Kilani Bennasr* – La révolution du 14 Janvier a mis à l’évidence la faillite du régime de Ben Ali. La Tunisie est à la recherche d’une politique garantissant égalité, liberté et démocratie au peuple, et stabilité et souveraineté à l’Etat.


En Tunisie, pour que la vie reprenne normalement, il est temps de bannir l’ancienne politique de mensonge et de «parfaitisme».
Aussi, est-il opportun de constater, avec beaucoup de regret, que les milieux politiques et une bonne partie de la société civile rejettent l’idée de déléguer à l’armée nationale la responsabilité de contrôle du gouvernement et de sauvegarde de l’Etat.
Cette attitude est, non seulement, impopulaire mais reflète malheureusement une culture antimilitariste gratuite, entretenue durant 60 ans par les ex-présidents Bourguiba et Ben Ali et aussi par certains militants de la gauche et des bourgeois victimes de la propagande colonialiste européenne.

 

Enseignements du modèle turc pour la Tunisie  
C’est inadmissible de ne pas reconnaître à la «grande muette», l’armée tunisienne, son rôle de sauveur de la nation. Le refus d’obtempérer aux ordres de Ben Ali a incontestablement été déterminant dans l’aboutissement énigmatique du mouvement populaire, le 14 janvier.
L’armée tunisienne avait réagi par pur esprit républicain et non pas de circonstance, ce n’est pas la première fois qu’elle se range du côté du peuple qui lui a toujours été reconnaissant.
Le 14 janvier a démontré le vrai visage du pays, une Tunisie apte à se développer, des moyens modestes et une population qui à peine commence à saisir le sens et la portée de la démocratie.
Partant de ce constat, il serait utopique de croire que la Tunisie soit capable de réaliser en quelques mois ce qu’ont pu réaliser la Roumanie, ou d’autres pays de l’ex-bloc de l’Est, en 20 ans.
Et puis, d’autres arguments rendent cette comparaison non réaliste car la culture du peuple tunisien est très différente de celle des peuples slaves et tziganes.
Au vu de ce qui précède, le peuple le plus proche des Tunisiens et dont l’expérience est la plus utile, est le peuple turc.
Quelques mois avant le coup d’état du 12 septembre 1980 en Turquie, il n’y avait aucune différence entre la situation actuelle en Tunisie et la situation en Turquie : la Turquie est au bord de la guerre civile, les procédures judiciaires sont très longues, les confrontations entre les groupes d’étudiants de partis politiques extrémistes, dont les activistes deviennent de plus en plus violents, les syndicats et les partis se renforcent pour augmenter le nombre de grèves et affaiblir l’autorité de l’Etat, les forces de sécurité sous-équipées et également divisées entre les syndiqués et agents restés fidèles au régime, se sont trouvées inaptes à gérer la situation.          
Face à ce chaos, l’Etat se révèle incapable de contrôler ni la crise économique, ni les mouvements sociaux, ni surtout le terrorisme.
La haute hiérarchie militaire percevant la situation «explosive» en Turquie décide de l’anticiper et de l’étouffer avec tous les moyens.
La Tunisie, au futur, pourrait se retrouver dans une situation pareille, une situation qui se détériorerait davantage en raison des menaces extérieures venant du sud.
Voyons quelle institution démocratique pourra garantir paix et progrès pour la Tunisie !

