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La Cour suprême américaine : un fauteuil pour deux

Les juges de la Cour suprême, en 2020. Assis de gauche à droite : Samuel Alito, Clarence Thomas, John G. Roberts, Jr. (juge en chef), Stephen Breyer et Sonia Sotomayor. Debout de gauche à droite : Brett Kavanaugh, Elena Kagan, Neil Gorsuch et Amy Coney Barrett.

Dans une lettre adressée au président Joe Biden (1), rendue publique quelques instants avant l’échange de discours d’adieu lors d’une cérémonie tenue à la Maison Blanche, le juge associé de la Cour suprême des Etats-Unis Stephen G. Breyer formule le désir de quitter les bancs de sa Cour. L’annonce de son départ semi volontaire à la retraite vient à point nommer pour le président et ses partisans. Sa retraite ne prend effet que début juillet, les Démocrates comptent sélectionner et nommer son remplaçant avant la trêve du Sénat.

Par Mohsen Redissi *

Le juge associé Breyer est le plus âgé des neuf juges, quatre vingt trois ans avec près de trois décennies de loyaux service envers la nation et l’interprétation des lois. Nommé par le président Bill Clinton en 1994, il est considéré par ses pairs comme un juge libéral. Dans ses écrits et interventions publiques, juge Bryer ne cesse de répéter que les tribunaux doivent être plus attentifs à leur entourage direct et d’imaginer les conséquences de leurs jugements avant de se prononcer. Le recours est un long processus.

J’y suis j’y reste

D’une façon générale, un juge de l’académie des neuf renonce rarement à son banc. Il s’y attache facilement. Il lui procure honneur et dignité et l’investit du pouvoir suprême d’interpréter les lois et de les mesurer sur l’échelle de la Constitution. Sa retraite est stratégique conforme à la tendance moderne des juges. Encore alerte mais âgé, il démissionne. Au Sénat, les Républicains sont coude à coude avec les Démocrates, il offre au locataire de la Maison blanche une chance inouïe de pourvoir un siège à la Cour suprême. Le Sénat doit confirmer le choix du président.

Les élections de mi-mandat peuvent changer la donne. Les Démocrates ont déjà fait assez d’erreurs par le passé par manque de lucidité. Ils ont laissé la juge Ruth Bader Ginsburg trop longtemps sur les bancs de la Cour. Nommée par Bill Clinton elle aussi en 1993, morte en 2020 dans l’exercice de ses fonctions suite à un cancer laissant le champ libre au président Trump pour nommer à sa place Amy Coney Barrett, 48 ans, définie comme très conservatrice et très croyante ; il a en même temps grignoté un siège aux Démocrates. Difficile par les temps qui courent de récupérer. Président Biden a donc une chance de renverser ce déséquilibre en faveur des Démocrates. La «Biden Commission» chargée de repenser le fonctionnement et les nominations à la Cour suprême a déposé décembre dernier son rapport final (2). La commission préconise l’élargissement du nombre de juges et la limitation des mandats entre autres. Il peut y remédier s’il reste maître du Sénat. S’il échoue, son prédécesseur le fera.

Dans ses déclarations aux médias, Charles Schumer (Démocrate, New York), chef de file de la majorité au Sénat, compte ouvertement profiter de l’égalité des sièges au Sénat 50-50 pour confirmer le choix du président Biden. Il envisage de recourir au même subterfuge utilisé par les Républicains de compresser le calendrier du Sénat et passer au vote dans un délai de trente jours.

Des sièges vacants, décès ou retraite, dans la Cour suprême ou dans les tribunaux de districts sont des occasions rares. Les Républicains et les Démocrates se livrent au jeu de chaises. Le départ du Juge Breyer ne résout pas la question du déséquilibre : six juges conservateurs contre trois modérés. Les Républicains auront l’avantage du nombre à la Cour pour un certain temps, manœuvre stratégique orchestrée par l’ex-président Donald J. Trump en refusant le candidat de Barack Hussein Obama. Un Sénat républicain ramène la majorité à cinquante et une voix et fait nommer les trois candidats proposés par Trump. Une aubaine pour l’aile conservatrice du Sénat (3).

Une Cour suprême est le reflet d’une société

La Cour suprême est dans un tournant décisif. Sa cote de popularité souffre, elle atteint des niveaux historiquement bas car très politisée à cause d’enjeux importants. Son impartialité est mise en doute. Biden candidat à la présidence a promis lors de sa campagne de faire en sorte que la Cour suprême et son administration ressembleraient davantage à l’Amérique profonde. C’est chose faite. Collaborateurs et secrétaires actuels viennent de tout bord : première vice-présidente afro-américano-asiatique, premier hispanique à la tête du département de la Sécurité intérieure, première femme d’origine asiatique nommée Représentante au Commerce, un transsexuel ministère du Transport. Son prochain candidat pour occuper le poste de juge associé à la Cour suprême sera une femme, une Afro-américaine. Une première dans les annales de la Cour. Une promesse qui lui tient à cœur, il s’est engagé à réaliser.

Des candidates en lice

Le président n’a encore pas pris de décision. Des femmes de couleur sur la liste, une promesse électorale qu’il tient à honorer. Aux journalistes qui le questionnent, il répond que sa candidate doit être digne de l’héritage du juge Bryer. Biden a une chance unique de nommer une juge relativement jeune en pensant aux lendemains pour conserver l’esprit libéral et progressiste de la Cour, perdu sous la présidence de Trump.

