Il est possible de produire plus de céréales avec moins d'ammonitre, moins de subvention et plus de résistance à la sécheresse. Et de soulager ainsi la Caisse générale de compensation (CGC).
Par Malek Ben Salah*
Il devient commun à nos financiers de dire que la Caisse de compensation supporte des subventions qui ne sont pas justifiées, que les réserves de la Banque centrale en devises se réduisent de jour en jour et qu'il devient nécessaire et urgent de rééquilibrer notre balance commerciale...
Comme il est devenu commun à nos agronomes de déplorer que l'on stérilise nos sols à force d'utiliser des engrais chimiques et notamment l'ammonitre comme source d'azote et que nos sols s'appauvrissent en matière organique et deviennent de plus en plus sensibles à la sécheresse.
Les économistes, de leur côté, se plaignent que le poste «engrais» devient de plus en plus lourd pour les céréales, que nous se sommes plus compétitifs et que notre agriculture devient nettement tributaire de l'importation (engrais, pesticides, aliments du bétail...).
Enfin, le ministère de l'Intérieur demande, à-cor-et-à-cri, que l'on remplace, au moins partiellement, les besoins en ammonitre, suite à sa dangereuse qualité d'explosif!
Une agriculture désarticulée
En fait, on exprime de différentes façons une même problématique: «Nous avons mis notre agriculture sur de mauvais rails et nous en récoltons aujourd'hui les fruits amers.»
C'est-à-dire que nous avons abandonné les bonnes pratiques ancestrales, remisé dans un tiroir des études fort pertinentes et négligé les résultats de la recherche. Nous n'avons pas responsabilisé les compétences et avons plus d'une fois nommé des gens à des fonctions qui les dépassent... Nous arrivons maintenant à une agriculture désarticulée et qui gaspille les ressources naturelles.
Sans aller davantage dans le détail, disons d'emblé qu'il s'agit des conséquences de l'absence d'une politique agricole, où l'agronome était peu consulté, où la solution préconisée n'était jamais appliquée entièrement, d'économies de bouts de chandelles; et disons enfin de budgets d'un ministère de l'Agriculture qui avaient donné une priorité à la mobilisation des ressources en eau, à la CES et en oubliant l'agriculture à proprement parlé pendant 50 ans. On est parvenu aujourd'hui à des superficies énormes aménagées ou traitées mais sans mise en valeur réelle.
Que faire?
Pour ne parler que de l'immédiat et rester dans l'urgence du moment, le ministère devra désigner une comission de compétences, incluant l'Utap et la Synagri, qui décidera, sous quinzaine, d'un programme chiffré et daté déterminant une approche progressive, plus économe en subventions et plus conforme aux potentialités des régions à court terme, mais qui apportera ses premiers résultats avant la fin de cette année, tout en mettant des jalons pour l'avenir.
Pour s'inspirer de nos voisins Européens, qui, pour réduire leurs importations et rééquilibrer leurs balances commerciales, ont adopté un 2e plan de relance des légumineuses dans le cadre d'«un plan protéine», alors que des essais en Tunisie ont en confirmé la faisabilité, le comité devra obligatoirement fixer comme objectif la culture des féveroles, de la luzerne et du sulla, et importer, sans attendre, suffisamment de semences.
Il s'agit aussi de généraliser l'analyse du sol pour apporter le minimum possible d'ammonitre en 2014, en attendant qu'une plus grande partie des céréales soit installée l'année suivante sur un partie des légumineuses et aient encore moins besoin d'ammonitre...
Il s'agit, également, de fixer un prix d'achat pour ces légumineuses à payer par les fabricants de concentrés avec obligation d'en substituer un pourcentage dans les aliments qu'ils fabriquent.
Les agents du ministère, des offices, de l'Utap et de la Synagri devraient être formés pour mener des campagnes expliquant aux agriculteurs comment combiner l'application d'assolements, l'introduction pertinente de légumineuses, l'utilisation de mychorizes, la réduction des engrais et l'utilisation de leur propre production dans la ration de leur cheptel.
Enfin, parmi les erreurs fatales faites par les CRDA, au cours des dernières années, c'était d'allouer des crédits à des agriculteurs qui ont peu de terres et sans obligation de produire fourrage et protéines... Les agents du ministère auront à encourager et à encadrer ce type d'agriculteurs à louer de la terre pour cultiver notamment les féveroles, la luzerne et le sulla et leur apprendre à affourager leur bétail en réduisant la part de concentré importé et subventionné.
Avec cela, la CGC aura commencé la réduction de la subvention au soja importé, en lui substituant des légumineuses dans la ration alimentaire du cheptel. La culture de ces légumineuses va améliorer la qualité du sol pour produire plus de céréales avec moins d'ammonitre, moins de subvention et plus de résistance à la sécheresse.
L'Etat aura, en jouant à la fois sur les prix et la réduction progressive des subventions, épargné la CGC, réduit les importations et favorisé la production nationale. Autant de mérites pour le gouvernement qui, même provisoire mais agissant en responsable, aura démarré cette approche.
* Ingénieur général d'agronomie, consultant international, ancien directeur général de la production végétale, spécialiste d'agriculture/élevage de l'ENSSAA de Paris.
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