Quelle que soit la gravité de la crise, les Tunisiens doivent prendre conscience de la nécessité de compter sur leurs propres moyens et d’arrêter de demander de l’argent à l’étranger.
Par Mohamed Rebai *
A supposer que les 34 milliards de dinars comptabilisés comme promesses financières convenus avec les bailleurs de fonds internationaux lors de la conférence ‘‘Tunisia 2020’’, tenue à Tunis les 29 et 30 décembre 2016, seraient débloqués immédiatement, ce qui ne sera pas le cas, car dans le langage des financiers, une promesse ne veut pas dire un engagement et encore moins un déblocage immédiat, tout devant se négocier, par la suite, au moindre centime. Mais même en cas de déblocage immédiat, cela donnerait 6,8 milliards de dinars, annuellement, au cours des 5 prochaines années.
Or, on sait que les ressources d’emprunts (26% des ressources budgétaires) prévues dans le budget de l’Etat 2017 sont estimées à 8,5 milliards de dinars. Par conséquent, 1,7 milliard de dinars manqueraient encore à la cagnotte et qu’il faudrait chercher.
La monnaie de singe des emprunts
A supposer, maintenant, que les négociations achopperont à des problèmes et que les promesses des bailleurs de fonds ne seront pas tenues, que ferions-nous?
Rappelons que le service de la dette devra s’élever, en 2017, à 5,825 milliards de dinars, auxquels il convient d’ajouter le remboursement de l’emprunt obligataire contracté auprès du Qatar, en 2012, à des conditions abusives, cela donnerait exactement les ressources emprunts prévus en 2017, les 8,5 milliards de dinars, cités plus haut.
Or, il faut se mettre à l’évidence que 60% des sommes annoncées à la conférence ‘‘Tunisia 2020’’ restent au stade de promesses pour des projets de développement financés habituellement par des crédits locaux (35%) et étrangers (65%).
Alors pourquoi ce cirque auquel nous avons assisté et qui va donner l’effet inverse parmi la population qui ne va plus faire d’effort exigée d’elle pour relancer la productivité et accroître la production, croyant que l’argent va couler à flots?
Il faut se rappeler que le G8 avait promis, en 2011, à la Tunisie, une aide de 20 milliards de dollars (environ 27,6 milliards de dinars) étalée sur 5 ans. Cinq ans après, on attend toujours cette pluie de dollars.
Si nous avons un déficit en ressources financières à résorber, rien ne nous empêche de négocier avec les bailleurs de fonds au cas par cas afin d’optimiser les aides et crédits promis, sans sacrifier au ridicule des effets d’annonces sans lendemain.
Des «amis» qui vous veulent du mal
Il existe, par ailleurs, des bailleurs de fonds discrets et capables de nous donner des crédits à des conditions nettement plus avantageuses que les Saoudiens, les Qataris et les Turcs, dont le tropisme islamiste est plus que prononcé, parfois même sans intérêts, parce qu’ils ont un surplus d’argent, et sans venir participer à une «joute» financière populiste.
Certaines promesses d’aide financière présentent un grand risque, parce qu’elles sont souvent accompagnées de conditions strictes, particulièrement celles émanant des Saoudiens, Qataris et Turcs, qui cherchent toujours à déstabiliser la Tunisie d’une manière ou d’une autre.
Il a été démontré que ces Etats pourris d’argent et assoiffé de leadership se soucient peu du bien des pays en difficulté, mais se servent de leur détresse pour les bercer d’illusions et les ruiner. Ces Etats ne donnent rien sans contrepartie, aussi bien financière que politique. Ils exigeront, par exemple, l’extension des banques islamiques. Avec eux, on est loin de l’investissement mutuellement bénéfique. Ce sont des spoliateurs, qui cherchent à pousser leurs pions et à imposer leurs intérêts, qui ne sont pas nécessairement les nôtres.