Quelle institution démocratique pour le Tunisie ?
Les facteurs déterminants retenus pour la conception du futur régime parlementaire tunisien sont d’abord :
- les objectifs de la révolution ;
- la situation d’insécurité dans le pays ;
- les menaces extérieures et la crise humanitaire au sud-est tunisien ;
- le nombre élevé de jeunes diplômés ;
- le manque de maturité politique ;
- la société multiculturelle tunisienne.
Bien que la Tunisie ait vécu le 25 mars 1956, dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle, ses premières élections législatives, la situation après le soulèvement du 14 janvier est différente.
Le régime parlementaire en Tunisie est une revendication populaire qu’il faudrait absolument respecter, le peuple n’accepterait plus aucune forme de régime présidentiel ; il lui rappelle 60 ans de despotisme et d’abus de pouvoir.
La laïcité de l’Etat est une revendication de la société civile et son adoption par la constitution confirmera la renommée de la Tunisie à l’échelle mondiale, considérée un pays d’ouverture, de tolérance et multiculturel.
En outre, la prochaine constitution devrait avaliser le principe du mode de scrutin proportionnel qui s’adapterait le mieux à la situation en Tunisie.
Par ailleurs, les dirigeants politiques devraient aussi discuter, la plus importante des revendications du peuple, celle de favoriser dorénavant le développement de certaines régions restées déshéritées pendant plus de 50 ans de pouvoir. Le gouvernement avait annoncé qu’il allait inverser, dès cette année, la répartition des deniers publics sur les régions.
Ces réformes, pour plus d’efficacité, seraient citées dans la nouvelle constitution, en prévoyant une véritable décentralisation du pouvoir, voire une réorganisation du territoire en 4 régions, entièrement autonomes sur le plan financier et économique, jouissant aussi d’une relative autonomie politique en ayant chacune son propre parlement, comme c’est le cas en Espagne et en Suisse.
Ces 4 régions auront pour centres de pouvoir administratif, les villes de Tunis, Kairouan, Gafsa et Medenine. Tunis sera le centre administratif du nord ; Kairouan sera la capitale des régions actuelles de Sfax et du Sahel ; la région de Gafsa comprendra le centre et le sud-ouest et Medenine le sud-est.  
En effet, le régime parlementaire en Tunisie a aujourd’hui le vent en poupe et sa conception fait l’objet de réflexions à plusieurs niveaux.
Toutes études devraient prendre en considération l’absence, en Tunisie, de partis réellement représentatifs, seul le parti d’Ennahda a une formation tunisienne présentant un mouvement de masse.
Tout dépendra des coalitions entre les partis politiques et des conditions de déroulement des élections de l’Assemblée constituante et des résultats.
Pour que les élections législatives aient lieu, deux cas de figure pourraient se produire :
- Hypothèse A : le désordre et l’incertitude s’aggravent, dans ce cas un homme providentiel serait seul capable de sauver le pays, une répression est attendue et les pertes en vie humaine et en matériel seraient considérables.
- Hypothèse B : Un climat de paix sociale et une entente entre, partis politiques et gouvernement, règnent ; c’est seulement dans cette situation que les élections législatives pourraient avoir lieu.
Pour ce faire, l’organisation du gouvernement tunisien, proposé, s’inspirera du modèle de gouvernement turc, de la période avant la réforme de 2007. Bien entendu les lois qui avaient régi ledit gouvernement étaient destinées à répondre à la situation politique en Turquie avant le coup d’état  du 12 septembre 1980.
Pour cette raison et compte tenu aussi des spécificités de chaque pays, le modèle tunisien suggéré différera dans quelques aspects du modèle turc, sur les plans fond et forme.
Pouvoir exécutif : le président, dont les prérogatives seront limitées, est élu par le parlement tunisien pour un mandat de 5 ans non renouvelable. Son âge sera de 45 ans minimum. Son rôle dans le gouvernement est consultatif mais cumule la présidence du Conseil national de sécurité.
Le rôle dudit conseil consiste à veiller au respect des normes constitutionnelles par le gouvernement et sa réunion sera trimestrielle. Il est formé d’un président, le chef d’Etat, qui aura, comme membres, le Chef d’état-major des armées, les ministres de la Défense, de l’intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères.  
Le Premier ministre, chef du gouvernement, est lui aussi élu par le parlement pour une période de 5 ans non renouvelable. Son âge sera de 40 ans minimum et il conserve son droit de dissolution du parlement.
En temps de campagne électorale, des personnalités indépendantes, qui n’appartiennent à aucun parti politique, prendront la tête de certains ministères vacants, dont les ministères de l’Intérieur, de la Justice et de la Défense.
Pouvoir législatif : le pouvoir législatif est exercé par le parlement tunisien, composé de X sièges renouvelés tous les 5 ans.
L’âge requis pour être député est de 30 ans, le candidat doit par ailleurs posséder au minimum un niveau d’enseignement universitaire. Pour être représenté au parlement un parti doit présenter un candidat dans au moins la moitié de la Tunisie et obtenir au moins 10% des suffrages sur l’ensemble du pays.
Rôle de l’armée : depuis la fondation de la république, l’armée tunisienne a toujours été du côté du peuple et au secours des institutions de l’Etat. A cet effet, les forces armées tunisiennes conserveront par le biais du Conseil National de Sécurité un droit de regard sur la vie politique en général et sur le gouvernement en particulier.
Les lois régissant les attributions du Conseil de sécurité nationale resteront en vigueur, sauf amendement de la constitution qui pourrait les modifier ou les annuler.

* Colonel retraité de l’armée tunisienne.

Lire aussi :
Le régime parlementaire turc serait-il un modèle pour la Tunisie ? (2/3)
Le régime parlementaire turc serait-il un modèle pour la Tunisie ? (1/3)