Port-punique-Carthage-Banniere

Le patrimoine archéologique tunisien souffre de l'incivisme de certains citoyens dont les gènes vandales trouvent encore le moyen de s'exprimer. Le gâchis est énorme...

Par Tarak Arfaoui

Les vandales, ces tribus nordiques qui ont envahi la Tunisie en 430 après J.-C. et qui ont colonisé le pays en ce temps-là pendant un siècle en profitant de ses richesses et en dilapidant finalement son patrimoine, semblent avoir laissé quelques descendants dans notre pays qui tentent de réoccuper la place de leurs glorieux ancêtres en s'attaquant aux monuments de notre patrimoine national dans l'impunité la plus totale.

Il est certes inutile de rappeler le passé civilisationnel de la Tunisie et l'exceptionnelle richesse de son patrimoine historique, certainement parmi les plus remarquables du monde. Malgré les aléas du temps, 3000 ans d'histoire restent à jamais gravés dans nos moeurs, dans notre culture et sur notre sol sous forme de remarquables sites historiques qui ont su braver l'érosion du temps et de la nature, les guerres destructrices et les saccages en tout genre.

Un patrimoine systématiquement dégradé

Nos ancêtres nous ont légué un patrimoine d'une valeur inestimable plus ou moins conservé depuis l'indépendance mais qui commence lentement et sûrement à être systématiquement dégradé depuis la révolution dans l'indifférence et la léthargie la plus totale des pouvoirs publics.

Une visite de quelques sites antiques vous éclairera sur l'ampleur des dégradations subies par les monuments, oeuvre de quelques vandales nationaux, sans parler du pillage de notre patrimoine qui alimente le juteux trafic des antiquités plus rentable et moins dangereux pour certains que celui des stupéfiants.

Pas loin de la capitale, le port punique de Carthage, cette oeuvre ingénieuse et si particulière des Phéniciens, dont il ne reste plus actuellement que les grands contours et qui a été le sujet de nombreuses études archéologiques internationales est actuellement squatté par les pêcheurs et plaisanciers de la banlieue nord de Tunis avec tout ce que cela entraine comme dégradation de son environnement.

Jadis strictement interdit au mouillage et malheureusement cerné de toute part par des résidences cossues dont le clan Ben Ali a fait son fief, le port, du fait de cette nouvelle utilisation, n'a pas échappé aux ordures habituelles qu'on voit partout dans la capitale, ainsi qu'aux détritus laissés sur place par les pêcheurs locaux. Pire encore : des jeunes ont en fait un bassin providentiel pour des jeux aquatiques de toutes sortes devant l'indifférence totale de la municipalité et des pouvoirs publics.

Citernes-Maalga-Carthage

Les citernes de Maalga à Carthage envahies par le béton.

Un peu plus loin au niveau de la Maalaga, les citernes romaines, véritables chefs d'oeuvre des ingénieurs de l'époque, du fait de leur architecture, de la stagnation des eaux pluviales et de l'absence d'entretien, sont devenues la principale source de moustiques et de bestioles qui empoisonnent la vie des banlieusards, sans parler de la transformation de certaine citernes en mégas poubelles nauséabondes faisant rapidement fuir les rares touristes qui osent s'y aventurer.

Là aussi, malgré ces avatars, des vandales ont réussi l'exploit de s'y installer durablement en construisant, à même les soubassements de ces citernes, des habitations!

Atteintes au domaine public maritime

Un autre exemple malheureux du vandalisme postrévolutionnaire qui envahit le pays est résumé à Ghar El-Melh (Porto Farina). Les dégâts subis par ce village ne sont en quelque sorte que des échantillons de ce qui se passe dans tous les villages côtiers du pays.

Ghar El Melah, qui a des racines puniques et romaines (Rusucmon), peuplé par des descendants d'Andalous, de Levantins et de Maltais, site merveilleux du fait de sa situation géographique à l'écart des grands axes routiers, généreusement doté par la nature, situé entre la montagne, le grand lac et la mer, est carrément défiguré par des constructions anarchiques tant au niveau de la plage réputée de Sidi Ali El Mekki qu'au niveau des rives même du lac envahies par toutes sortes d'échoppes construites en béton armé et les pieds dans l'eau s'il vous plait au niveau même du domaine public maritime (DPM) où il est théoriquement interdit de poser une seule pierre.

Sans s'attarder sur la laideur de ces constructions, l'équilibre naturel du site avec son écosystème particulier s'en trouve gravement menacé.

Plus sidérant encore, les monuments représentés par les forts barbaresques de Porto Farina au sein même du village, chargés de tant d'histoire, se sont fortement dégradés après une restauration réussie il y a quelques années par l'Institut du patrimoine. Le fort turc, au niveau du vieux port (Borj Ouestani), occasionnellement transformé en salle des fêtes pour mariages, est complètement dégradé au niveau de l'Arsenal dont les locaux sont actuellement squattés par différents corps de métier; un forgeron, une marbrerie et un mécanicien entre autres occupant illégalement les lieux, avec, tenez-vous bien, la bénédiction de la municipalité !

Plus à l'ouest, si l'envie vous prend, de visiter le site exceptionnel de Dougga (Thugga), site classé dans le patrimoine mondial par l'Unesco, vous serez déroutés par la signalisation peu évidente menant aux ruines. Une minuscule plaque au niveau de Teboursouk vous guidera peut-être jusqu'au site et là, le visiteur sera complètement perdu du fait de l'absence de toute signalisation.

Dougga

Difficile de joindre le site de Dougga, un site presque abandonné, à cause d'une signalétique absente.

Dougga est certainement le seul site historique majeur au monde dépourvu d'indications pour les visiteurs! Aucun plan de visite ni à l'entrée ni à l'intérieur; les monuments sont plongés dans l'anonymat le plus complet et le visiteur (beaucoup de touristes) se trouve à la merci de pseudo guides véreux occasionnels qui ont, parait-il, sciemment vandalisé toutes les plaques explicatives installées auparavant pour des buts inavoués.

Les autorités aux abonnés absents

Bien sûr, dans les ruelles, les inévitables canettes, boites et plastiques en tout genre jonchent les lieux et la broussaille qui envahit certains monuments complètent le tableau de désolation. Cerise sur le gâteau : en plein périmètre historique délimité par l'Unesco, le vandalisme atteint son paroxysme par une hideuse construction en béton armé faisant office de restaurant érigé par un particulier en face des ruines dans l'illégalité la plus totale et se dressant comme une injure à la mémoire de tous les Tunisiens.

Ceci n'est qu'une revue superficielle et non exhaustive de la décrépitude dans laquelle est plongé notre patrimoine historique depuis quelques années. D'autres sites dans le pays souffrent de l'indifférence, de l'incivisme et de l'inculture de certains de nos compatriotes dont les gènes vandales, malgré le poids des siècles, trouvent encore le moyen de s'exprimer.
Les autorités, quant à elles, en déficit total d'autorité, laissent faire. Les doléances des citoyens, les réclamations, de toutes sortes et les actions en justice sont restées jusque-là lettre morte. L'Institut du patrimoine, les ministères de la Culture et du Tourisme sont malheureusement aux abonnés absents. Au secours !

Illustration: Le port punique de Carthage transformé en port de pêche et de plaisance.

 

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