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C’est aux musulmans de combattre l’islamisme

Islam-radical

Le fanatisme islamiste se manifeste par un discours haineux envers les laïcs, les femmes libres et les Occidentaux, forcément mécréants et impurs.

Par Ali Guidara*

Il fut un temps –  il y a de cela trois décennies – où la religiosité, peu répandue et très peu visible, était vécue comme l’expression d’une piété saine. Un temps où l’humanisme, le respect d’autrui et de sa différence, et l’éthique, étaient plus importants que l’observance stricte de l’horaire des prières ou du ramadan. Peu de personnes jaugeaient le degré de croyance ou le mode de vie des autres, et les pratiquants vivaient leur foi pour la plupart dans la simplicité, sans surenchère, loin de tout fanatisme dangereux. Un temps où plusieurs, croyants et même non croyants, affectionnaient l’appel à la prière, fait dans la sérénité et une certaine poésie, sans escalade de décibels, et en excluant le plus souvent l’appel à la prière du matin, pour la quiétude publique. Une sorte de pacte de bon voisinage.
On évoque maintenant avec regret ce passé pas si lointain où la religion ne régentait pas la vie quotidienne de tous et chacun. Mais ce mode de vie tolérant était jugé par les radicaux non conforme à leur dogme. L’endoctrinement islamiste est passé à l’offensive, et a sonné la fin de l’art de vivre à la tunisienne, où la musique et la danse, par exemple, avaient leur place quotidienne dans les maisons.

Le peuple tunisien, comme d’autres dans la région et ailleurs, n’a pas résisté longtemps à ce matraquage des esprits, contribuant même à sa propre radicalisation qui a touché des pans entiers de la population, par choix, par mimétisme, par faiblesse, mais finalement sans contrainte autre que sociale. En est-il vraiment conscient?

Deux décennies de radicalisation

En effet, dès le milieu des années 1990, une vague d’endoctrinement a commencé à sévir et à emporter beaucoup sur son passage, métamorphosant ainsi une bonne partie de la population, radicalisée pour la cause intégriste. Au terme de deux décennies, le fanatisme a alors atteint chez certains des proportions jamais imaginées dans un pays reconnu pour sa tolérance et son ouverture sur le monde. Même les pratiquants les plus modérés se sont laissé gagner par cette vision d’un islam rigoriste, diviseur, sectaire, bien loin de la foi simple et sincère de nos grands-mères.

Faut-il rappeler qu’avant ces deux dernières décennies, le foulard et ses dérivés ainsi que les barbes et ses déclinaisons n’existaient presque pas et prêtaient la plupart du temps à la dérision? Il n’aura fallu que quelques années pour que la pensée intégriste gangrène les esprits et envahisse la vie quotidienne d’une façon virale, et que les signes ostentatoires deviennent l’expression d’un extrémisme rampant des esprits.

Progressivement, les faits et gestes ont été réglementés par des diktats qu’une partie non négligeable de la population suit désormais sans jamais se poser la question sur leur sens, ou plutôt leur non-sens. La vie se partage maintenant entre le licite et l’illicite, donnant à plusieurs une nouvelle vocation sociale: le contrôle et la réprimande des autres jusqu’à leur domestication complète selon les normes sectaires véhiculées par des individus et des groupes spécialement mobilisés à cet effet pour servir la cause intégriste et l’ambition du pouvoir. Robespierre ne s’était pas trompé lorsqu’il disait que le sort du peuple est à plaindre quand il est endoctriné précisément par ceux qui ont intérêt à le tromper.

Les tentacules de l’islamisme à l’œuvre

Le courant islamiste, à travers ses diverses filiales, s’est fixé des objectifs de radicalisation. Il a étendu ses tentacules dans toutes les couches de la société, selon des méthodes sectaires bien connues, dans le but de préparer le terrain à la prise du pouvoir par les islamistes et à soumettre le peuple à ses diktats totalitaires.

