter massivement aux prochaines présidentielles et législatives.
Faute de quoi, nous n'aurions plus que nos yeux pour pleurer.
* Gérant de portefeuille associé.
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