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La Tunisie et la Libye sont au coeur d'un plan international de redéploiement des groupes terroristes de la région, fédérés sous l'«enseigne» de l'Etat islamique de l'Irak et du Levant (EIIL ou Daach), financé par les pays du Golfe.

Par Seif Ben Kheder

La carte régionale du terrorisme évolue à grande échelle et à une vitesse vertigineuse. Nous affronterons dans les prochaines semaines une nouvelle vague d'attaques plus sérieuses et conséquentes que celles des groupuscules éparpillés un peu partout sur tout le territoire tunisien et face auxquelles nos forces armées se sont montrées vulnérables et sans vision stratégique.

Il s'agit de l'Etat islamique de l'Irak et du Levant (EIIL), qui se lance dans une stratégie d'expansion de ses structures et ses activités, défiant et dépassant largement la maison mère Al-Qaida de l'Egyptien Aymen Zawahiri et marginalisant Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) de l'Algérien Abdelmalek Droukdel.

Concentration des opérations

La sécession de plusieurs factions du corps de cette organisation, telle-que celle des Mouwaqiouna Biddam (littéralement : Signataires par le Sang) de l'Algérien Mokhtar Belmokhtar, le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao), ou encore Ansar Dine, ont fortement affaibli l'autorité de Droukdel, qui se trouve isolé dans les régions montagneuses tout au long des frontières tuniso-algériennes et en perte d'influence sur la région du Maghreb et du Sahel.

Toutes ces «katibas» (brigades) devenues plus ou moins indépendantes représentent un potentiel de force terroriste très important pour l'EIIL, pourvu que ses émissaires parviennent à les convaincre de se rallier sous cette nouvelle enseigne dans une autre stratégie pour la région. Cette stratégie repose sur la concentration des opérations sur un territoire donné pour en prendre le contrôle et assurer la pérennité de cette mainmise. Contrairement à ce qui se pratiquait auparavant, sous l'égide de Droukdel, avec des attaques éphémères orientées vers le gain de butin mais sans volonté de positionnement des troupes.

Les alliés de Belmokhtar semblent d'accord sur cette nouvelle vision, surtout après avoir réussi à unifier les dissidents dans une nouvelle formation appelée Al-Mourabitoun et qui lance, depuis le sud de la Libye, leur première invasion territoriale au nord du Mali.

Restent les Ansar Charia, présents en Tunisie et en Libye, qui connaissent eux aussi quelques bouleversements structurels, suite à la neutralisation de certains des cadres de leur organisation et l'absence de coordination, du moins visible, dans leur processus décisionnel.

La «guerre du pétrole»

Les Ansar Charia libyens semblent plus «sur leurs pieds» du fait de leur influence ascendante sur l'administration locale, si tant est qu'il existe encore une administration en Libye, et leur participation à la «guerre du pétrole» que se livrent les différentes factions libyennes.

C'est dans ce contexte que des réunions – révélées par plusieurs rapports de renseignement occidentaux, mais aussi égyptiens, les plus fiables en ce moment – se sont déroulées dans l'est de Libye, rassemblant les émissaires de l'EIIL, des Mourabitoun et des cadres libyens de Ansar Charia, ainsi que Seifallah Ben Hassine, alias Abou Iyadh, chef du groupe Ansar Charia tunisien.

Les nouveaux chefs de la nébuleuse terroriste ont mis sur la table des négociations les impératifs de la nouvelle configuration. La tendance prévoit le renforcement du pouvoir terroriste dans l'axe tuniso-libyen et, par extension, à l'Algérie, à travers le renforcement des effectifs redirigés du front syrien et de la logistique militaire des Libyens sur fond de guerre du pétrole, comme celle entamée dans la province de Brigua et Ajdabia.

Les préparatifs semblent être amorcés et le plan d'action commence à se dessiner dans le sud tunisien par la vague d'émeutes subites qui ont éclaté, les deux dernières semaines, à Ben Guerdane, dans le gouvernorat de Médenine.

Curieusement, les manifestants ont scandé des slogans revendiquant l'exploitation des gisements situés dans la région par ses propres habitants (ou par les milices qui y sont déjà implantées ou qui le seront incessamment). On a même entendu des slogans réclamant une autonomie administrative. Des témoignages confirment également que, parmi les participants à ces troubles, se trouvent des personnes bien connues par leur appartenance au parti islamiste Ennahdha et à ses milices appelées Ligues de protection de la révolution (LPR).

Violence et affaiblissement de l'Etat

L'intérêt d'Ennahdha pour ce tsunami terroriste, qui se trame tranquillement sous l'œil attentif de l'OTAN et l'autre numérique de la NSA, l'Agence nationale de la sécurité états-unienne, n'est plus à démontrer. Son retour au gouvernement à l'issue des prochaines élections se voit ainsi conditionné par la recrudescence de la violence et l'affaiblissement des institutions de l'Etat.

L'intérêt des Atlantistes n'est pas un secret lui non plus. L'existence des bataillons terroristes légitimeront les installations militaires permanentes de l'Africom dans la région, au prétexte d'y combattre le terrorisme, et permettront le contrôle du trafic des hydrocarbures qui commence à redessiner la géographie locale.

Et dans tout cela, que fait le chef du gouvernement provisoire Mehdi Jomaa ? Il va solliciter l'aide financière des pays du Golfe, qui sont – et c'est un secret de polichinelle – les pourvoyeurs de fonds pour les groupes terroristes essaimant au Proche-Orient et en Afrique du Nord.

Quant à la classe politique tunisienne dans son ensemble, elle s'est tellement noyée dans ses luttes intestines qu'elle serait capable de qualifier d'alarmistes ces rapports sur la montée de la menace terroriste dans la région, et d'esquiver ainsi ses responsabilités nationales qu'elle n'est pas prête à assumer, obnubilée qu'elle est par le mirage des sièges qu'elle espère occuper à la faveur des prochaines élections.

* Coach en techniques de communication.

 

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