Il ne s'agit pas de rejeter en bloc le gaz de schiste, mais d'analyser le rapport risques-bénéfices avant de décider. Or, il semble que les risques sont plus importants.
Par Dr Salem Sahli*
Largement inconnu du public tunisien il y a quelques mois, le gaz de schiste fait tourner la tête des industriels, tétanise la population, indispose le gouvernement et mobilise les partis politiques et la société civile. Il fait polémique en Tunisie et dans le monde. Mais savons-nous au moins de quoi il retourne? Quels sont les avantages et les inconvénients de l'exploitation de ce gaz? Est-ce une aubaine pour l'économie nationale ou bien s'agit-il d'une catastrophe à éviter?
Trésor empoisonné ou nouvel eldorado ?
Autant de questions mises en débat à l'occasion de la conférence du professeur Mohamed Larbi Bouguerra** intitulée «Gaz de schiste, trésor empoisonné ou nouvel eldorado pour la Tunisie?» co-organisée récemment par l'Association d'éducation relative à l'environnement (Aere) et le Rotary Club de Hammamet.
Un public nombreux, une conférence de haute facture et un débat et des échanges fort intéressants. Telle est l'impression à chaud de la majorité des participants à la sortie de Dar Sebastian au Centre culturel international de Hammamet, où s'est tenue la manifestation. M. Bouguerra a su merveilleusement bien simplifier et vulgariser un sujet pourtant complexe et très technique.
Mohamed Larbi Bouguerra: un homme de science s'invite au débat.
Sur le fond, voici en style télégraphique, les quelques points que j'en ai retenu...
- Nous ignorons encore les quantités de gaz de schiste dont recèle notre sous-sol.
- Nous devons toujours garder à l'esprit et ne jamais perdre de vue les enjeux géostratégiques qui se cachent derrière les projets d'exploration et d'exploitation du gaz de schiste.
- Les activités de forage ne sont pas très pourvoyeuses d'emplois et on estime à 3 le nombre de poste d'emploi créé par puits. En effet, un puits qui entre en service est par la suite automatisé et son exploitation ne requiert aucune embauche.
- Le méthane CH4, le principal gaz de schiste, est un gaz à effet de serre 25 fois plus nocif que le gaz carbonique CO2. Son impact sur le réchauffement climatique ne doit pas être sous-estimé.
- La fracturation hydraulique, procédé utilisé pour extraire le gaz de schiste, est très vorace en eau. Des milliers de m3 d'eau par forage sont en effet nécessaires. Or, la Tunisie vit depuis des décennies une situation de stress hydrique, elle ne peut donc pas se permettre un tel gaspillage de ses ressources en eau.
- Les produits chimiques mis en circulation sont nocifs pour la santé, certains sont même cancérigènes, d'autres sont perturbateurs endocriniens et on ignore les effets à long terme des métaux lourds et autres dérivés radioactifs mobilisés du sous-sol.
- La focalisation de l'attention sur le gaz de schiste entraîne un relâchement des efforts en matière de recherche et d'investissement dans le secteur des énergies renouvelables comme le solaire, l'éolien ou la biomasse. Il retarde par conséquent la transition escomptée vers une société post-énergie fossile, et ce, au grand dam des écologistes.
Information et la consultation du public
- Enfin, au-delà du scandale écologique, du scandale sanitaire, du scandale climatique, il est un scandale que nous n'avons pas le droit d'escamoter; il s'agit du scandale démocratique. Tout se passe dans l'opacité et dans le secret dans la nouvelle Tunisie post 14 janvier. C'est inacceptable et il nous faut exiger la transparence totale dans les attributions des permis d'exploration et d'exploitation aux groupes pétroliers. Les autorisations sont attribuées en catimini et nous manquons cruellement d'informations sur ce dossier, ce qui nous rend encore plus sceptiques et méfiants. Il faut exiger l'information et la consultation du public et des élus locaux, ceux-là mêmes qui auront à supporter les impacts de ces projets sur leurs territoires.
- Il ne s'agit pas de revenir à la bougie ni d'arrêter le progrès, mais d'analyser le rapport risques-bénéfices avant de décider. Or, il semble jusqu'à présent que les risques sont plus importants que les avantages.
Mettre le dossier du gaz de schiste sur la table, agir avec transparence permettra certainement aux populations, aux élus, à la société civile... de se faire une opinion et de distinguer le bon grain de l'ivraie.
Car il ne fait aucun doute que le gaz de schiste sert quelques intérêts privés à l'abri du débat public.
* Président d'Aere Hammamet.
** Diplômé de géographie et de psychopédagogie à l'Université de Californie du Sud à Los Angeles et docteur d'État ès sciences physiques en 1967 à la Sorbonne, Mohamed Larbi Bouguerra est un ancien professeur à la Faculté des sciences de Tunis où il a enseigné la chimie organique et la chimie de l'environnement. Il a également été directeur de recherche associé au CNRS, en France.
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