Les parties prenantes de la crise libyenne pourraient parvenir à une solution politique, si les groupes jihadistes et le général Haftar acceptent de faire taire les armes.
Par Michel Roche*
La situation politique en Libye est extraordinairement complexe et voisine de l'anarchie. Depuis les élections de juin 2014, il existe deux parlements et deux gouvernements. L'ancienne majorité islamiste ayant refusé de laisser la place à des formations d'orientation différente a prolongé le mandat de l'ancien parlement; un gouvernement de son choix s'est ensuite installé à Tripoli. Les vainqueurs des dernières élections, seuls reconnus par la communauté internationale, se sont repliés à Tobrouk. Il existe aussi une assemblée constituante, élue au mois de février 2014; mais pour des raisons évidentes celle-ci fait peu parler d'elle.
Les milices tiennent en grande partie le terrain; au cours des deux dernières années, elles se sont regroupées en plusieurs formations dominantes mais elles sont aussi éclatées en une multiplicité de brigades. Les islamistes extrémistes ont fortement progressé et le lien a été établi avec les groupes qui agissent au Proche-Orient. Les combats se sont intensifiés notamment pour le contrôle de Tripoli et de Bengazi, faisant 100.000 déplacés.
Le Qatar et la Turquie aux côtés des islamistes
La crise constitue désormais un risque de déstabilisation pour toute la région, qu'il s'agisse de la progression de l'Etat islamique (Daêch), de la circulation massive et incontrôlée d'armes, du risque de mainmise par des groupes extrémistes sur la production pétrolière sans oublier bien sûr l'émigration clandestine.
Dans un tel contexte, les aspects internationaux prennent une dimension de premier plan et, à l'instar de ce qui se passe en Syrie et en Irak, on retrouve les mêmes clivages et la même tentation d'intervenir.
Le Qatar et la Turquie ont choisi de se placer aux côtés des islamistes, ce qui paraît logique compte tenu de leur attachement à la cause des Frères Musulmans, mais ils se sont engagés au-delà d'un appui politique. Des informations ont circulé au cours de l'été sur des livraisons d'armes et des transports de combattants qui auraient été effectués par des avions qatariens. Ce choix n'est pas nouveau et l'on se souvient des importants moyens militaires engagés par Doha avait en 2011 pour appuyer le départ de Kadhafi; l'Emirat a depuis un certain temps pour objectif de s'inviter sur la scène pétrolière libyenne.
La tentation d'intervenir sur le terrain est tout aussi présente du côté de ceux qui souhaitent chasser les islamistes extrémistes. C'est d'abord le cas de l'Egypte qui est soupçonnée d'avoir procédé au cours de l'été à des frappés aériennes sur des positions islamistes, avec la coopération des Emirats; des informations récentes font également d'importantes livraisons d'armes. Il est notoire que la coopération dans les domaines militaires et du renseignement est étroite entre les autorités de Tobrouk et le Caire.
Double approche de l'Algérie et attentisme des Occidentaux
L'Algérie a adopté une double approche. D'une part, en tant que médiatrice entre les partis en conflit, elle affiche un soutien au dialogue et un refus des ingérences étrangères, ce qui l'amène à s'opposer aux initiatives très voyantes du Caire. D'autre part, elle a aussi ses préférences et des intérêts à défendre. La coopération dans les domaines militaires et du renseignement s'est développée entre Tobrouk et Alger et la présence des services spéciaux algériens en territoire libyen est évoquée par la presse.
Aussi les différences entre Le Caire et Alger vis-à-vis de la Libye portent-elles plus sur la méthode que sur le fond; et ce, d'autant plus que l'Algérie n'est pas disposé à se laisser déposséder de l'initiative dans le règlement d'une crise qui la menace tout autant que l'Egypte.
Les Occidentaux soutiennent les autorités issues des élections de 2014. L'intervention fait aussi partie des hypothèses de travail, comme l'ont montré les prises de positions du ministre français de la Défense. La mise au point du président François Hollande qui a suivi ces déclarations a simplement précisé que l'option n'est pas d'actualité. Les Américains sont apparemment sur la même ligne, même si la presse fait état de la présence de forces spéciales sur le terrain.
Le coup de poker du général Haftar
L'action engagée par le général Haftar pour reprendre Bengazi illustre les aléas de la situation telle qu'elle s'impose aux des partenaires de la Libye officielle. Abandonné par Kadhafi après avoir été son chef d'état-major, Khalifa Haftar est réputé proche des Américains. Intervenant sans mandat du gouvernement, il aurait été soutenu par l'Egypte et les Emirats. Un premier échec au cours de l'été face aux troupes du Groupe de Misrata l'a isolé et il s'est trouvé rejeté tout autant par les autorités de Tripoli que par le gouvernement de Tobrouk, peu soucieux de le voir développer une stature d'homme providentiel. Mais la reprise de l'offensive pour dégager Benhazi pourrait être en train de faire bouger les lignes. Les autorités de Tobrouk qui n'ont jamais renoncé à s'imposer par la force ont évolué à son égard, et le porte-parole du Parlement vient de reconnaître que son action constitue une action de l'armée libyenne.
De son côté, la communauté internationale fait aujourd'hui le choix de la recherche d'une solution politique. Le processus a été confié aux Nations-Unies et il se déploie selon deux axes: rétablissement du dialogue, et menace d'action répressives vis-à-vis des acteurs libyens qui recourent à la violence.
Bernardino Leon, envoyé spécial des Nations unies en Libye, croit à une solution politique.
Les Nations unies et la solution politique
La résolution 2714 adoptée par le Conseil de Sécurité à la fin du mois d'août, qui constitue la feuille de route pour les Nations Unies, se place aussi dans le cadre de l'article VII de la Charte qui autorise le recours à la force. L'approche suivie est donc moins une démonstration de faiblesse comme on l'a parfois dit qu'une tentative raisonné de trouver une issue politique; l'usage de la contrainte est simplement suspendu.
Les pays du 5+5, réunis à Madrid le 19 septembre 2014, pour une conférence spécialement consacrée à la Libye ont apporté leur appui à cette démarche. La Ligue Arabe, ainsi qu'un certain nombre de pays méditerranéens invités à Madrid, s'y sont également associés.
Les Nations-Unies ont enregistré leurs premiers résultats. Le nouvel envoyé spécial, Bernardino Leon, a réuni à Ghadamès, à la fin septembre, les parlementaires de Tobrouk avec les 60 élus islamistes de 2014 qui récusent ce parlement. Plus récemment, il a réuni à Tripoli les représentants d'une quarantaine de milices. De manière remarquée, Ban Ki Moon est venu à Tripoli pour exprimer son soutien à M. Leon et appelé les milices à se retirer des villes, des aéroports et des bâtiments administratifs.
La démarche peut-elle réussir? Dans une interview donnée il y a deux semaines à ''El Mundo'', M. Leon disait croire que la situation pouvait se rétablir en Libye «parce que les différences entre les acteurs ne sont pas si grandes et que la tradition tribale et guerrière n'est pas destructrice mais qu'elle cherche à résoudre les questions et non à éliminer l'autre». On ne peut qu'espérer qu'il y parvienne, à condition bien sûr que la remise en mouvement des troupes du général Haftar ne vienne compliquer le jeu.
* Consultant indépendant, associé au groupe d'analyse de JFC Conseil.
** Les intertitres sont de la rédaction.
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