Ridha Neffati * écrit - La révolution tunisienne était imprévisible, sans leadership politique, ce qui a certainement contribué à son succès, à sa survie, mais l’a également fragilisée. Comment aider la révolution à se poser dans un champ politique tunisien encore en construction?


3 - La fusion immédiate des partis pour éviter l’inconnu politique
La jeune démocratie tunisienne a eu pour première conséquence politique la multiplication des partis, soixante six aujourd’hui, leur nombre étant appelé à croître.
Ce phénomène n’est pas nouveau dans l’histoire politique, les révolutions populaires ont souvent été suivies par la naissance d’une multitude de partis politiques, en l’occurrence premier dividende démocratique.
Les tunisiens démontrent ainsi leur volonté de s’impliquer réellement dans la reconstruction du champ politique de leur pays et participer de près au choix d’un nouveau projet pour leur société.
Mais les promoteurs des nouvelles formations politiques ne sont pas porteurs de nouveaux projets de société, mais plutôt d’un ensemble de valeurs humaines et sociales issues du mouvement révolutionnaire, l’applicabilité de ces valeurs dans le cadre d’un projet politique viable reste encore à définir.
Cependant, les partis auront le devoir aujourd’hui de privilégier l’intérêt politique national au détriment de leurs intérêts politiciens.

Pour une «économie d’échelle politique»
L’émergence des nouveaux partis est une réaction face à la nouvelle liberté politique, l’excès est donc légitime.
En revanche, au regard de la date de la première échéance électorale, 24 juillet 2011, où de celles qui la suivront, il serait surprenant de voir un des nouveaux micro-partis s’imposer.
L’émiettement des partis représente un handicap majeur à leur croissance, à leur représentativité à l’échelle nationale et surtout au développement d’un idéal politique censé attirer bon nombre de sympathisants et futurs adhérents.
La Tunisie démocratique a besoin aujourd’hui de grands mouvements politiques qui seront portés par des partis «leaders».
La multiplication démesurée des partis ne peut donc qu’engendrer la faiblesse des formations politiques à court ou à moyen terme, leur fusion devient inévitable, une question de «vie» ou de «mort politique»!
La fusion permettra aux partis porteurs des mêmes messages politiques, des mêmes visions démocratiques pour l’avenir et partageant la même conception moderne d’une société, de réunir leurs forces, leurs moyens, leurs structures régionales et leurs réseaux d’influence autour de grands mouvements à l’échelle nationale.
Ce rapprochement, même de raison, méritera de faire primer l’intérêt national sur l’intérêt politique d’un parti ou de ses fondateurs.
La fusion peut se faire par absorption, un seul sur le regroupement subsistant, ou par la création d’un nouveau parti, symbole de la nouvelle alliance.
Les partis politiques devront au préalable résoudre la question du leadership au sein des partis issus de la fusion pour éviter une future implosion ou la constitution de blocs en leur sein.
Ils devront également mettre en place des mécanismes et des structures les aidant à la résolution interne de conflits dus aux divergences dans la conduite des affaires du parti, dans le choix des membres figurant sur les listes électorales, ou même dans la future orientation stratégique ou doctrinale : le but étant d’éviter le divorce.

Les grands partis pour un «consensus constitutionnel»
Manifestement, la Tunisie a un réel besoin de constituer trois ou quatre grands partis politiques, les autres partis auront la possibilité de participer à ces grands mouvements par des alliances stratégiques préélectorales.
En effet, la future Constitution représentera le nouveau projet de société de la Tunisie libre, elle symbolisera également le nouveau « contrat social », d’où l’intérêt d’une Assemblée constituante.
Le texte constitutionnel sera nécessairement le rempart contre l’extrémisme, contre l’installation d’une éventuelle dictature, il portera en lui les valeurs d’une démocratie tunisienne «sur mesure».
Chaque grand parti se battra promptement pour proposer son projet de société qui devra être incarné par la future constitution.
La taille substantielle du parti lui permettra de construire ce projet appuyé par un consensus interne autour de la masse de ses sympathisants, il aura nécessairement plus de crédibilité et surtout il sera représentatif d’un grand mouvement de la société.
Sans cette union, il en résulterait une multitude de petits projets de société représentatifs de petits groupes, sans consensus de taille.
Les élections de l’Assemblée constituante seront les plus importantes, il s’agira de choisir le «contrat» qui devra gouverner tous les tunisiens pour une longue durée, dont les articles et les valeurs seront la source de l’ensemble des lois qui en découleront.
Les grands partis, appuyés par la majorité des citoyens, seront également utiles pour créer un certain consensus national autour de l’action de construction démocratique, ils éviteront à la Tunisie un déséquilibre politique qui conduirait le pays vers un redoutable blocage de l’action politique.
Etant une société homogène, la Tunisie a de grandes chances de réussir la création de mouvements politiques en l’absence de fragmentation à caractère ethnique ou géographique ou même confessionnelle majeure.