Au fil des ans, le nombre de barbus et de femmes voilées augmentant exponentiellement, cette proportion grandissante était vue comme le signe évident d’une allégeance au courant islamiste et un véritable «baromètre» de la radicalisation. Chaque voile de plus et chaque barbe de plus exprimaient un nouveau soutien – direct ou indirect, conscient ou inconscient – aux intégristes, et une adhésion – volontaire ou involontaire – à l’infiltration islamiste dans tous les milieux et corps de métiers. Chaque acte de la nouvelle religiosité ostentatoire était un indice d’endoctrinement sectaire, à la satisfaction des gourous de l’islamisme. Une bonne partie de la population, trahissant sa propre nature, a participé, de près ou de loin, à cette opération de lavage de cerveaux et de domestication programmée, qui a fini par marginaliser toute forme de contestation du fanatisme et asseoir l’hégémonie de l’islamisme totalitaire contemporain.

Même l’ancien pouvoir dictatorial en Tunisie y a participé à sa manière. Alors qu’il n’a jamais cédé aux appels des démocrates, il a instrumentalisé cette fanatisation programmée et cette surenchère d’une religiosité dogmatique, théâtrale. En espérant combattre les islamistes sur leur propre terrain, et occuper le peuple pendant qu’il accaparait le pouvoir, il a laissé cours à la promotion d’un discours islamiste dans les médias publics, et élaboré des règles absurdes pour satisfaire la frange radicalisée de la société, comme l’interdiction aux hommes habillés en short d’accéder aux administrations publiques. Il a aussi encouragé la multiplication envahissante des mosquées dans chaque quartier, et leurs appels à la prière et leurs prêches, diffusés à toutes les heures du jour et de la nuit, à grands coups de haut-parleurs et au mépris de tout respect du vivre ensemble. Le pouvoir a ainsi gagné l’étiquette de la piété auprès de certains, tout en surveillant ceux qui fréquentaient ces lieux de culte. Tout le monde devait subir en silence cette dictature parallèle qui restreignait encore plus toute marge de contestation. Les élucubrations des intégristes étaient devenues des vérités divines qui imposaient une grille de lecture islamiste à toutes les sphères de la vie privée et publique.

Et l’intolérance devint la règle

Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, de voir l’intolérance devenir le mode de fonctionnement social, dans les familles, dans la rue, dans certains médias, etc. Vous voulez vivre autrement que la masse? Soyez discret, cachez-vous, sous peine de subir les foudres de l’extrémisme érigé en système social et les réprimandes du pouvoir à qui cette situation a fourni une excuse à cet excès de zèle dans la répression. Soulignons que le pouvoir actuel n’a d’ailleurs toujours pas procédé au dépoussiérage de lois liberticides et antidémocratiques au mépris d’une constitution qui commence à ressembler à un simple document archivé, vu l’immobilisme et l’absence d’initiatives des gouvernants actuels.

Cette intolérance se manifestait par le discours trop souvent haineux contre les laïcs, par le dénigrement des femmes libres et par le mépris exprimé par certains à l’égard des Occidentaux, forcément mécréants et impurs. Il ne faut pas oublier le discours omniprésent contre tout ce qui rapprochait la Tunisie de la civilisation contemporaine et de la modernité, en vue de l’isoler et de la confiner dans une communauté mythique qui persiste à marcher à contre-courant et peine à exister dans le monde d’aujourd’hui, faute de se remettre en question et de procéder aux réformes nécessaires. Une communauté imaginaire, convaincue de détenir un système éternel capable de régler ses problèmes en tout temps. C’est un pan entier de l’humanité qui s’est révélé incapable d’innover, faute de remettre en question l’un des dogmes les plus autoritaires et les plus contraignants, qui empêche tout renouvellement. Cette frange de la planète dont la contribution au bien-être de l’humanité est aujourd’hui carrément négative tellement elle est contaminée depuis trop longtemps par la pensée intégriste radicale.

