Après avoir passé un deal contre-nature avec Ennahdha dans le dos de leurs électeurs, ces deux partis ont encore la possibilité de se reprendre, sous peine de se faire balayer par le vent de l’histoire!
Par Faïk Henablia*
Nous sommes des centaines de milliers à avoir choisi de voter pour l’un de vous en octobre 2011, considérant que l’enjeu principal de cette élection était de barrer la route à certaines forces politiques fondamentalistes, telles qu’Ennahdha, dont le but, on le voit de plus en plus aujourd’hui, est l’instauration de la chariâ en douceur.
Après l’espérance, la trahison et la désillusion
Etant donné le nombre de partis politiques, plus ou moins sérieux, qui ont essaimé à l’époque et face au grand risque de dispersion des voix, nous pensions, dans notre grande naïveté, que le vote utile consistait à se porter sur l’un des courants politiques de centre-gauche, dont vous faites partie, susceptible de glaner suffisamment de sièges à l’Assemblée nationale constituante (Anc), afin de barrer ainsi la route à l’islamisme politique. Cette approche a été, en partie, récompensée, puisqu’Ennahdha, en dépit de sa «victoire», n’a cependant pas obtenu la majorité.
Quelle ne fut notre désillusion en constatant que c’est vous qui la lui avez restituée, cette majorité, sur un plateau en vous y associant au sein de la «troïka», la coalition tripartite au pouvoir, vous, pour qui nous avions voté pour éviter précisément cela, vous qui aviez bien caché votre jeu en sollicitant nos suffrages, vous qui vous étiez bien gardés de nous prévenir!
Vous tentiez alors de justifier cette stratégie par la nécessité de contrôler l’exécutif et de ne pas le laisser entièrement entre les mains d’Ennahdha.
Près d’une année après les élections, il est possible d’établir un premier bilan de cette stratégie.
Qu’en avez-vous donc obtenu?
Un président de la république sans pouvoir, se faisant presqu’ouvertement humilier à longueur de journée par le chef du gouvernement. Faut-il pousser la cruauté jusqu’à énumérer les évènements illustrant ce manque de considération, ce mépris presque?
Constituante ou parlement-chambre d’enregistrement?
Un poste de président d’une Anc incapable, à peine moins d’un an après son élection, d’accélérer le pas ou, du moins, d’exercer un contrôle effectif de l’exécutif, une assemblée qui semble oublier ce pour quoi elle a été élue et qui se comporte en parlement-chambre d’enregistrement!
Un gouvernement au sein duquel vous ne disposez que de strapontins, les grands fauteuils étant bien-sûr la propriété d’Ennahdha, les décisions importantes se prenant en dehors de vous, presqu’à votre insu et, d’ailleurs, beaucoup plus au quartier de Montplaisir, où se trouve le siège d’Ennahdha, qu’à la Kasbah, siège du palais du gouvernement.
Une situation générale qui se dégrade, spécialement dans le domaine de la sécurité car vos partenaires dominants pensent qu’il est possible de raisonner les groupes extrémistes, leur abandonnant ainsi des zones entières du pays et contribuant à l’émergence d’un climat nauséabond d’inquiétude et de peur. Que faites-vous donc pour remédier à cela?
Marchent-ils vraiment d'un même pas?
D’une manière générale, que faites-vous face à cette attitude hégémonique d’Ennahdha qui cherche à tout contrôler, à tout accaparer, qui nomme ses gouverneurs, qui tente de museler les médias et les artistes, qui empiète de plus en plus sur des libertés durement acquises au moyen de projets liberticides tels que la loi sur «l’atteinte au sacré», sur la «complémentarité» et non l’égalité hommes femmes, qui tolère les poursuites judiciaires contre les femmes violées, qui laisse se dégrader l’image de la Tunisie dans le monde, au point que nos alliés traditionnels nous regardent désormais avec méfiance, qui pilote la détérioration de notre économie au point que notre note est revue, à la baisse, par les agences de notation internationale?
Rien, en dehors de protestations épisodiques de pure-forme de la part du président de la république! Vous avez à peine la force d’aboyer alors que la caravane passe.
Vous êtes constamment mis devant le fait-accompli. Vous servez d’alibi à un pouvoir dont de plus en plus de pratiques rappellent une époque que l’on pensait révolue.
Et pourtant, il n’y a aucune fatalité à cela. Car vous êtes, si vous voulez bien vous donner la peine de réfléchir, beaucoup plus fort que vous ne pensez. Sans vous, Ennahdha retourne à ses chères études car il n’a plus de majorité. N’avez-vous donc pas songé à en tirer avantage en exigeant plus que des strapontins, en essayant de peser réellement sur le cours des choses?
Pour gagner le respect des citoyens et des électeurs
D’autres que vous ont préféré garder leur dignité en choisissant de rester dans l’opposition et en refusant de servir de monnaie d’appoint. Car, fort heureusement, la démocratie permet à l’opposition d’exister, de jouer son rôle et de gagner le respect des citoyens et des électeurs.
Sachez donc que vous portez une grande responsabilité dans la dégradation dramatique de notre situation. Car, sans votre appui, rien de tout cela n’aurait été possible.
Dans votre propre intérêt, reprenez-vous donc et relevez la tête, sous peine de vous faire balayer par le vent de l’histoire car nous ne nous laisserions pas abuser une seconde fois!
* Gérant de portefeuille associé.
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