Elever une femme à la plus haute cour américaine est conforme aux traditions des deux partis. Biden se sent redevable au vote des Afro-américains, clef de voûte de sa fulgurante remontée. Un récent sondage NBC News tire la sonnette d’alarme, la cote de popularité du président Biden auprès des Noirs américains a atteint la barre de 64% contre 83% neuf mois auparavant. Une telle nomination renforcerait sûrement sa position auprès des électeurs noirs et une partie de l’électorat féminin en général. Un pas de plus pour la reconnaissance de leur contribution et un voyage vers «une justice raciale» comme aime le souligner le représentant Ro Khanna, un démocrate progressiste de Californie. Une projection d’une Amérique unie pour les prochaines années à venir.

Rien n’est joué. Les jours sont comptés mais il ne veut pas tomber dans la précipitation. Avant de prendre sa décision, Biden veut entendre l’avis des sénateurs des deux partis, des juristes et du vice-président Kamela Harris elle-même femme de droit et de poigne. Il a également l’intention de rencontrer les candidates potentielles. Il compte rendre son verdict avant la fin du mois de février.

Parmi les femmes candidates pour remplacer Breyer figurent Ketanji Brown Jackson, Cour d’appel du circuit de Washington, D.C ; Leondra R. Kruger, Cour suprême de Californie; J. Michelle Childs, District de Caroline du Sud

Les Républicains sont offusqués et crient au scandale. Pour eux la proposition de Biden de nommer une Afro-américaine pour remplacer Bryer est contre-productive ; ils qualifient son engagement de «racisme inversé» en favorisant le genre. Ronald Reagan l’a fait avant lui. Ils cherchent à le discréditer auprès de son électorat blanc. Sa candidate, femme de couleur, bénéficie déjà de la discrimination positive, «Affirmative Action», terme utilisé pour certains groupes sociaux victimes de discrimination systématique. Les Républicains comptent bloquer la candidature de quiconque nommée par le président Biden, tous unis contre la candidate proposée.

Une tradition bien ancrée

La diversité, la diversification et l’adversité de la Cour suprême n’est pas un phénomène de mode, au contraire il remonte au début du XXe siècle. Les présidents ont cherché de tout temps, avec ou sans arrière pensée, à satisfaire leur électorat blanc religieux pour assurer leur voix en diversifiant leurs nominations. Le tabou de la race est tombé avec Thurgood Marshall, 1963, sous la présidence de Lyndon B. Johnson. Il prend sa retraite en 1991, vite remplacé par un autre Afro-américain Clarence Thomas, il siège encore à la Cour. La barrière du genre a été brisée avec la nomination de Sandra Day O’Connor, 1981, sous la présidence de Donald Reagan, aussi une promesse de campagne. Une juge se meurt une autre prend sa place, Amy Coney Barrett remplace en 2020 la progressiste Ruth Bader Ginsburg morte sept mois plus tôt.

Depuis des décennies, les présidents, toute confession confondue et sans distinction de partis, nomment par tradition un juge juif. Après le décès du juge Benjamin Cardozo, juif séfarade portugais, le président Franklin D. Roosevelt nomme en 1938 Felix Frankfurter à la Cour. Après la retraite de Frankfurter, le président Kennedy nomme un autre juif, Arthur Goldberg en 1962. Abe Fortas lui succède en 1965. Cette chaîne ininterrompue de nominations donne naissance au terme «siège juif». Le président Bill Clinton poursuit la tradition en nommant Ginsburg en 1993 et Breyer 1994. L’exceptionnalisme juif sera-t-il rompu avec Biden ?

La nomination de juges de différents bords de la société américaine, hommes blancs catholiques, juifs, afro-américains, hispaniques est une reconnaissance de l’apport culturel du melting-pot américain ; l’image qu’il renvoie ressemble au brassage de la population américaine. Hélas d’autres ethnies, d’autres confessions restent encore non représentées.

A droite toute

La nomination à la Cour suprême a des conséquences graves sur le long et le court terme. Elle redessine le paysage et le quotidien des Américains. Il est évident qu’un siège laissé libre suscite des interrogations. Des présidents plus que d’autres tiennent à l’équilibre pour éviter tout dérapage vers l’extrême droite ou l’extrême gauche. Le juste milieu. Une mainmise conservatrice risque de revoir en profondeur certains acquis sociaux. Les mouvements contre l’interruption volontaire de la grossesse voient leur action grossir et la fièvre touche désormais plusieurs Etats. L’église prend le dessus sur l’Etat et tient à faire avorter la décision historique de Cour suprême Roe c. Wade, 1973, le quatorzième amendement le droit à la vie privée. La primauté des lois des Etats semble prendre le dessus sur les lois fédérales. Ces menaces ne doivent pas infléchir la Cour à poursuivre son renouvellement par le haut. La défense des droits constitutionnels et civiques des Américains reste sa préoccupation.

La retraite provoquée, une césarienne, du juge Stephen Breyer est conforme à la nouvelle stratégie des partis politiques : faire montre aux uns et aux autres un front uni et obéissant. Récupérer ou garder le siège quitte à pousser le juge malade ou vieux à céder son banc à un autre plus jeune. Un bain de jouvence pour la Cour. L’intérêt général du parti puis celui de la Nation priment.

* Fonctionnaire international à la retraite.

Notes:

1-Justice Stephen Breyer’s letter to President Biden announcing his retirement=

2-Redissi, Mohsen. Etats-Unis : Le président Biden au chevet de la cour suprême. (Kapitalis, 12 janvier 2021).

3- Redissi, Mohsen. La Cour suprême américaine: la guerre des nombres (Leaders, 4 mai 2021).

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