Tarak Arfaoui écrit – La «Tunisianité», marque déposée, sera-t-elle jamais déposée ? Non, bien sûr. Car, contrairement au gouvernement en place, qui cherche à l’escamoter, elle n’est pas, elle, provisoire.
Fier d’être tunisien et fier de ma «tunisianité», cette spécificité de notre peuple façonnée par plus de 3000 ans d’histoire. Personne n’y changera rien car on ne peut pas changer l’histoire. Les gesticulations actuelles en tous genres d’une minorité d’extrémistes ainsi que les tentatives de l’actuel gouvernement de nous coller une étiquette conforme à ses idéologies politico-religieuses ne sont que des coups d’épée dans l’eau.
Spécificités tirées d’un riche patrimoine
Sans faire encore une fois de rappels historiques fastidieux (Cf l’article ‘‘La tunisianité, un patrimoine en péril’’ sur Kapitalis), la Tunisie est un véritable melting-pot ayant brassé tant de civilisations dans son environnement géographique exceptionnel, ayant subi tant de brassages raciaux et d’influences culturelles, qui ont abouti à créer une spécificité tunisienne que le terme, faut-il l’inventer, de «tunisianité» peut parfaitement définir.
La façon de vivre tous les jours, de s’habiller, de s’alimenter et de se divertir du Tunisien lambda, est tout à fait comparable à celle de n’importe quel autre citoyen du bassin méditerranéen. Cependant ses spécificités tirées de son riche patrimoine ne sont à nulles autres pareilles, et sont indiscutablement différentes et parfois même aux antipodes des traditions arabes moyen-orientales que certains veulent nous imposer.
Je suis sidéré par mes chers concitoyens, hommes et femmes, que je rencontre au coin de la rue portant de drôles d’accoutrements spécifiquement moyen-orientaux, et dans certains cas sectaires, tout à fait étranges et étrangers à nos coutumes vestimentaires.
Est-il normal qu’il devient exceptionnel de nos jours de rencontrer une femme drapée dans un bon vieux sefsari tunisien ? Je suis ébahi d’entendre certaines personnes, surtout dans la sphère politique au pouvoir, parler avec un accent typiquement moyen oriental qui n’a jamais eu cours dans notre pays.
Le langage tunisien est un véritable trésor national, mélange de berbère, d’arabe, de mauresque, de turc, voire même d’italien, facilement reconnaissable dans le monde entier et qui fait notre spécificité ; pourquoi nous imposer une autre langue ?
Est-il nécessaire pour affirmer notre arabité (ou arabitude), qui n’est pas une exclusivité, de nous tourner vers le Moyen-Orient et d'ignorer notre environnement géographique ?
Quelle relation étroite en dehors de la religion et un peu moins de la langue avons-nous avec le Moyen-Orient ? Prenez n’importe quel citoyen de cette région et essayez de le comparer sur tous les plans à n’importe quel citoyen tunisien et vous constaterez bien les différence s; car beaucoup de choses les séparent dans tous les domaines.
Faut-il «moyen-orienter» les Tunisiens ?
Est-il nécessaire de tourner le dos à nos traditions musulmanes maghrébines et d’ouvrir les bras à des prédicateurs moyen-orientaux qui se bousculent à nos portes pour nous enseigner un islam radical qui n’est pas le nôtre ? L’énergie déployée par certains hommes politiques pour nous «moyen-orienter» coûte-que-coûte est vraiment loufoque. Rafik Abdessalem, le ministre des Affaires étrangères, fait semblant de ne pas comprendre le français et Abderraouf Ayadi, secrétaire général du Congrès pour la République (Cpr) rappelle à l’ordre les journalistes qui l’interpellent en français. Il tient même à surnommer l’équipe nationale de football «les Aigles de Oqba» à la place des «Aigles de Carthage», si bien que l’on est en droit de douter que M. Ayadi, aussi instruit soit-il, connaisse vraiment l’histoire de notre pays, puisqu’il voudrait escamoter le legs de Carthage. Son compère du Cpr, Tahar Hmila, n’a pas honte quant à lui de traiter les Tunisiens francophones de «racaille». Hamadi Jebali, le Premier ministre, Jaba pour les intimes, qui veut fermer tous les bars du pays, n’a certainement jamais mis les pieds à Kerkouane ou Utique, cités phéniciennes, pour constater que les bars étaient bien là en Tunisie depuis des millénaires.
Faut-il s’inquiéter de la perte de notre spécificité ? Je pense que, malgré toutes ces tentatives, il ne faut pas s’alarmer outre mesure ; la plus haute instance du pays veille au grain pour redorer le blason de notre «tunisianité». Notre cher président provisoire, authentique tunisien de la grande tribu des Mrazig, semble avoir attrapé le virus de la «tunisianité». Il vient de délaisser costards et cravates pour endosser le traditionnel burnous national. Il vient même récemment, par un décret républicain, de faire enfin intégrer dans le socle national, lors de sa visite au pays de Massinissa (Makthar), les tribus des Oued Majer et des Oued Ayar, les plus tunisiennes de toutes les tribus tunisiennes depuis la nuit des temps.
L’espoir est toujours là chers amis, notre «tunisianité» n’est heureusement pas provisoire.
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