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Après les JCC, un renouveau de l’islam en Tunisie ? (1/2)

‘‘El Jaïda’’, le dernier long métrage de fiction de Salma Baccar, met à nu une caricature de la religion encore pratiquée par certains cercles.

Par Farhat Othman *

Les Journées cinématographiques de Carthage (JCC2017), qui se sont déroulées la semaine dernière à Tunis, ont été un moment privilégié durant lequel a soufflé un vent de liberté. Aura-t-il une suite dans la législation du pays? Et d’abord, en réalisant de suite l’égalité successorale !

Le film lève le voile sur un pan de l’histoire nationale que la mémoire sélective occulte. Il tombe au bon moment, car il doit permettre de relancer le droit de la femme à l’égalité successorale. C’est, en effet, une violation de la sainte compréhension de l’islam comme le fut l’institution Dar Jouad dont traite le film.

Une institution détournée de ses visées

Le titre du film, ‘‘El Jaïda’’, désigne la femme respectable chargée par le juge appliquant la loi musulmane d’héberger et surveiller un couple en conflit. Elle est dite aussi «Mohsna», soit femme de bonne réputation. Cela se faisait dans ce qu’on appelait à la veille de l’indépendance Dar Jouad.

Littéralement «maison du Loyal», «Dar Jouad» était à l’origine «Dar a-Thiqa» (Maison de confiance) ou encore «Dar Sukna bil-Hosna» (Maison du paisible vivre-ensemble), une aire de stricte surveillance d’un couple en désaccord. Elle est devenue, par la suite, une maison de correction et de rééducation pour femmes récalcitrantes. (1)

Confiée à un notable, appelé «Jouad» ou «Ajouad» (Loyal ou encore Bienfaiteur), nécessairement marié, et dont l’épouse est appelée «Amina» (Loyale), supposée être une femme digne de foi et de confiance, cette institution est devenue dans la cogitation des docteurs de la loi à partir des textes coraniques qu’est la législation islamique (ou plutôt supposée l’être), une prison de femmes : «Dar ‘Adl» (Maison de Justice).

En effet, la mauvaise interprétation des textes du Coran, déformés par une jurisprudence devenue par trop machiste, ne tenant point compte des visées de la loi religieuse, a fait d’une institution dont l’esprit a été violé une véritable «zandala» pour femmes, soit une prison (du nom turc de la prison de Tunis à l’époque ottomane).

Devenue donc maison de correction et de rééducation, Dar Jouad a fait partie du vaste appareil de coercition et de contrôle utilisé par le pouvoir politique pour son maintien, et que venait aggraver le pouvoir patriarcal pour se reproduire dans une société lui échappant de plus en plus.

Ce n’est, au vrai, qu’un effort d’interprétation, au nom de la protection de la famille — valeur religieuse suprême — de la part des jurisconsultes qui a donné naissance à l’institution en se réclamant abusivement du Coran dont on violait la lettre détournée de ses visées. Or, elle a fini par devenir un monstre de cruauté.

Dar Jouad : une prison de femmes.

Historique de Dar Jouad en Tunisie

La création de l’institution a pourtant fait l’objet de débats virulents, attestés du temps de l’imam Souhnoun, par exemple, juge suprême et référence religieuse de la Tunisie du 19e siècle. L’idée était bien de pratiquer le meilleur moyen pour trouver solution aux désaccords pouvant naître dans un couple.

La visée de l’institution était donc bien juste, au départ, consistant à surveiller les deux époux dans le même temps avec un souci de justice et de justesse en vue de délimiter les responsabilités respectives de chacun.

Malgré cette louable intention du début, on n’a pas moins innové en rompant avec la règle coranique, en matière de conflit conjugal, consistant dans la désignation de deux arbitres pour agir en vue de la réconciliation souhaitée. Aussi, on ne peut exclure une certaine influence machiste dans la naissance de l’institution qui aurait vu le jour en Tunisie à l’époque ziride sinon aghlabide. Car devant concerner la surveillance des deux époux, elle finit bien vite par ne concerner, en un premier lieu, que la femme, avant de se transformer en cette prison honteuse qu’elle était devenue sous le protectorat.

