La galerie de l’Institut français de Tunisie accueille, du 3 juillet au 2 août, une passionnante exposition de photos sur les hammams de la médina de Tunis.
Par Hamadi Abassi
Depuis 2013, l’association Actions Citoyennes en Medina initie un projet de revalorisation des hammams historiques de la médina de Tunis. Un patrimoine en péril, menacé par la désaffection de sa clientèle habituelle et la dégradation irrémédiable des lieux.
En s’appuyant sur la liste des hammams établis en 1843 par le service des taxes («Kharrubas»), l’association «L’Mdina Wel Rabtine» a cartographiée 48 hammams historiques en médina intra-muros, dont 30% rasés, délabrés, ou sont en voie de l’être. Seuls 26 demeurent encore en activité sur lesquels pèse la même menace de destruction et de transformation: Sahâb Ettaba, Erremimi, Kachachine, Edh’hab, Sidi Mahrez, Dour El-Hara, El-Ariane, Sidi Rassas, Sidi Sahbi, Tamarine, Hammam Chabou, El-Mar et Sidi Abdessalem.
Mythes séculaires et les légendes tenaces
Lieux de sociabilité, de pratiques cultuelles, culturelles et d’hygiène, les hammams de Tunis connaissent depuis plusieurs décennies une désaffection croissante, ainsi qu’une paupérisation de leurs infrastructures. Un tel abandon menace tout un pan poreux de notre mémoire collective urbanistique et archéologique, d’où l’urgence d’une mobilisation citoyenne pour la sauvegarde durable des hammams historiques de la médina de Tunis.
Grâce à la prodigalité de mécènes privés et du soutien d’institutions gouvernementales, «L’Mdina Wel Rabtine» s’est invité à la galerie de l’IFT pour présenter son attachante exposition photographique «Regards posés : Les hammams de Tunis»: une fantastique immersion dans un univers implacable où naissent et s’enracinent les mythes séculaires et les légendes tenaces.
Dix neuf photographes tunisiens et européens, professionnels ou amateurs se sont investis pour récolter des instantanés de vie, des atmosphères des lieux et se mettre à l’écoute du souffle de ces hammams fascinants: Mohamed Amine Abassi, Sophia Baraket, Aglaé Bory, Hamiddedine Bouali, Marianne Catzaras, Mahdi Chaker, Nesrine Cheikh Ali, Chehine Dhahak, Rania Douraï, Hichem Driss, Arnoldo Genitrini, Pol Guiullard, Yassine Hakimi, Max Jacot, Arthur Perset, Jacques Pion, Anna Puig Rosado, Aziz Tenani et Patricia Triki.
Autant de regards posés sur des lieux différents, pour constituer une documentation, un archivage de lieux et d’espaces de vie qui risquent de disparaitre.
Un univers fantasmé, torride et inquiétant
Cent quatorze photos chargées d’humanité et d’amusantes anecdotes pour capter l’indicible et les instantanés fugaces, accompagnent les travaux accomplis par les étudiants de l’Ecole nationale d’architecture: une série d’entretiens menés auprès des derniers rescapés de cette profession de «hamemjia» et la reconstitution des espaces par des courts documentaires en 3D.
Le seuil de la galerie franchi, une progressive immersion s’entreprend dans l’univers fantasmé des hammams, des lieux torrides, inquiétants où se terrent toutes les frayeurs.
Le feu grogne, crépite, rougit dans le monde oppressant du bas, l’antre du «franki», où chauffe la cuve d’eau du hammam, un espace moite, chargé de maléfice, que d’aucuns qualifient d’engloutisseurs de vierges. La chaleur qui y règne lèche les murs lépreux et va caresser les nudités déballées dans la grande salle du haut. Instants d’intense volupté, où les corps se relâchent, s’abandonnent dans une exquise torpeur, aux mains habiles des «tayebs» (masseurs).
Dans cette atmosphère d’étuve sur laquelle pèse un silence de plomb, les gouttelettes d’eau suspendues aux voutes de la salle chaude, prise de vertige choient sur les corps des baigneurs.
Le temps se désagrège et repousse les limites de l’espace qui se déploie, s’étire et se propage, faisant échos à son propre vertige.
Le hammam grogne, ronronne, se consume de toute l’exubérance du feu qui couve dans ses entrailles, alimenté par le «franki», gardien de tous les sortilèges du lieu.
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