La 3e édition du festival de cinéma tunisien DocuMed qui avait démarré le 8 juin et se clôture aujourd’hui (dimanche 21 juin), a été une édition exceptionnelle permettant à un large de public de découvrir le meilleur des dernières productions documentaires dans la région méditerranéenne.
Par Fawz Ben Ali
Le Festival du cinéma documentaire méditerranéen en Tunisie, plus connu sous le nom DocuMed, est une jeune manifestation cinématographique dirigée par le documentariste Fethi Saidi et organisée par l’Association Cinéma Documentaire Tunisien, avec le soutien du ministère des Affaires culturelles et du Centre national du cinéma et de l’image (CNCI).
Le documentaire, un genre foisonnant
DocuMed est l’un des rares festivals tunisiens entièrement dédiés au genre documentaire; un format ayant longtemps souffert du manque d’intérêt et de visibilité face à la rude concurrence de la fiction ayant toujours bénéficié de plus de popularité auprès du public. Ce constat n’est heureusement plus le même depuis quelques années, car, si la fiction fait rêver, le documentaire, lui, a un rôle testimonial, surtout avec la liberté d’expression acquise après la révolution de 2011, permettant de répondre à ce besoin de se regarder en face et de rendre compte d’une époque et d’une réalité, souvent avec beaucoup de justesse, malgré le regard subjectif de l’auteur.
Comme beaucoup de festivals et d’événements qui n’ont pas cédé à l’annulation ou au report à cause de la crise sanitaire mondiale liée à la propagation du coronavirus (Covid-19), DocuMed est passé en ligne cette année.
Certes, rien ne vaut l’expérience du grand-écran et de la salle obscure, mais on ne pourra nier à quel point les nouvelles technologies de communication et de diffusion ont été utiles pour la survie et la continuité de la vie culturelle durant cette période bien particulière.
26 films ont été placés en accès libre et gratuit sur la plateforme du festival; des courts, des moyens et des longs métrages maghrébins, arabes et européens; de nouvelles productions réalisées par de jeunes documentaristes indépendants qui ont choisi de prendre la caméra pour témoigner de leur engagement, pour mettre la lumière sur des personnages dans l’ombre, et pour aborder des questions actuelles, brûlantes et parfois tabous.
Certains ont décidé de faire le voyage jusqu’à l’autre rive de la Méditerranée, curieux de connaître d’autres pays, d’autres cultures… d’ailleurs le programme donne à voir beaucoup de coproductions dans ce sens (Maroc/France, Liban/France, Egypte/Suisse, Algérie/Espagne …). Comme «Laatash» (Soif) de la réalisatrice espagnole Elena Molina qui est allée dans le désert d’Algérie pour rencontrer des femmes sahraouies ayant soif aussi bien d’eau purifiée que de liberté et d’indépendance, dans ce trou du monde où, disent-elles, «il n’y a que des tombes de morts, et pas un seul puits».
Dénoncer le racisme, le sexisme et toutes les injustices
La documentariste suisse Julia Bünter est aussi partie en Egypte pour suivre le quotidien de trois couples originaires de la ville du Caire qui s’apprêtent à se marier et qui doivent faire face à la crise économique faisant retarder l’âge du mariage. Dans son film «Fiancées», la réalisatrice donne la parole à la jeunesse égyptienne pour parler de leurs angoisses dans un environnement très marqué par les traditions, le patriarcat, et la pression familiale et sociale; mais aussi leurs rêves et leurs aspirations à plus de liberté et d’autonomie, notamment les femmes, qu’on considère toujours comme d’éternelles mineures, placées sous la protection du père ou du frère puis du mari.
Le cinéma tunisien est représenté dans cette édition par deux moyens-métrages : «Dawri» de Marie Le Hir et «Non, oui» de Mahmoud Jemni. Dans le premier la réalisatrice suit Salwa et Sonia, deux candidates aux élections municipales de 2018. Avec des programmes et des idées complètement différentes, les deux femmes originaires de la ville de Gafsa sont déterminées à faire entendre leurs voix et à changer les choses dans leurs quartiers grâce à ces premières élections municipales tunisiennes. La réalisatrice suit le parcours de chacune d’elle depuis la campagne électorale jusqu’à l’annonce des résultats finals.
Mais le film le plus important et le plus actuel de la sélection est probablement «Non, oui» réalisé en 2019 par Mahmoud Jemni (Prix du jury au Festival canadien «Vues d’Afrique»). Le documentaire donne la parole à des Tunisiens de couleur noire victimes à plusieurs reprises d’actes et de paroles racistes en Tunisie.
La Tunisie, premier pays dans le monde arabo-musulman à interdire l’esclavage en 1846, avant même la France et les Etats-Unis. Toutefois, le racisme envers les noirs y existe bel et bien, c’est une réalité, affirment les différents protagonistes de ce film bouleversant, dont la diffusion tombe à pic avec l’actualité américaine et mondiale après l’affaire de la mort du citoyen afro-américain George Floyd après avoir été violenté par un policier blanc.
«Dès que tu quittes ta maison, tu mènes un combat», confie une jeune étudiante à Tunis originaire de la ville de Gabès qui raconte le calvaire des personnes noires «exilées» dans leur propre pays. Cela commence assez tôt dès l’école primaire et continue dans les différents établissements scolaires, universitaires, au travail, dans les transports publics et jusque dans les relations amoureuses.
Le styliste Salah Barka se rappelle avoir été victime de harcèlement de la part de sa maîtresse d’école qui refusait de l’appeler par son prénom (contrairement à ses camarades) et en le qualifiant de «oussif» (nègre / serviteur). Un terme indécent qui fait malheureusement encore partie du langage quotidien de beaucoup de Tunisiens, comme plusieurs autres pratiques et actes de haine et de ségrégation imprégnés dans l’héritage culturel de ce pays qui fait pourtant partie du continent noir.
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