Depuis quelques semaines, la scène socio-politique tunisienne voit l’apparition d’un nouveau phénomène post-électoral circonstanciel: la «halalisation». De quoi s’agit-il?

Par Ahmed Chebbi*


 

Cette pratique consiste à estampiller d’un label halal toute personne, idée ou projet prérévolutionnaire que le nouveau pouvoir juge utile à réhabiliter.

La «halalisation» des visions politiques

Il y a eu d’abord la halalisation du bourguibisme dans toutes ses formes, allant de l’article premier de la constitution et du Code du statut personnel jusqu’à la violence policière, l’hostilité aux médias et la stigmatisation de l’opposition. Il faut rappeler qu’en période électorale, l’anéantissement du «projet bourguibiste» était un des chevaux de bataille d’Ennahdha. Par opportunisme ou par pragmatisme, le projet bourguibiste, qui a su dominer le pays pendant un demi-siècle, s’avère être le modèle de référence du mouvement islamiste. Qui aurait cru que Ghannouchi allait un jour s’inspirer de son bourreau de toujours.

La «halalisation» des personnes

Après la «halalisation» des visions politiques, voici la «halalisation» des personnes physiques. Actualité oblige, prenons l’exemple de Tarak Dhiab, ce footballeur au talent indiscutable, dans un exercice qui lui était nouveau, s’était lancé dans une diatribe populiste digne d’un Marzouki ou d’un Zitoun au sommet de leur art et a accusé l’opposition (Maya Jeribi, Hamma Hammami, Chokri Belaid…) d’être anti nationaliste, et d’accepter une normalisation avec Israël. Cette attaque indigne d’un ministre, censé être un homme d’Etat, serait passée inaperçue si notre ministre «nationaliste» ne s’était présenté sous Ben Ali aux élections municipales dans la liste du… Rcd, une élection qui a vu la liste de l’opposition unie (Pdp/Ettakatol/Ettajdid), anti nationaliste à l’époque aussi,  annulée sans raisons dans la même circonscription de la liste Rcdiste de Tarak Dhiab*... No comment…

Dans le même chapitre, on peut citer la nomination d’anciens propagandistes de Ben Ali à des postes clés dans les médias publics dans le but de… «nettoyer» la profession. L’exemple le plus édifiant reste cependant celui de Habib Essid, cadre sécuritaire sous Ben Ali et personnage contre lequel l’un des partis au pouvoir, le Congrès pour la République (CpR) a mené une campagne de dénigrement dans le but de le «dégager». Habib Essid vient d’être nommé, d’après le dernier Jort, conseiller du Premier ministre aux affaires sécuritaires, allez comprendre...

Autre cas de «halalisation» lors de la consultation nationale sur les médias organisée par le gouvernement, cette rencontre a connu l’intervention de Mohammed Hamdane et Ridha Mellouli, deux individus connus pour leur allégeance au gourou des médias «benalistes» Abdelwaheb Abdallah, qui ont été invités à contribuer à la réflexion sur l’assainissement de la profession. Sihem Ben Sedrine, dégoûtée, dira qu’il ne manquait que Borhare Bessaies, l’ex-propagandiste en chef de Ben Ali, à cette consultation. A ce rythme-là, le ridicule finira bien par tuer.

La «halalisation» du programme politique de Ben Ali

Last but not least, le fameux programme du gouvernement, qui vient d’être présenté six mois après les élections, n’apporte rien de nouveau pour les régions intérieures. Le même modèle de développement est maintenu, sans vision réelle, ni mesures concrètes pour résoudre le problème urgent du chômage. Rien que des déclarations d’intentions comme à l’accoutumée. Le gouvernement se vante de vouloir créer 60 grands projets dans les régions…, projets pour la plupart déjà annoncés par Ben Ali lui-même (village touristique à Tozeur, cité sportive à Sfax, autoroute Kairouan-Gafsa, port en eaux profondes d’Enfidha, Port financier de Tunis, etc.). Voici donc la «halalisation» d’un projet économique qui a conduit à une révolution.

La «halalisation» de la corruption

Pour finir, l’anecdote de la loi de finance qui fait froid dans le dos: la «troïka» (la coalition tripartite au pouvoir dominée par Ennahdha) a prévu 450 millions de dinars de recettes provenant de… dons Tunisiens de l’intérieur et de l’étranger. Une estimation pour le moins ridicule qui rappelle cyniquement le nombre d’hommes d’affaires tunisiens interdit de voyager. Et si chacun de ces hommes d’affaires payait 1 million de dinar pour retrouver la liberté de circuler et que son dossier se perde dans les méandres de la justice, on mobiliserait exactement cette somme. Selon certaines rumeurs, l’idée ferait son chemin et la négociation serait bien avance. Cela s’appellerait alors la «hallalisation» de la corruption…

A bon entendeur salut.

* - Universitaire.

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