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Tunisie: Chaque marigot a son crocodile

L’affaire du crocodile tué au zoo du Belvédère démontre qu’en Tunisie le respect du caractère sacré de l’être vivant n’est qu’un slogan dénué de toute signification.

Par Dr Mounir Hanablia *

Un crocodile a été lapidé à mort dans un zoo de Tunis par une bande de jeunes bipèdes écervelés, sans que les gardiens ne s’en aperçoivent. Ce n’est que plus tard, une fois les auteurs des faits disparus, que les gardiens ont découvert les morceaux, c’est le cas de le dire, du malheureux animal.

Des institutions carcérales pour animaux

Il y a quelques jours, cette fois dans un zoo au Honduras, un hippopotame avait été tué dans des conditions horribles.
Que de tels faits ne se produisent pas à Paris ou à Stockholm, c’est déjà un début de réponse à l’énigme. Mais une réponse qui ne constituerait que l’arbre cachant la forêt.

Les zoos sont des institutions carcérales où un animal, arraché à son habitat naturel dans par des moyens souvent cruels, termine sa vie confiné dans un espace ne correspondant en rien à celui de son biotope, où il est obligé d’acquérir des habitudes ne correspondant nullement à ses instincts innés ou acquis, et où il finit par adopter un comportement anormal apparenté à la névrose et à la psychose, et que la promiscuité forcément anormale avec des troupeaux d’humain ne contribue nullement à guérir.

Le concept même de zoo est donc indépendamment de sa localisation géographique, susceptible d’infliger de grandes violences et de grandes souffrances aux animaux et de contribuer à la dépopulation animale au sein de l’écosystème.

Que les zoos se situent donc à Moscou ou à Tokyo est donc déjà synonyme de cruauté, même si celle-ci s’accompagne d’une prise en charge adéquate sur le plan de la nourriture, de l’hygiène et des soins vétérinaires.

Mais, au sein des pays du tiers-monde, le zoo, souvent installé dans un cadre botanique et rupestre tranchant avec les jungles de béton ou de taule ondulée des grandes villes tentaculaires, constitue également un exutoire à la schizophrénie des bandes souvent socialement marginalisées qui viennent y évacuer leur rancœur en adoptant des comportements antisociaux qui ailleurs, dans la rue, leur vaudraient des ennuis avec les forces de l’ordre, ou la population.

Face à l’animal sauvage, qui dans son enclos ne représente pour eux aucun danger, ces jeunes déclassés avides de légitimité dans une société machiste entretenant le culte de la témérité et de la force, ont choisi la voie de la lâcheté la plus basse. Faut-il, cependant, faire la part entre les actes de cruauté visant les animaux, et la délinquance violente ou le terrorisme?

Un mépris de l’être vivant

Dans tous les cas de figures il s’agit d’un mépris de l’être vivant, dans son intégrité corporelle. Et rien au sein de l’école nationale ne contribue à établir cet amalgame entre toutes les manifestations du vivant, alors que dans d’autres pays, on apprend à responsabiliser les élèves en leur confiant la garde de petits animaux comme les lapins ou les hamsters.

La culture de la cohabitation avec les animaux utiles existe, en particulier les chats, et à la campagne, les chiens. Et les concepts religieux assez répandus au sein de la société, s’ils subordonnent la jouissance de tout ce que contient le monde au bénéfice du seul être humain, n’en font pas moins un devoir d’’éviter toute cruauté inutile à l’encontre des animaux.

Mais les auteurs de ce méfait sont très probablement issus du milieu urbain, et le sentiment d’avoir affaire à un animal meurtrier leur a certainement ôté tout sentiment d’humanité.

Evidemment, il ne fallait pas s’attendre à ce que ces produits de la barbarie urbaine eussent connu le rôle fondamental assuré par les carnassiers dans le maintien de la sélection naturelle et l’équilibre biologique en éliminant les bêtes malades ou affaiblie. Et l’instinct grégaire comme chez les chiens et les loups, ainsi que comme toujours, le plaisir éprouvé de défier l’autorité en a déchaîné l’agressivité. Etaient-ils en état d’ivresse, ou sous l’effet de narcotiques? Tant qu’ils n’auront pas été arrêtés, nous ne le saurons pas.

Les grands absents de cette tragique affaire ont été bien sûr les gardiens, qui ont argué pour se défendre de l’impossibilité qu’il y avait pour eux de surveiller tous les enclos. C’est bien possible, mais on peut se demander la raison pour laquelle, en ces temps de terrorisme, des caméras n’ont pas été déployées par les autorités du parc, qui est un lieu public, pour des raisons de sécurité. Si tel avait été le cas, l’incident n’aurait peut-être pas eu lieu. Encore faut-il que les gardiens eussent eu les moyens matériels d’intervenir pour faire cesser le scandale, ce qui est douteux face à des excités venus en force, et dont quelques uns commettent régulièrement des méfaits à l’encontre des animaux au point qu’ils soient devenus assez habituels.

Ainsi donc le lynchage du crocodile ne serait que le dernier en date et le plus grave d’une série d’actes contre la répétition desquels les responsables du parc n’avaient pas pris les mesures nécessaires.

Manque d’anticipation face aux actes anormaux

Ceci nous renvoie, toutes proportions gardées, au verdict du procès de Londres ayant trait à l’attentat de l’hôtel de Sousse prononcé il y a deux jours, dont la justice britannique a estimé, après l’attentat du Bardo, que les services de sécurité tunisiens eussent dû être plus prévoyants, sinon plus réactifs.

Il y a donc un drame à l’échelon national, c’est celui du manque d’anticipation face à des actes anormaux dont la répétition soit pourtant annonciatrice de catastrophes.

Pourtant un acte comme celui du parc du belvédère devrait imposer plusieurs mesures fermes, dont la fermeture définitive du zoo, la prise en charge par des éducateurs spécialisés de ces jeunes issus des cités défavorisées et qui ne sont pas encadrés, enfin une vigilance continue face à la délinquance qui ne doit pas être reléguée au second plan sous le prétexte des contraintes imposées par la lutte antiterroriste.

Cette affaire du crocodile constitue donc bel et bien le symptôme démontrant que dans notre pays le respect du caractère sacré de l’être vivant ne soit qu’un slogan de plus, dénué de toute signification, et que les autorités et la société civile sont loin d’avoir accompli l’effort d’éducation nécessaire à sa promotion auprès de la population, en particulier les jeunes.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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