Ces derniers temps, la pêche sous-marine de l’éponge a poussé les plongeurs tunisiens à prendre d’énormes risques en allant chercher cette fortune naturelle aux tréfonds de la Méditerranée. Un mystérieux fléau se serait abattu sur les spongiaires de la Grande bleue, notamment sur les côtes tunisiennes, les forçant à élire domicile à une profondeur de 50 mètres et parfois même plus…
Par Marwan Chahla
Depuis un peu plus d’une vingtaine d’années, la pêche de l’éponge en Tunisie traverse de sérieuses difficultés. Certes, cette activité traditionnelle, qui remonte à des temps très lointains, trouve toujours preneurs, d’une génération à l’autre, du plongeur au grossiste, au détaillant et jusqu’aux consommateurs. Mais les choses ne sont plus ce qu’elles étaient…
Une maladie mystérieuse, semblable à ce que les eaux territoriales tunisiennes durant les années 1980, a refait surface, décimant la récolte d’éponge et obligeant les pêcheurs des îles Kerkennah, au centre, et de Zarzis, plus au sud, à plonger plus profondément et à prendre plus de risques pour assurer leur prise – s’exposant ainsi à des dangers accrus pour leur santé et parfois même à la mort.
La plongée très profonde est devenue très dangereuse
Dans une feature publiée par le quotidien britannique The Guardian, Kamel Ramdhani, un chevronné loup des mers opérant dans la région de Zarzis, explique les dangers qu’il y a aujourd’hui à plonger pour cueillir l’éponge dans les eaux méridionales tunisiennes: «C’est tout simple, si vous faites la moindre erreur comme, par exemple, remonter à la surface très vite, vous finissez votre vie sur une chaise roulante. La mer, ça ne pardonne. Rendez-vous compte que pour ce qui nous concerne, ici à Zarzis, l’hôpital le plus proche où il y a possibilité de soins de décompression, en cas d’accident de ce type, se trouve à Tunis… à plus de 550 kilomètres. »
Habituellement, plonger à des profondeurs aux alentours des 50 mètres sans une alimentation en air autre que ce que peut fournir les tubes fins d’une pompe rudimentaire actionnée à partir des embarcations en surface, est un risque d’accident assuré – pire, ce défi peut même être fatal.
En fonction de leur prise, les plongeurs peuvent passer entre une et trois heures sous l’eau, faisant remonter le fruit de leur cueillette par des paniers à leurs coéquipiers, à bord de l’embarcation…
La pêche de l’éponge intéresse moins de gens
Les grands-parents des pêcheurs d’éponge d’aujourd’hui n’avaient pas besoin d’aller si loin ou de plonger si profondément. Parfois, il s’agissait tout simplement de rester sur la côte… Désormais, pour ceux que cela intéresse toujours, il faut aller chercher l’éponge très loin et les sorties de mer peuvent nécessiter de longues semaines. Et il semble que cette activité intéresse de moins en moins de personnes. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: il n’y a pas si longtemps, il y avait à Zarzis près de 50 embarcations de pêche d’éponge; aujourd’hui, il n’y a plus qu’une douzaine. En 2017, la Tunisie a récolté 17 tonnes d’éponge. En 2018, la récolte est tombée à 6 tonnes. Fin septembre dernier, il y a reprise puisque la cueillette à cette date a atteint les 9 tonnes.
Cette instabilité de l’activité inquiète ceux qui en ont fait leur gagne-pain et embarrasse les experts en sciences de la mer. Certains accusent la pollution, notamment les déchets toxiques — les 13.000 tonnes annuelles des usines entourant le golfe de Gabès — rejetés à la mer.
D’autres, comme Karim Ben Mustapha de ‘Institut national des sciences et technologies de la mer, cité par ‘The Gardian », pointent du doigt le changement climatique, les émissions de CO2, le réchauffement de la planète: bref, un ensemble de facteurs qui a permis à la maladie que l’éponge en Méditerranée a contractée, en 1986-87, d’évoluer, de muter… pour devenir, peut-être, incontrôlable et plus fatale.
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