Concrètement, la procédure, au début, consistait dans le placement dans le foyer conjugal en désaccord d’une femme de loyauté, censée être irréprochable, la «Jaïda» ou «Amina». Bien vite, on en est arrivé à ce que les époux en conflit viennent s’installer dans une maison réservée à cette mission, supposée être impartiale, de règlement du conflit conjugal dans l’intérêt bien compris du foyer.

Il faut noter qu’au début, l’institution était prisée par certaines femmes qui, souvent violentées par leurs époux, y faisaient appel afin d’échapper à leur condition de victime. Ce qui faisait encore de l’institution une bonne chose pour la femme, d’autant plus que le placement des deux époux en une telle institution devait se faire exclusivement par décision de justice.

Or, cela ne dura pas et d’outil de régulation de la vie conjugale, l’institution est vite devenue une arme de rééducation officielle et de répression officieuse de la femme au service exclusif de l’époux.

Ainsi, à un moment donné, on en est arrivé au nécessaire passage de la femme qui demandait le divorce par Dar Joued, soit son incarcération pour ce qui était un droit dans sa religion. Quelle plus grave violation de l’islam !

Aussi, à l’indépendance du pays, le grand héraut que fut Bourguiba de la cause de la femme tunisienne abolit-il à juste titre cette fausse institution musulmane qui a dévié de ses visées éthiques devenant une moralité immorale, étant au service d’un pur machisme.

L’égalité successorale, une visée de l’islam

Au final, donc, l’institution dont parle le film est devenue une illustration du viol dont fait la religion dans ce qui l’a caractérisée, ainsi que son prophète, au reste : le respect de la femme et de ses droits. Quoi de plus flagrant, par exemple, que cette fausse règle de l’inégalité successorale qui, comme pour Dar Jouad, entend déformer l’intention de la religion en l’asservissant aux intérêts exclusifs des mâles?

C’est pareil aujourd’hui avec l’inégalité successorale qui n’a rien d’islamique et qui doit être abolie au nom même de l’islam et de ses visées qui sont pour l’égalité absolue entre les croyants, nonobstant leur sexe et leur origine.(2)

Or, malgré l’engagement en ce sens du président de la République, on tarde à le faire. Qu’attendre donc pour proposer un projet de loi en finissant avec cette tare majeure qui défigure l’islam ? Or, il existe bien un texte consensuel issu de la société civile, ayant le mérite d’être d’application simple et surtout immédiate ! Pourquoi la Commission réunie par le président de la République ne le formalise-t-elle pas ? Serait-elle, au fond, de ces commissions qu’on réunit juste pour enterrer une question jugée (ici bien à tort) épineuse ?

L’inégalité successorale est une grave anomalie dans un pays toujours injuste avec la moitié de son peuple alors qu’il se proclame chercher à être encore plus juste, ayant la prétention même d’ériger sur une terre qui a toujours été marquée par la tolérance un État de droit en conformité avec ses valeurs, y compris sa religion qui est une foi de justice.

En effet, il n’est aucune interdiction dans le Coran de réaliser l’égalité successorale qui, de plus, est une visée de la religion devant se faire au nom de ce qui fait l’essence même de l’islam, sa vocation égalitaire. Comment peut-on donc réaliser la vocation de l’islam de ne distinguer les humains que par leur piété quand ont prétend ne pas appliquer la règle de la parfaite égalité en matière successorale entre les sexes en islam? Il est bien temps de ne plus tergiverser et de proposer au parlement, toutes affaires cessantes, l’égalité successorale en Tunisie !

* Ancien diplomate et écrivain.

Notes :
1) «Dar Joued ou l’oubli dans la mémoire», annexe 2 du livre de Dalenda et Abdelhamid Larguèche : ‘‘Marginales en terre d’islam, d’Islam et d’ailleurs’’, Cérès éditions, Edif 2000, 1992.
2) Projet de loi pour l’égalité successorale entre les sexes.

Après les JCC, un renouveau de l’islam en Tunisie ? (2/2)

‘‘El Jaïda’’ de Salma Baccar sort aujourd’hui dans les salles

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