Mohamed Abbou dispose désormais de ce qu’il faut pour réaliser ce qu’il a toujours revendiqué : combattre la corruption dans l’administration tunisienne. Va-t-il en être à la hauteur ? Beaucoup de ses adversaires politiques l’attendent au tournant…
Par Cherif Ben Younès
Le décret gouvernemental qui concerne les attributions du ministre d’Etat auprès du chef du gouvernement chargé de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption (excusez du peu!), Mohamed Abbou, a été publié dans le Journal officiel de la République tunisienne (Jort), hier, mercredi 29 avril 2020.
Le chef du gouvernement, Elyes Fakhfakh, a, par la même occasion, délégué un certain nombre de ses prérogative au secrétaire général du Courant démocrate (Attayar)… lui montrant, ainsi, à quel point il lui fait confiance. C’était aussi pour respecter les promesses qu’il lui a faites en ce sens lors de la négociation de la composition du gouvernement, M. Abbou ayant insisté pour avoir les pleins pouvoirs pour lutter contre la corruption qui gangrène la fonction publique.
Elyès Fakhfakh passe la patate chaude à Mohamed Abbou
Selon le premier article de ce décret, le ministre d’Etat chargé de la Fonction publique, de la Gouvernance, et de la Lutte contre la corruption sera chargé, en plus des attributions prévues par le décret gouvernemental numéro 962 de l’année 2016, de préparer et de mettre en exécution les politiques du gouvernement, dans le domaine de la réforme, de la modernisation administrative et de la fonction publique, de la gouvernance, de la lutte contre la corruption, du contrôle, de l’évaluation et du suivi des résultats enregistrés dans ces domaines.
Par ailleurs, toutes les autorités administratives doivent l’aider dans ses missions, et fournir à ses services les documents demandés conformément à la législation en vigueur.
Les structures relevant du ministre d’Etat se présentent comme suit :
– le Comité général de la fonction publique,
– le Comité du contrôle général des services publics,
– le Comité des contrôleurs d’Etat,
– le Comité général du contrôle des dépenses publiques,
– la Direction générale des réformes et prospectives administratives,
– l’Unité de suivi de l’organisation des établissements et des entreprises publics,
– l’Unité de suivi des systèmes de productivité dans les établissements et entreprises publics,
– l’Unité de l’administration électronique,
– la Direction de la qualité du service public,
– la Direction de la planification,
– l’Unité de la qualité des prestations administratives,
– le Bureau central des relations avec le citoyen,
– les Services de la gouvernance.
En outre, l’Ecole nationale d’administration relève désormais des prérogatives du ministre d’Etat.
Tous les comités de contrôle cités assureront les missions d’inspection, d’audit et d’évaluation en vertu des ordres de missions émis par le chef du gouvernement ou par le ministre.
D’autre part, Elyes Fakhfakh a également délégué à celui qu’il considère vraisemblablement comme étant son premier bras droit la compétence de nomination des agents des structures qui relèvent de son autorité et de l’établissement placé sous sa tutelle. Il lui confie aussi la compétence de prendre des arrêtés à caractère individuel relatifs aux agents de ces institutions.
Un bon coup de pied dans la fourmilière
Bref, M. Abbou a eu tout ce qu’il a demandé et, fort de la confiance mise en lui par le chef du gouvernement, malgré les réserves (et le mot est faible) exprimées par le parti Ennahdha à l’égard du renforcement de ses prérogatives, la balle est désormais dans son camp. C’est à lui de se montrer digne de cette confiance. Il doit d’abord se retrouver dans la jungle bureaucratique qu’il chapeaute, ne pas s’y noyer ni en être lui-même complètement absorbé, lui imprimer rapidement son empreinte et prouver, par des décisions bien pesées, qu’il est en mesure de changer rapidement l’administration publique, capable du meilleur et, surtout, du pire, et qui, selon lui, est le point de départ de toute politique visant à combattre la corruption, un fléau qui coûte cher au pays et handicape son essor économique.
Autant dire que M. Fakhfakh s’est débarrassé de la patate chaude et l’a fourguée à son ministre d’Etat qui sera le seul comptable, aux yeux de ses concitoyens, du succès (ou de l’échec) de la lutte contre la corruption.
Beaucoup attendent M. Abbou au tournant, et même tablent sur son échec. On a nommé les barons de la corruption, qui veillent au grain au cœur même de l’Etat, siègent à l’Assemblée et dirigent même des partis influents, sans parler, bien sûr, des grands pontes de l’économie parallèle, de la contrebande et de la spéculation sous toutes ses formes.
Tout ce beau monde, qui possède ses relais au cœur même de l’administration publique, fera tout pour faire barrage à toutes les initiatives que prendra M. Abbou. C’est à lui de montrer de quel bois il se chauffe et, pour commencer, donner un bon coup de pied dans la fourmilière…
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