Les Saoudiens, on le sait, n’ont généralement qu’un seul objectif : l’expansion du wahhabisme radical, alors que les Qataris lorgnent toujours sur les terrains à vocation touristique et immobilière, qu’il cherche à acquérir au prix symbolique, alors que les Turcs, qui ont déjà obtenu la gestion de deux aéroports internationaux (Monastir et Enfidha) contre la construction d’un seul (Enfidha), envisagent de relancer leurs concessions en difficulté.
Entre-temps, forts d’un accord de libre échange signé avec le gouvernement tunisien du temps où il était dirigé par le parti islamiste Ennahdha, ils ont inondé le marché tunisien avec des produits manufacturés (agroalimentaire, électroménager et textile) et des glibettes blanches qu’ils n’arrivent pas à écouler en Europe.
Aidez-vous, Dieu vous aidera !
Autre sujet d’inquiétude, et pas des moindres : la masse salariale qui a atteint la proportion alarmante de 13,15 milliards de dinars, représentant 71% des dépenses de gestion et 14% du PIB. Le gouvernement compte stopper les recrutements et les augmentations salariales prévues pour 2017. Les syndicats ne sont pas de cet avis. Des grèves sont annoncées. Il faut s’attendre à des confrontations homériques.
Quoi qu’il en soit, et tout en admettant la gravité de la crise économique et l’étroitesse de la marge de manœuvre du gouvernement, appelé, à la fois, à rétablir les équilibres des finances publics et à améliorer le pouvoir d’achat des citoyens et trouver du travail aux sans-emploi, la seule solution viable, à notre avis, est que les Tunisiens prennent conscience de la nécessité de compter sur leurs propres moyens et d’arrêter de demander de l’argent à l’étranger, car, en continuant à emprunter, ils risquent de tomber, si ce n’est pas déjà le cas, dans une spirale inflationniste dont ils auront du mal à sortir.
D’ailleurs, on est en droit de s’interroger sur la quasi-absence des investisseurs tunisiens, qui hésitent encore à mettre la main dans la poche. Et particulièrement Slim Riahi, président de l’Union patriotique libre (UPL), qui avait promis, avant les législatives de 2014, de nombreux investissements dans les régions du centre et de l’ouest du pays. Ces promesses se sont toutes étrangement évaporées…
Sur un autre plan, et au risque d’en choquer quelques uns, ce n’est pas l’argent qui manque en Tunisie, car on peut le trouver facilement en augmentant la pression fiscale sur les entreprises privées et les professions libérales génératrices de grands revenus, en renforçant la lutte contre l’évasion fiscale, la corruption et la contrebande, et en augmentant considérablement les pénalités pour qu’elles puissent devenir dissuasives pour les corrompus et les corrupteurs, qui sont légions, ont même parfois pignon sur rue et sont connus de tous.
Les mécanismes pour juguler ces fléaux, qui prennent de l’ampleur et privent l’Etat d’importantes ressources financières, sont à portée de main. Il suffit d’y aller sans trembler.
Il reste une question que beaucoup de Tunisiens se sont posés en marge de la conférence ‘‘Tunisia 2020’’ : pourquoi les Américains n’étaient-ils pas de la fête et n’ont-ils rien promis à leurs amis et obligés tunisiens? La réponse, on la trouve dans le roman de Ayn Rand ‘‘La grève ou La Révolte d’Atlas’’ (‘‘Atlas Shrugged’’), «le deuxième livre le plus influent pour les Américains aujourd’hui», juste après la Bible, et qui appelle les Américains à ignorer les peuples qui ne travaillent pas, car il considère, à juste titre, que les gens qui ne produisent pas suffisamment pour vivre sont des bons à rien et des bras cassés. A l’image d’Ayn Rand, les Américains ne veulent plus rien donner au nom de la charité humaine et ils ont raison.
En conclusion, seul le travail pourra nous conduire au développement et au retour de la croissance. La Tunisie pourra faire vivre le double de sa population si ses ressources naturelles et humaines étaient bien gérées et utilisées de manière à profiter aux générations futures.
* Economiste.
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