Pour peu que la justice confirme les révélations du comité de défense de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi sur l’implication d’Ennahdha dans l’assassinat de ces deux dirigeants de gauche et dans le parrainage d’un service spécial chargé des escadrons de la mort, le mouvement islamiste devrait être interdit illico presto.
Par Khémaies Krimi
Au regard du processus de destruction systématique du pays mis en œuvre par ce parti lorsqu’il détenait tous les pouvoirs, lors du gouvernement de la «troïka», la coalition gouvernementale qu’il a conduite de janvier 2012 et janvier 2014, et dont nous payons, aujourd’hui, très cher, le prix, beaucoup de Tunisiens souhaitent vivement cette issue.
D’ailleurs, le nombre des électeurs d’Ennahdha ne cesse de se rétrécir comme une peau de chagrin : ils sont ainsi passés de 1,4 million en 2011 à seulement 1 million en 2014, nombre qui a encore baissé à 400.000 lors des dernières municipales organisées en mai 2018.
En attendant que la justice tunisienne (qui a malheureusement mauvaise presse) enquête sérieusement sur les révélations du comité de défense de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi, les forces laïques, toutes sensibilités confondues, qu’elles soient de gauche, de centre ou de gauche, a intérêt à être pragmatique et à saisir l’opportunité historique qui se présente à elle de s’entendre sur un compromis historique permettant de réduire la nuisance structurelle d’Ennahdha.
Ennahdha doit prouver qu’il est un parti non-religieux
Dans cette optique, il suffit de s’inspirer de recettes déjà expérimentées avec grand succès en Tunisie sous le règne de Ben Ali et au Maroc.
La première serait de pousser le parti Ennahdha à prouver qu’il est réellement un parti civil, en opérant une séparation de fait entre la religion et la politique et en acceptant, le cas échéant, la suppression de l’article 1 de la constitution qui stipule : «La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’islam est sa religion, l’arabe sa langue et la république son régime». Le but étant d’amener cette quasi-secte à accepter la laïcité de la république tunisienne, qui est à l’opposé de leur projet obscurantiste basé sur l’instauration de la charia, en consacrant la liberté de conscience et en permettant à toutes les confessions de pratiquer leur culte en toute liberté.
Faut-il rappeler que, dans tous les pays du monde, l’identité d’un pays n’est pas définie en fonction de sa religion, de sa langue ou d’une ethnie fût-elle majoritaire. En revendiquant, constamment, l’application de la charia et la restauration du sixième califat, les islamistes tunisiens ont démontré, après leur accès pour la première fois au pouvoir, après les élections de 2011, qu’ils n’ont aucune volonté de contribuer à une réelle démocratisation de la vie politique en Tunisie.
Sous le régime de Ben Ali (1987-2011), les choses étaient claires, car l’article 3 de la loi portant organisation des partis politiques en Tunisie indique clairement qu’«un parti politique ne peut s’appuyer fondamentalement dans ses principes, activités et programmes sur une religion, une langue, une race, un sexe ou une région».
Cette approche est partagée par le poète syrien Adonis, qui admet dans son récent recueil d’articles politiques ‘‘Printemps arabes. Religion et révolution’’ que, «dans ce qu’on appelle les ‘‘révolutions arabes’’, il manque l’essentiel: la rupture avec l’islam institutionnalisé». Et d’ajouter: «Tant que la rupture ne sera pas établie entre la religion et l’Etat, il n’y aura pas de société arabe libre».
Appliquer la loi sur les imams takfiristes
La deuxième recette a été trouvée par le Maroc, où le roi Mohammed VI a interdit aux imams, depuis le 1er juillet 2014, de faire de la politique et d’appartenir à une instance politique ou syndicale durant toute la période de l’exercice de leurs fonctions dans les mosquées.
Concrètement, en vertu du Dahir (décret royal) publié à cette fin, les imams sont tenus de n’exprimer aucune position politique et syndicale et d’éviter toute action susceptible de constituer une entrave à la pratique des préceptes de l’islam.
Le Maroc est depuis engagé dans «un processus par lequel les institutions, les pratiques et croyances religieuses perdent leurs significations sociale», processus qui, empressons-nous de le préciser, n’implique pas nécessairement la disparition des institutions religieuses, ni l’arrêt des pratiques religieuses, ni la perte de la foi religieuse.
En Tunisie, il y a eu une initiative de ce genre mais son application s’est toujours heurtée à l’opposition d’Ennahdha qui, sous la «troïka» de triste souvenir, avait empêché, par tous les moyens, la mise en application du décret 115 (tenant lieu de code de la presse), et particulièrement l’article 51 prévoyant, justement, une peine d’emprisonnement «pour toute personne qui incite à la discrimination, à la haine et à la violence, ou prépare des idées fondées sur la ségrégation raciale, l’extrémisme religieux ou sur les conflits régionaux et tribaux».
La non-application de ce décret a permis à des imams «takfiristes» de mettre à profit leurs prédications, il y a encore quelques mois, pour appeler à haine et menacer de mort les auteurs du rapport de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe), qui ont été qualifiés de mécréants, et de contraires à l’islam leurs propositions relatives à l’égalité de l’héritage entre l’homme et la femme, la dépénalisation de l’homosexualité et l’abolition de la peine de mort.
Dans ce contexte de violence potentielle et larvée, toute initiative visant à réduire au silence ces prédicateurs takfiristes, encore protégés par une justice aux ordres d’Ennahdha, ne serait pas superflue.
Par ailleurs, tout consensus entre les forces politiques sur la séparation entre la religion et la politique est également souhaitable. Les Occidentaux doivent tous leurs progrès à cette séparation salutaire inscrite dans les lois. Les pays d’Europe centrale et orientale (Peco), qui ont opté, récemment, pour la démocratie, ont réussi, eux aussi, et en un temps record, leur transition démocratique, parce que justement il n’y avait pas cette présence pesante et paralysante de la religion dans la société.
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