L’Union générale tunisienne du travail (UGTT) s’oppose fermement au projet de loi de finances 2026 (PLF2026) et brandit la menace d’une grève générale, contestant notamment l’article 15 prévoyant un décret fixant les augmentations de salaires dans les secteurs public et privé, y compris les pensions, pour les années 2026, 2027 et 2028.
Latif Belhedi
L’alerte a été donnée par Sami Tahri, secrétaire général adjoint et porte-parole de l’UGTT, qui a déclaré à Express FM que l’inclusion de cette disposition dans le projet budgétaire constituerait une violation du mécanisme de consultation et une ingérence de l’État dans les négociations salariales, après des années de blocage du dialogue social dénoncé par le syndicat.
L’UGTT a officiellement demandé le retrait de l’article 15 et l’ouverture immédiate de négociations urgentes sur les salaires et les pensions du secteur public.
Concernant le secteur privé, elle insiste sur la reprise des négociations avec l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), la centrale patronale, pour 2025 et l’ouverture de celles pour 2026.
Rupture du dialogue
La prochaine réunion de la direction syndicale, prévue le 5 décembre, pourrait fixer la date d’une éventuelle grève générale, rappelant une position déjà adoptée par le Conseil national en 2024, si le blocage du dialogue social se poursuit.
Sur le plan institutionnel, les discussions parlementaires autour de l’article 15 du PLF 2026 se heurtent également à l’interprétation du gouvernement : le ministre des Affaires sociales, Issam Lahmar, a affirmé ces dernières semaines que l’approche du texte budgétaire en matière d’augmentations salariales est conforme aux procédures légales. Cette position a été rejetée par l’UGTT, qui souligne le rôle central de la négociation collective et rappelle la possibilité de recours devant le tribunal administratif contre tout décret ayant un impact sur les échelles de salaires couvertes par des conventions collectives.
Rappelons que cette polémique intervient sur un fond de quasi-rupture du dialogue entre le pouvoir exécutif (présidences de la république et du gouvernement) et la centrale syndicale. Celle-ci n’admet pas d’être écartée des négociations salariales auxquelles, traditionnellement, elles participaient activement en tant que porte-voix des salariés. Or, depuis l’avènement de Kaïs Saïed au Palais de Carthage, les décisions relatives aux salaires et aux pensions sont devenues du seul ressort de l’exécutif, qui les prenait et les annonçait de manière unilatérale.
Syndicalisme et politique
C’est une rupture par rapport à une tradition de dialogue social qui remonte aux années 1970 et qui impliquait le trois principaux protagonistes : le gouvernement, le patronat et le syndicat. Les négociations, qui avaient lieu à un rythme triannuel, étaient couronnées par une décision tripartite annoncée en grande pompe lors d’un événement national.
Le président Saïed, qui regarde d’un mauvais œil ce qu’il considère comme une interférence de l’UGTT dans les affaires politiques, cherche, depuis 2021, à réduire le rôle et le champ de manœuvre de la centrale syndicale. Laquelle, adossée à une forte assise populaire, revendique un rôle historique dans le mouvement de libération nationale et l’édification de l’Etat républicain moderne.
Le Prix Nobel de la Paix qu’elle reçut en 2015 (avec trois autres organisations nationale : Utica, LTDH et Conseil de l’Ordre des avocats), et ce pour sa participation au dialogue national ayant sorti le pays d’une impasse politique, l’a confortée dans ce rôle auquel elle s’attache fortement.
Par ailleurs, son opposition déclarée au régime mis en place par le locataire du Palais de Carthage au lendemain de la proclamation de l’état d’exception le 21 juillet 2021, et sa dénonciation récurrente des procès politiques initiés dans le pays depuis février 2023 n’ont pas arrangé son cas aux yeux de Saïed, qui semble déterminé à lui couper les ailes.



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