C’est aussi cette réalité qui a permis aux islamistes de Tunisie d’accéder au pouvoir après les premières élections libres d’octobre 2011 – et de le confisquer au-delà de leur mandat –, et d’accentuer la fracture sociale entre les citoyens désormais classés en croyants et mécréants. Un sursaut de conscience au niveau politique s’est heureusement manifesté aux dernières élections de 2014.

Une souffrance profonde et du terrorisme comme récompense

En conséquence à cette négation de sa nature méditerranéenne, et comme revers à sa participation active à l’endoctrinement dogmatique, le peuple tunisien vit aujourd’hui dans une souffrance profonde. Il s’est déconnecté de lui-même, de ce qui faisait son charme et sa spécificité. Il voit maintenant son pays péricliter et subir les foudres de l’extrémisme qu’il a lui-même nourri, le plus souvent inconsciemment. Un extrémisme qui a généré une société schizophrène pour avoir nié sa vraie nature, et cédé à un fanatisme venu d’ailleurs et contraire à ses valeurs et à sa culture. Il n’est pas étonnant de voir autant de jeunes enrôlés aujourd’hui par les groupuscules sectaires et terroristes, faute de pouvoir évoluer dans un monde moderne qu’ils connaissent si bien mais auquel on leur interdit l’accès à cause d’une culture sociale gravement bouleversée, malade.

Aujourd’hui, le peuple tunisien regarde, sombre, hébété, sa propre métamorphose et l’écroulement des valeurs humanistes qu’il croyait détenir, et qui faisait sa réputation dans le monde. Il ne comprend pas ce qui lui arrive et s’interroge sur l’apparition en son sein de monstres froids prêts à tuer des innocents et précipiter le pays dans le gouffre. Le peuple veut se convaincre qu’il ne sait pas pourquoi tout cela lui arrive et cherche des explications ailleurs, en occultant son propre rôle à façonner cette nouvelle réalité. Il veut trouver des responsables ailleurs – sans doute bien réels – sans faire un retour sur sa propre responsabilité à faire le lit du radicalisme et du fanatisme islamistes.

Un réveil des consciences s’impose

Ce n’est pas tant la pauvreté ou l’exclusion qui font émerger les monstres jihadistes assassins, mais l’idéologie sectaire et mortifère que la société elle-même, à l’instar des pays de la région, a semé au fil des ans et qui a été répandue jusque dans les communautés installées dans l’Occident «mécréant». Une idéologie criminelle et macabre qui s’est emparé de certains esprits malades depuis des années. Ce sectarisme ne vient pas de nulle part, mais a été soigneusement préparé par les tenants d’une «vérité» dogmatique issue de sources doctrinales primitives, sectaires et totalitaires.

Il est impératif aujourd’hui que ceux qui se considèrent musulmans combattent sans relâche le fanatisme et se mobilisent individuellement et collectivement contre ce fléau mondial. Ils doivent aussi démontrer d’une façon convaincante leur détermination à l’éradiquer au sein de leurs communautés et leurs pays et s’ériger contre les porte-paroles autoproclamés du divin pour éviter un suicide collectif et une véritable guerre planifiée, mais inégale, entre les cultures.

Le plan islamiste a toujours été clair: prendre les communautés et les peuples en otages, les anesthésier intellectuellement et les anéantir culturellement en vue de les couper du monde contemporain, les figer dans un moule idéologique pour mieux les soumettre, asseoir son hégémonie grâce au soutien obscur des uns et la complicité affichée des autres, et par la suite déclarer la guerre à l’humanité et à la civilisation moderne, par tous les moyens. C’est cela l’objectif ultime des islamistes qui ne rêvent que de soumettre l’humanité entière à leurs dogmes et à leurs diktats. Le plan islamiste ne reculera jamais de lui-même. Il faut une mobilisation active et permanente contre ce fléau. Les peuples et leurs élites doivent en prendre conscience, avant qu’il ne soit vraiment trop tard.

* Spécialiste en analyse de politiques publiques.

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