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Tunisie : La levée progressive de la compensation ne fait pas l’unanimité

Le pain jeté à la poubelle est l’argument le plus fort plaidant en faveur de la levée de la compensation. 

La Caisse générale de compensation, créée en 1970, devait avoir une mission de transfert social en faveur des ménages pauvres et, surtout, limitée dans le temps. En Tunisie, elle s’est éternisée et a, surtout, profité aux riches.

Par Khémaies Krimi

L’événement a été créé, en cette fin de mois de septembre 2018, par la Commission gouvernementale chargée de la refonte du système des subventions des produits de base, qui propose au gouvernement une levée progressive de la compensation.

Sur la base de cette stratégie, «le basculement vers la vérité des prix se fera sur trois phases dont chacune durera 6 à 9 mois. La première concernera le lait et l’huile végétale, la deuxième les pains (gros pain et baguette) et la farine pâtissière, et la troisième le sucre, la semoule, le couscous, les pâtes».

Point d’orgue de cette réforme, l’institution d’un nouveau mécanisme, en l’occurrence un transfert monétaire (TM) qui permettra de compenser le manque à gagner pour les couches démunies. En d’autres termes, les pauvres vont bénéficier d’aides financières pour se nourrir décemment et ne pas sentir la hausse des prix du pain.

Vivement recommandée par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), cette réforme, dont on parle depuis une quinzaine d’années, arrive peut-être un peu tard. Et pour cause…

Les gouvernements qui se sont succédé, depuis l’institution de la Caisse générale de compensation en 1970, n’ont jamais eu le courage d’engager de véritables réformes de ce système, mettant constamment en danger les équilibres budgétaires de l’Etat (2 milliards de dinars en 2018). Pis, ils ont eu la tendance improductive à élargir la gamme des produits subventionnés à d’autres activités économiques qui ne méritent pas d’être subventionnées.

Seuls 12% des ménages pauvres profitent de la subvention

C’est pourquoi cette réforme, pour peu qu’elle soit enclenchée, vient réparer une grande injustice en ce sens où la compensation qui devait cibler, au commencement, en priorité les démunis s’est avérée, des décennies durant, une imposture, voire une des plus grandes tromperies socio-économiques que la Tunisie ait connue depuis l’accès à l’indépendance.

Un regard d’ensemble sur l’évolution historique de la compensation en Tunisie montre de manière éloquente que les bénéficiaires des subventions de l’Etat n’ont jamais été les démunis, comme le laissait entendre la propagande officielle, des décennies durant, mais les riches (industriels, concessionnaires automobiles, hôteliers, restaurateurs, pâtissiers), et surtout, les étrangers (touristes et investisseurs off shore).

Selon l’Institut national de la statistique (INS), «la part des subventions tirées par les ménages pauvres est estimée seulement à 12% du total des subventions».

Néanmoins, ce qui dérange dans la proposition de la Commission gouvernementale chargée de la refonte du système des subventions des produits de base, ce n’est pas le principe de réformer la compensation (toutes les parties revendiquent la réforme), mais la démarche qu’elle propose. Celle-là même qui consiste à pérenniser la compensation sans prévoir un échéancier, même de long terme, pour son élimination pure et simple. Et pour cause. Beaucoup de pays comme le Maroc, l’Iran, le Mexique ou l’Indonésie, convaincus que la compensation est un mécanisme antiéconomique et une source d’inégalité sociale, ont mis au point des stratégies efficaces pour la supprimer définitivement.

Ces pays ont assigné à la compensation une mission de transfert social d’une durée bien déterminée. Les transferts doivent donc décroître à mesure que le revenu augmente pour s’annuler à partir d’un certain seuil. Avec une telle mission, la compensation permettrait d’atteindre deux objectifs: venir en aide aux pauvres dans un premier temps et réaliser des objectifs de développement et de progrès social, dans un deuxième temps.

S’inspirer des expertises étrangères

L’expertise du Mexique mérite qu’on s’y attarde en raison de son succès. En voici les moments forts : en 1995, le Mexique a décidé d’opter pour une nouvelle stratégie en matière de réduction de la pauvreté. Le pays a commencé par éliminer, graduellement, les subventions alimentaires généralisées (maïs, farine de maïs, tortillas de maïs), blé, farine de blé, pain…) et les subventions alimentaires ciblées (lait, tortillas, panier de nourriture, magasins de distribution).

En 1997, «un programme de transferts conditionnés en espèce», baptisé Progresa, a été créé. En vertu de ce programme, ne peuvent bénéficier des subventions que ceux qui s’engagent à envoyer leurs enfants à l’école publique et les encouragent à se faire soigner dans les hôpitaux publics.

L’avantage de l’expertise mexicaine réside dans le fait qu’elle ne traite pas la compensation comme une fatalité mais comme une problématique conjoncturelle gérable et remédiable. La Tunisie gagnerait à s’en inspirer.

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