Sans l’Union, l’inconnu se profile...
Si les partis politiques choisissent d’éviter de telles opérations de rapprochement définitif et optent plutôt pour le système des alliances politiques avant ou pendant les échéances électorales, il n’en demeure pas moins que leurs mouvements ne pourront atteindre, en étant indépendants, la taille critique pour espérer peser dans la bataille des idées politiques ou même s’imposer dans une féroce bataille électorale.
La présence de plusieurs micro-partis devra aussi faire émerger les politiques des extrêmes dont les doctrines et les projets sont déjà prédéfinis et qui seront renforcés par le vide ou l’espace de jeu politique laissé vacant par les petits partis existants aujourd’hui sur la scène tunisienne.
Cette situation pourrait créer une instabilité politique permanente due à l’absence de grands mouvements politiques représentatifs de la voix de la majorité du peuple révolutionnaire.
L’absence d’imposants mouvements politiques ne permettra pas à la Révolution d’arriver à terme, elle risque plutôt de faciliter la réinstallation d’une politique autoritaire et/ou opportuniste, synonyme de son avortement.
La révolution orange en Ukraine de 2004 en est un exemple, elle a ramené officiellement la démocratie à ce pays ex-communiste mais n’a pu rompre définitivement avec le passé, les vieux réflexes de la corruption n’ont pu être désinstallées.
Les révolutionnaires ont laissé la place en 2010 aux pro-russes chassés du pouvoir par la Révolution.
Avant que le peuple tunisien ne déchante en raison de l’absence de nouvelles idées ou projets politiques pouvant convertir les valeurs révolutionnaires, l’ensemble des intervenants dans le champ politique (partis, intellectuels et société civile) ont encore la possibilité aujourd’hui de faire le constat de l’état de la politique en Tunisie dans le but d’analyser les faiblesses actuelles manifestes des mouvements politiques.
Ce constat permettra à l’ensemble des intervenants de se peser en «poids politique» et de déterminer le seuil-plancher nécessaire à l’émergence d’un grand mouvement politique aujourd’hui.
Ce «check-up» du potentiel politique des partis permettra une remise en cause nécessaire, il apportera en même temps l’évidente preuve que la bataille entre les micro-partis ne donnera raison à aucun d’eux.
La Tunisie politique doit se hisser à la hauteur de la révolution, elle n’a pas le droit de rater son rendez-vous avec l’histoire et décevoir les peuples souhaitant suivre son modèle, d’autant plus qu’elle est appelée à innover en matière de démocratie « arabe », voire sud méditerranéenne.
Pour ce faire, les forces politiques démocrates doivent se rapprocher et se concentrer rapidement dans un grand mouvement et ce dans l’intérêt de toute une nation qui ne veut surtout pas être qualifiée de "future ex-révolutionnaire".
Seul ce réalisme politique permettra à ces forces d’assumer leur rôle dans l’organisation du pouvoir dans l’ancienne cité carthaginoise qui accède de nouveau à la démocratie.
Comme un enfant prématuré, la politique post-révolutionnaire est placée actuellement sous haute surveillance, couvée, elle reçoit actuellement des soins intensifs dus à son «immaturité», elle est assistée d’une manière continue pour l’aider à retrouver un certain équilibre.
Elle est appelée à être surveillée pendant plusieurs années, le temps de dépasser «l’âge corrigé», l’équivalent d’une certaine maturité.
La fusion devra accélérer le processus de maturité, elle donnera aux partis actuels la possibilité d’une survie politique, l’opportunité de rattraper le retard causé par une certaine «immaturité politique».
Enfin la fusion est la condition sine qua non à la réussite de la transition politique avant d’évoquer l’idéal démocratique tunisien.

Lire aussi :
La politique, l’enfant prématuré de la révolution tunisienne (1/3)
La politique, l’enfant prématuré de la révolution tunisienne (2/3)

* Avocat au Barreaux de Paris et de Tunisie.

Extrait de l’essai politique «La politique, l’enfant prématuré de la révolution tunisienne».